Erdogan accuse l'Europe, le HDP boycotte le Parlement

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a accusé ce dimanche l'Europe d'encourager le terrorisme en soutenant le PKK, ajoutant qu'il se moquait d'être traité de dictateur par les dirigeants européens. /Photo prise le 20 septembre 2016/REUTERS/Eduardo Muñoz

par Tuvan Gumrukcu et Gulsen Solaker ANKARA (Reuters) - Le président turc Recep Tayyip Erdogan a accusé dimanche l'Europe d'encourager le terrorisme en soutenant le PKK, ajoutant qu'il se moquait d'être traité de dictateur par les dirigeants européens. Le HDP (Parti démocratique des peuples) a parallèlement annoncé un boycott partiel du Parlement pour protester contre le placement en détention de ses deux co-présidents et de plusieurs autres de ses députés. Les arrestations, il y a deux jours, des chefs et élus du parti d'opposition prokurde et troisième force politique au Parlement ont suscité de vives réactions internationales. Ankara accuse le HDP de liens avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, séparatiste), ce qu'il dément. La direction du HDP a précisé que ses élus ne prendraient plus part aux sessions en assemblée générale ou en commissions. Les responsables du HDP vont consulter leur base et pourraient même envisager un retrait total du Parlement. Réagissant dans un discours télévisé au tollé suscité par l'offensive contre le HDP, qui s'ajoute à la vaste purge entreprise par le pouvoir turc dans la fonction publique depuis le putsch raté du 15 juillet, Recep Tayyip Erdogan a accusé l'Europe d'encourager le terrorisme. "Je me fiche qu'ils me traitent de dictateur ou de quoi que ce soit d'autre. Ça entre par une oreille, ça sort par l'autre. Ce qui m'importe, c'est ce que le peuple dit de moi", a poursuivi Erdogan. Le chef de l'Etat a déclaré que le PKK était responsable de la mort de près de 800 membres des forces de sécurité et de plus de 300 civils depuis qu'un cessez-le-feu a volé en éclats durant l'été 2015, pendant lequel Ankara a lancé une double offensive contre le PKK et l'Etat islamique. Dans un autre discours télévisé, le Premier ministre Binali Yildirim a accusé le HDP de financer le PKK. "Depuis des années, ils transfèrent l'argent que nous envoyons aux communes au terrorisme", a encore dit le chef du gouvernement, ajoutant: "Quiconque nuit à cette nation devra en payer le prix. Pas seulement ceux qui posent des bombes, mais aussi ceux qui soutiennent le terrorisme." Les autorités turques affirment que le HDP est la vitrine politique du PKK et reprochent formellement aux élus arrêtés d'avoir refusé de témoigner dans des affaires de "propagande terroriste". "PEU IMPORTE CE QU'ILS DISENT" Les deux co-présidents du HDP, Selahattin Demirtas et Figen Yuksekdag, ont été arrêtés dans la nuit de jeudi à vendredi et placés en détention provisoire. Dix autres députés du parti ont également été arrêtés, certains ont depuis été remis en liberté. Les Etats-Unis ont exprimé leur profonde préoccupation, l'Allemagne et le Danemark ont convoqué des diplomates turcs et le président du Parlement européen, Martin Schulz, a déclaré que ces interpellations "remettaient en cause le fondement d'une relation durable entre l'UE et la Turquie". "Plus nous continuerons le combat, plus nous les entendrons couiner. Peu importe ce qu'ils disent, nous continuerons jusqu'à ce que notre drapeau flotte sur toutes les provinces", a déclaré Binali Yildirim dimanche dans son discours. "Que tous leurs soutiens le sachent, à l'intérieur et à l'extérieur de la Turquie", a-t-il martelé. Le HDP a obtenu cinq millions de voix lors des élections législatives de novembre 2015, devenant le premier parti kurde à dépasser les 10% des suffrages et entrer au Parlement. Il a envoyé 59 députés au Parlement, où siègent 550 élus. Leur immunité parlementaire a été levée l'été dernier. Binali Yildirim a parallèlement accusé le PKK d'avoir commis un attentat à la voiture piégée qui a fait 11 morts et plus de 100 blessés vendredi à Diyarbakir, la grande ville du Sud-Est, quelques heures après le coup de filet au sein du HDP. L'attentat a été revendiqué dimanche par un groupe dissident du PKK, le TAK (Faucons de la liberté du Kurdistan), sur un site proche de cette organisation. Le groupe Etat islamique s'est également attribué la responsabilité de cette attaque via son organe de propagande Amak. Le ministre turc des Affaires européennes, Omer Celik, a invité les ambassadeurs européens à une réunion lundi à Ankara pour les informer de la situation. (Tuvan Gumrukcu et Gulsen Solaker; Henri-Pierre André et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)