Européennes 2024 : RN, Renaissance, PS… les programmes des candidats (et ce qu’ils disent vraiment)
POLITIQUE - C’est un document qui en dit plus sur la vision de l’Europe de chaque candidat que sur la faisabilité des mesures qu’ils préconisent. À moins de 20 jours des élections européennes, toutes les têtes de liste ont désormais mis en ligne leur programme pour le scrutin du 9 juin. L’occasion d’en dire plus sur la façon dont elles comptent exercer leur mandat d’eurodéputé. Et à quelles fins elles sollicitent le soutien des Français.
Débat Jordan Bardella - Gabriel Attal : le président du RN confronté à ses limites
Un catalogue qui s’apparente souvent à une liste de principes incantatoires, parfois inapplicables, et souvent éloignés des capacités législatives réelles des eurodéputés, comme du pouvoir du Parlement européen. Pourtant, c’est bien dans l’hémicycle de Strasbourg que les têtes de liste compte siéger jusqu’en 2029. Tour d’horizons des programmes des candidats susceptibles de passer la barre des 5 % dans trois semaines.
Au RN, rien de nouveau (ni de concret)
Il en veut des choses, Jordan Bardella. Il veut même « bâtir l’Europe des projets à la carte ». Soit faire le tri entre ce que le RN jugerait bon, ou non, pour la France. Ce, aussi, qui est contraire au projet européen dans lequel Paris est engagé par des traités. Dans le programme du RN, cette vision se traduit par exemple par la baisse drastique de la contribution de la France au budget de l’UE ou par une réforme de la commission européenne, que le RN veut réduire à un « secrétariat général du Conseil sans pouvoir décisionnaire ni initiative législative ». Comment ? Mystère et boule de gomme, en dehors des slogans magiques (« Europe des nations ») et d’une très forte odeur de Frexit. Car, sans l’assumer, c’est bien vers ce scénario que tend le RN, via « la supériorité de la Constitution française sur les normes et juridictions européennes ».
En effet, ce projet revient à nier l’un des principes fondateurs de l’UE et ne pourrait se faire sans une révision constitutionnelle. Par ailleurs, une telle mesure serait incompatible avec le maintien dans l’Union, au regard du droit européen. Le programme cumule également des propositions aux contours flous, comme l’instauration d’une « double frontière, française et européenne », sans que l’on sache comment y parvenir sans contrevenir aux accords de Schengen (ou alors en modifiant lesdits accords, ce qui impliquerait un accord à l’unanimité entre tous les pays signataires). Si le ton se veut moins europhobe qu’en 2019, le contenu l’est tout autant. Autant qu’il demeure flou et inapplicable. Ce qui n’empêche pas Jordan Bardella, de caracoler en tête des intentions de vote… en nationalisant les enjeux du scrutin. Habile.
Pour Hayer, la Sorbonne dans un PDF
Un fascicule de 16 pages, comptant 48 propositions et reprenant les grandes lignes du discours prononcé par Emmanuel Macron à la Sorbonne le 25 avril dernier. Voilà comment on pourrait résumer le programme défendu par la candidate « Besoin d’Europe » Valérie Hayer, qui peut se lire comme la version électorale des ambitions du chef de l’État à l’égard de l’UE. Sans surprise, la candidate macroniste défend un « projet de souveraineté » européenne. Ce qui passe par une meilleure intégration militaire à l’échelle des 27, via la création d’un « budget militaire commun ». Avec comme objectif, une enveloppe de 100 milliards d’euros sur la mandature et une augmentation de la part du budget accordée par chaque pays membre à la défense à 3 % du PIB (sans que l’on sache comment y parvenir). L’eurodéputée sortante pousse également pour un « plan Europe 2030 » qui vise à investir dans « l’écologie à l’européenne » (déclinaison du concept macronien de « l’écologie à la française »), sur des secteurs aussi vastes que l’énergie, les transports ou le numérique.
