Espagne: une loi d'amnistie pour les indépendantistes catalans votée par le Parlement

Scrutin serré et ambiance survoltée. Après deux heures d'une session très tendue marquée par des insultes, la loi d'amnistie pour les indépendantistes catalans a été approuvée par 177 voix contre 172, la majorité absolue étant de 176.

Mesure très controversée du gouvernement de Pedro Sánchez, cette loi permettra le retour des indépendantistes encore en exil, après la tentative de sécession avortée de 2017, comme Carles Puigdemont.

Ce vote du Congrès des députés, où le Premier ministre Pedro Sánchez dispose de la majorité absolue grâce à l'appui des deux partis indépendantistes catalans, est l'aboutissement d'une longue bataille qui a dominé et radicalisé la vie politique espagnole depuis les élections de juillet dernier.

Les députés avaient déjà adopté le projet de loi d'amnistie le 14 mars, mais le Sénat, contrôlé par l'opposition de droite, y avait mis son veto deux mois plus tard, renvoyant le texte à la chambre basse, qui a donc eu le dernier mot.

Le Parti populaire (PP), principale formation d'opposition, et le parti d'extrême droite Vox ont livré un dernier baroud d'honneur avant le vote, dénonçant ce qu'ils ont qualifié de "corruption politique".

Pour leur part, les deux partis indépendantistes catalans ont averti que cette amnistie n'était pas la fin de leur combat pour l'indépendance, mais une simple étape.

"Jour historique"

Ce vote est "une bataille dans le conflit qui existe depuis des siècles entre les deux nations", la catalane et l'espagnole, a déclaré la porte-parole du parti de Carles Puigdemont (Ensemble pour la Catalogne), Miriam Nogueras, qui a évoqué "un jour historique".

Son homologue Gabriel Rufián, de Gauche républicaine de Catalogne (ERC), l'autre parti indépendantiste catalan, a averti que le "prochain arrêt" sur la voie menant à l'indépendance était l'organisation d'un référendum.

Pedro Sánchez affirme que l'amnistie a pour but de mettre fin à l'instabilité née de la tentative avortée de la Catalogne (nord-est de l'Espagne) de proclamer unilatéralement son indépendance en octobre 2017, lorsque le gouvernement régional était dirigé par Carlos Puigdemont, qui vit depuis en exil.

Le gouvernement régional de Carlos Puigdemont avait organisé, le 1er octobre 2017, un référendum d'autodétermination, en dépit de son interdiction par la justice.

Près d'un mois plus tard, le parlement local déclarait unilatéralement l'indépendance de la région, entraînant immédiatement sa mise sous tutelle par le gouvernement espagnol et la révocation du gouvernement local.

Une loi d'amnistie comme garantie politique

Les principaux dirigeants séparatistes avaient alors été incarcérés ou avaient fui à l'étranger. Il s'était agi de l'une des pires crises vécues par l'Espagne depuis le retour du pays à la démocratie après la fin de la dictature franquiste en 1975.

Mais cette mesure d'amnistie, qui doit bénéficier à environ 400 personnes - au premier rang desquelles Carlos Puigdemont - est surtout le prix que Pedro Sánchez a dû payer pour être reconduit au pouvoir en novembre.

Les deux partis indépendantistes catalans, à commencer par celui de Carlos Puigdemont, avaient, en effet, exigé cette amnistie en contrepartie du soutien de leurs 14 députés, sans lequel Pedro Sánchez n'avait aucune chance de rester Premier ministre.

Depuis lors, le PP est vent debout contre cette loi d'amnistie, qu'il considère comme "inconstitutionnelle" et contre laquelle il a organisé de nombreuses manifestations, la dernière ayant réuni des dizaines de milliers de personnes dimanche à Madrid.

"Vous avez menti!"

Les responsables de l'opposition ne manquent jamais de rappeler que Pedro Sánchez lui-même avait exprimé son refus d'une amnistie durant la campagne pour les élections du 23 juillet, avant que l'arithmétique parlementaire ne le force à changer d'avis.

"Vous avez menti aux Espagnols, parce que vous aviez promis de ne pas le faire!", a lancé jeudi le leader du PP, Alberto Núñez Feijóo. Cette loi d'amnistie, a-t-il dit, "est un échange de pouvoir en contrepartie de l'impunité".

"Vous allez amnistier vos partenaires d'investiture simplement pour rester au pouvoir", a, pour sa part, affirmé le leader de Vox, accusant aussi Pedro Sánchez de vouloir détourner l'attention du public de "la corruption" et lui reprochant également la récente reconnaissance de l'Etat de Palestine.

Les mots de Santiago Abascal ont déclenché une violente réaction des bancs de l'extrême gauche et des socialistes, d'où ont fusé des cris de "fascistes!" ou "pro-nazis!"

M. Puigdemont avait déclaré durant la campagne pour les élections régionales catalanes du 12 mai qu'il espérait pouvoir être présent pour le débat d'investiture du nouveau gouvernement, dont la date n'a pas encore été fixée, mais qui devra avoir lieu au plus tard le 25 juin.

Mais on ne sait pas avec certitude si le mandat d'arrêt qui pèse sur lui sera levé à temps. La loi doit d'abord être promulguée par le roi Felipe VI et publiée au Journal officiel, dans un délai maximum de 15 jours. Elle devra ensuite être appliquée par les tribunaux, ce qui ne sera pas forcément une formalité.

Article original publié sur BFMTV.com