Européennes 2024 : le RN a bien du mal à expliquer sa proposition phare sur la double frontière

Jordan Bardella, sur Public Sénat le 29 mai 2024.
Jordan Bardella, sur Public Sénat le 29 mai 2024.

POLITIQUE - « C’est simple », affirme Jordan Bardella mais ça a quand même l’air compliqué à expliquer et encore plus à mettre en place. À 11 jours du vote, le président du RN et tête de liste aux européennes multiplie les interventions médiatiques. L’occasion, à chaque fois, d’être interrogé sur l’une des propositions phares de son parti : la mise en place d’une double frontière, française et européenne, pour lutter contre l’immigration.

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La mesure figure en quatrième position dans le programme de Jordan Bardella. « Instaurer une double frontière, française et européenne : contrôler les frontières nationales et mettre en place une frontière aux portes de l’Europe en permettant à Frontex de renvoyer les migrants illégaux. Il s’agit d’une double sécurité », peut-on lire dans le livret du parti d’extrême droite.

Sauf que. Pour mettre en place cette mesure, il faudrait revenir sur l’espace Schengen, un des principes clés de l’UE qui permet la libre circulation des personnes et des biens entre les pays membres. Et pour revenir sur l’espace Schengen, il faudrait modifier les traités européens et donc obtenir un vote à l’unanimité. Rien de moins simple et c’est loin d’être le seul écueil.

« Flair du policier » et « suspicions » pour l’identification

Même en ignorant Schengen, la proposition du RN se heurte à plusieurs difficultés concrètes. D’abord, qui est contrôlé ? Au-delà des « bateaux de migrants qui arrivent sans y avoir été invités » et qu’il veut voir renvoyés dans « leur pays de départ » (sans préciser comment) Jordan Bardella veut aussi « que la libre circulation dans l’espace Schengen soit réservée aux seuls ressortissants européens », sans y inclure ceux qui disposent d’un titre de séjour.

Dans ce cas, comment identifier qui est qui ? Comment, par exemple, différencier le travailleur transfrontalier qui fait France-Italie tous les matins via Menton de celui qui tente de passer illégalement ? Le député Jean-Philippe Tanguy y va de sa proposition dimanche 26 mai dans l’émission Le Grand Jury sur RTL-Le Figaro-Paris Première-M6 : se fier aux « suspicions. » « À partir du moment où vous utilisez une voiture personnelle avec une plaque, vous aurez une présomption que cette voiture appartient au transfrontalier. Ça n’empêche pas de faire des contrôles sur cette voiture pour ne pas qu’il y ait d’abus ou de gens qui volent, mais il y a beaucoup de présomption », affirme-t-il.

Même son de cloche chez Jordan Bardella qui s’en remet au « flair du policier » pour mener des contrôles aléatoires en plus des stationnaires et évoque « l’autocollant sur le pare-brise » du travailleur transfrontalier, par opposition à « quelqu’un qui dans les hauteurs est en train de traverser avec son sac à dos ». On a connu méthode plus précise.

Surveiller les frontières françaises « depuis l’espace »

Autre écueil pour le Rassemblement national : comment assurer les contrôles aux frontières terrestres de la France ? Le 23 mai sur France2, le Premier ministre Gabriel Attal a particulièrement cuisiné Jordan Bardella sur cette proposition « fumeuse ». Le président du Rassemblement national a alors pris l’exemple de « l’aéroport », où « il y a une file pour les membres de l’espace Schengen » et une autre pour les extra-européens.

« Tout le monde est quand même contrôlé », a alors ironisé Gabriel Attal, Jordan Bardella évoquant ensuite non pas un contrôle « systématique » mais « renforcé ». « En quelques secondes, on est passé d’une double frontière où tout le monde va être contrôlé à ’On augmente un peu les contrôles aléatoires’ », a-t-il poursuivi, comparant le programme de son contradicteur à un « Banco » : « y’a plein de promesses, mais quand on gratte, y’a rien derrière ».

Trois jours plus tard, Jean-Philippe Tanguy évoquait de son côté des contrôles renforcés grâce à « un certain nombre de technologies, par exemple des technologies qui permettent aux transfrontaliers de faciliter leur déplacement, des techniques que déploient par exemple les états du Golfe pour contrôler vos frontières depuis l’espace ».

Paris ou Strasbourg, la localisation n’est pas bonne

Garant de la libre circulation dans l’UE, le traité de Schengen permet néanmoins à un pays de rétablir ses contrôles aux frontières, en cas d’atteintes à l’ordre de public ou à la sécurité nationale. Mais uniquement pour un laps de temps précis et après consultation des autres États signataires du traité.

Précision de taille : la décision de rétablir le contrôle aux frontières ne revient pas aux eurodéputés mais au gouvernement en place. Ce qui porte un nouveau coup à la crédibilité de la mesure portée par Jordan Bardella dans le cadre de son programme européen.

Interrogé sur cette difficulté sur le plateau de Public Sénat, l’eurodéputé botte en touche : « Il y a une partie du combat, notamment contre le pacte Asile et migratoire qui se mène au Parlement européen. Mais évidemment d’aller contrôler nos frontières, ça se fera demain avec le ministère de l’Intérieur lorsque nous serons à la tête de l’État », reconnaît-il. Dès lors, pourquoi en faire la quatrième mesure d’un programme qui a vocation à être débattu entre Bruxelles et Strasbourg ?

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