Dans cette même volonté de mutualiser les forces, la tête de liste macroniste prône un « Plan Marie Curie » qui permettrait d’investir massivement pour des vaccins et des traitements contre le cancer ou autres maladies. On parle, pour tous ces investissements cités, d’un plan de 1 000 milliards d’euros, qui serait financé à la fois par des fonds privés et de l’endettement commun, un tabou pour les formations eurosceptiques. La candidate Renaissance n’oublie pas de parler des « valeurs de l’Europe », et souhaite inscrire l’accès à l’IVG dans la Charte européenne des droits fondamentaux.
Glucksmann, « révolution écologique » et « avancée fédérale »
Raphaël Glucksmann, tête de liste PS-Place Publique, propose un programme voulant aboutir à une « Europe puissante ». Un mantra que ne renierait pas Valérie Hayer, avec laquelle il partage d’ailleurs la volonté de mettre 100 milliards d’euros sur la table à des fins de défense commune et d’instaurer une priorité européenne pour l’achat de matériel militaire. Dans le soutien à l’Ukraine en revanche, il va plus loin que la candidate macroniste, puisqu’il préconise la saisie des mirifiques avoirs russes gelés en Europe pour les affecter à l’aide à « la résistance ukrainienne ». On parle ici 206 milliards d’euros.
Sur le format, le troisième homme de la campagne européenne est allé (très) loin dans son inventaire à la Prévert, puisqu’il ne propose pas moins de 338 mesures. Parmi lesquelles l’eurodéputé a dégagé quelques idées phares qui s’inscrivent dans un logiciel de gauche. Instauration de « mesures miroirs » pour les marchandises importées qui ne respectent pas les standards de production de l’UE, taxe européenne sur les superprofits et sur le kérosène, « clause de l’Européenne la plus favorisée » (comprendre l’alignement des 27 sur le pays le mieux doté sur chaque question liée aux droits des femmes), création d’une agence de la planification écologique européenne, plan européen de rénovation énergétique des bâtiments et des logements, régulation du marché du logement, interdiction des écarts de salaires supérieurs à 20 dans une entreprise percevant des subventions européennes… Autant de mesures prises dans le cadre d’une « avancée fédérale » qui permettrait, selon Raphaël Glucksmann, d’enclencher une « révolution écologique » en Europe.
Avec ses murs, Bellamy la joue comme Trump
Le nouveau Bellamy fait 58 pages. Avec leur programme présenté mi-mai, Les Républicains veulent répondre au décrochage de l’Union européenne dans le monde et celui de la France en Europe, leur double credo. La recette, au goût de déjà-vu : protectionnisme, lutte contre « le délire normatif » et murs aux frontières. À la peine dans les sondages (il est mesuré autour des 7 % dans notre compilateur), François-Xavier Bellamy promet par exemple de mettre en place une « préférence européenne » sur les marchés publics et de s’opposer aux nouveaux accords de libre-échange « qui soient contraires à nos intérêts. »
Autant de leviers pour « relever l’Europe », selon l’expression de la tête de liste qui se heurtent, en réalité, aux politiques libérales menées jusqu’à présent par l’Union, sous l’impulsion… de son propre groupe européen, le PPE. S’il rejoint les socialistes ou le camp macroniste sur le soutien nécessaire à l’Ukraine ou le réarmement du continent, deux enjeux majeurs de la campagne, le candidat LR, à la lutte avec la liste menée par Marion Maréchal pour le parti Reconquête !, n’oublie pas une marotte de son camp : l’immigration. Ses propositions en la matière sont radicales, entre la construction de « barrières physiques aux frontières extérieures de l’UE », ou l’interdiction de nouer des coopérations avec des états tiers sans « la reprise des clandestins » en échange.
