Européennes 2024 : Valérie Hayer, Manon Aubry… le procès en invisibilisation des têtes de liste est-il fondé ?

Gabriel Attal et Valérie Hayer photographiés ensemble à Boulogne-Billancourt (illustration)
JULIEN DE ROSA / AFP Gabriel Attal et Valérie Hayer photographiés ensemble à Boulogne-Billancourt (illustration)

POLITIQUE - « Oui, je sais vous aviez peut-être un peu oublié Valérie Hayer dans ce débat. Moi aussi. Nous, au moins, on respecte nos têtes de liste. » Le 25 mai depuis Aubervilliers, Manon Aubry moque sa rivale macroniste, deux jours après le débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella et alors qu’Emmanuel Macron s’est dit prêt à faire de même avec Marine Le Pen. La tête de liste LFI n’est pas la seule à dénoncer – moquer dans son cas — une invisibilisation de la tête de liste Renaissance. Elle fait aussi abstraction du fait qu’elle aussi est concernée.

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Le 23 mai, devant le débat qui oppose le Premier ministre au président du RN, Aurore Lalucq, numéro 2 sur la liste PS/Place Publique manque de s’étrangler. « Gabriel Attal (vient de dire) ’je propose sur notre liste’. Ce niveau d’invisibilisation de la tête de liste est hallucinant », écrit-elle sur X.

Le reproche est récurrent. Le 13 mai, Valérie Hayer est même questionnée, après que Raphaël Glucksmann a dénoncé le débat Attal-Bardella. « C’est Raphaël Glucksmann qui s’inquiète de la tête de liste de la majorité présidentielle ? Je l’en remercie. Invisibilisée ? Non. Il y a des tracts qui circulent dans toute la France avec ma tête, le programme avec ma tête, j’ai fait plusieurs meetings, un national et des régionaux. Je suis bien là, qu’il ne s’inquiète pas », réplique-t-elle sur RTL avec un agacement manifeste.

« Quand Mélenchon fait monter Hassan, c’est pour tuer Aubry »

Certes, mais si son visage apparaît bien sur la grande majorité des éléments de campagne, il y a aussi eu cette affiche, dévoilée par BFMTV, où Emmanuel Macron pose seul, sans une mention de sa tête de liste. De quoi faire croître les critiques déjà existantes.

Dès fin avril, c’est la journaliste Charline Vanhoenacker qui en fait (avec humour) le constat dans un billet sur France Inter. Elle évoque le cas Valérie Hayer mais aussi celui de l’insoumise Manon Aubry. Le 3 mai, la dessinatrice de Libération Coco croque l’eurodéputée qui disparaît derrière Jean-Luc Mélenchon et la candidate Rima Hassan, pourtant en 7e position sur la liste et donc pas assurée d’obtenir un siège au Parlement européen. Le 19 mai, une chronique du Point sur « les candidates et les machos men » enfonce le clou et s’indigne d’une campagne où « de Renaissance aux Insoumis, rarement l’on n’avait vu des candidates mises à ce point sous tutelle de leur propre parti ».

La campagne de Manon Aubry est « vampirisée par Jean-Luc Mélenchon », souligne aussi sur X la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie le 23 mai. À partir du 16 mars, date à laquelle LFI officialise la présence de l’ex-candidat à la présidentielle sur sa liste (en position non éligible), Jean-Luc Mélenchon devient effectivement omniprésent dans la campagne dans les semaines qui suivent. Il enchaîne les meetings, concentre l’attention lorsqu’une de ses conférences est annulée à Lille, impose le conflit israélo-palestinien comme un thème central de la campagne avec Rima Hassan comme figure de proue…

« Mélenchon, quand il fait monter Hassan, c’est pour tuer Aubry. Il ne la laisse pas exister alors qu’elle est forte sur ses sujets, juge une ministre auprès du HuffPost. Valérie Hayer aussi souffre un peu de ce phénomène. On l’a fait arriver tard la campagne, ça faisait choix par défaut ».

Pallier le déficit de notoriété et mobiliser les bases

Valérie Hayer et Manon Aubry ne sont pas les seules femmes têtes de liste concernées. À l’extrême droite, Marion Maréchal a aussi vu sa stratégie contestée par Éric Zemmour, qui a été plus que tenté de reprendre la main. La mise sur orbite de sa compagne et conseillère Sarah Knafo, qui multiplie les déplacements et interventions médiatiques en sa qualité de troisième sur la liste, a été perçue comme une volonté de faire exister la ligne dure vis-à-vis du RN défendue par le fondateur de Reconquête !, au détriment du récit plus consensuel que cherche à imposer l’ancienne députée du Vaucluse, visant davantage à chasser sur les terres de la droite que de chercher le clash avec son ancienne famille politique.

Seule l’écologiste Marie Toussaint, contre-exemple parfait, pourrait faire mentir cette analyse. Mais il faut aussi rappeler que le parti des Verts est dirigé par Marine Tondelier, une femme, ce qui tue dans l’œuf tout procès en « mise sous tutelle » masculine.

« Globalement quand tu es une femme, c’est toujours plus difficile » - une ministre au HuffPost

Contactés par Le HuffPost, les états-majors Renaissance et LFI se défendent. Ainsi, Matthias Tavel, directeur de campagne de Manon Aubry, assume de présenter Jean-Luc Mélenchon comme « le premier des affluents », indispensable pour mobiliser le socle électoral insoumis, même s’il l’intègre dans « une démarche collective ».

Nathalie Loiseau, porte-parole de la campagne Renaissance et ancienne tête de liste en 2019 balaie aussi le procès en invisibilisation, auquel elle « ne croit pas du tout » et présente la mobilisation de Gabriel Attal, chef du gouvernement et donc de la majorité, comme un moyen de remédier au manque de notoriété de Valérie Hayer. Ce qui n’empêche pas la ministre déjà citée de soupirer : « Globalement quand tu es une femme, c’est toujours plus difficile, et on est beaucoup plus exigeant avec elles. »

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