Marie Toussaint veut « changer de modèle »
La candidate écolo n’a pas fait preuve de sobriété pour son programme, qui compte 171 pages. Un document dense, découpé en huit chapitres dans lequel on trouve un « Traité environnemental européen » qui vise à inscrire dans les normes de l’UE « une obligation générale de protection du climat et de non-dépassement des limites planétaires ». Marie Toussaint propose également un « Fonds de souveraineté écologique » qui serait financé par la Banque européenne d’investissement et qui aurait pour objectif d’atteindre 100 % d’énergies renouvelables d’ici 2040. Une trajectoire ambitieuse, plus que celle tracée par l’association négawatt, qui fixe une sortie des énergies fossiles en 2050, tout comme RTE.
Sur sa jambe gauche, la candidate plaide pour un « un droit de veto social » qui permettrait d’empêcher que les mesures prises par l’UE dégradent les conditions de vie des plus précaires. Fidèle à l’ADN d’EELV, Marie Toussaint propose aussi un bon fédéral, en souhaitant que l’Union européenne puisse « lever des impôts » afin d’aboutir à « union fiscale » entre les 27. Toujours sur le plan institutionnel, Marie Toussaint veut « changer de modèle » via une « assemblée constituante européenne » à même de « réviser les traités et aboutir à une proposition de Constitution européenne ». Un programme aussi vaste que son format.
Manon Aubry veut « tout changer »
À gauche radicale, projet radical. Si, comme Marie Toussaint ou Raphaël Glucksmann, Manon Aubry veut changer les règles, l’insoumise ambitionne de détricoter les outils « d’austérité » plutôt que d’aller vers plus d’intégration européenne comme le proposent ses deux camarades de gauche. Parmi les 485 mesures qu’elle avance, la candidate LFI prône l’abrogation du Pacte de stabilité et de croissance (la fameuse règle des 3 %), l’instauration d’un ISF européen, la fin des accords de libre-échange, la sortie du marché européen de l’électricité (comme le Rassemblement national), l’instauration d’un « RIC européen », ou l’objectif de 100 % d’énergies renouvelables à horizon 2050.
Contre le « dumping social », Manon Aubry entend aussi restreindre la directive sur le travail détaché et « établir un salaire minimum européen d’au moins 75 % du salaire médian de chaque pays, soit 1 600 € net en France ». Son programme comprend aussi un volet diplomatique, où l’on retrouve les positions insoumises sur la guerre en Ukraine ou sur Gaza. À noter que ces derniers thèmes occupent dans ce document une place inversement proportionnelle au bruit médiatique et à la focalisation sur ces sujets entreprise par Jean-Luc Mélenchon dans cette campagne.
LR + RN = Marion Maréchal
Prenez ce que proposent François-Xavier Bellamy et Jordan Bardella, mélangez tout dans un shaker, ajoutez un zest de discours identitaire, et vous obtiendrez le programme de Marion Maréchal. Dans ses 92 propositions, la nièce de Marine Le Pen prône effectivement nombre de mesures que l’on retrouve chez ses rivaux de droite et d’extrême droite. Le Frexit sans le dire avec « la primauté du droit national sur le droit européen » comme le RN ? C’est au deuxième chapitre de son programme. Le rétablissement des contrôles aux frontières dans l’espace Schengen voulu par LR ? C’est l’un des tout premiers points de son fascicule. La suppression des subventions aux ONG qui viennent en aide aux migrants : dans les programmes de Marion Maréchal et Jordan Bardella. « Supprimer la directive européenne sur le regroupement familial » ? C’est aussi proposé par François-Xavier Bellamy.
La seule différence de taille avec LR et le RN, c’est que la tête de liste Reconquête ! assume davantage la dimension civilisationnelle et identitaire de son projet. Elle est la seule, par exemple, à vouloir « inscrire dans les traités la mention des racines grecques, latines et chrétiennes de l’Europe ». François-Xavier Bellamy ne va pas si loin, même s’il partage avec Marion Maréchal la volonté d’interdire tout financement à des projets faisant l’apologie du « wokisme ».
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