Epreuve de surf aux JO-2024 : polémique à Tahiti
Les surfeurs olympiques devront affronter certaines des plus grosses vagues du monde lorsqu'ils se rendront en Polynésie française, en juillet prochain.
Mais l'éloignement du site a soulevé de nombreuses questions d'ordre logistique et environnemental. Les autres épreuves des Jeux d'été se déroulent dans la ville hôte, Paris, à près de 16 000 kilomètres et à 10 fuseaux horaires de distance.
Emmener 48 surfeurs, juges, journalistes et autres accompagnateurs, par avion jusqu'en Polynésie française, semble en tout cas déroutant par rapport à l'ambition affichée par les organisateurs des JO de Paris de réduire de moitié l'empreinte carbone des Jeux olympiques. Quatre autres spots de surf étaient pourtant candidats : ils avaient le mérite d'être situés le long de la côte atlantique française et auraient pu être facilement atteints en train ou en bus, depuis Paris.
Tahiti a donc du se préparer. Le projet controversé de construire une nouvelle tour en aluminium destinée à accueillir les juges, pendant la compétition, a également suscité les critiques des écologistes et des surfeurs locaux, en raison de son impact potentiel sur la vie marine.
Pourquoi les Jeux olympiques de surf se déroulent-ils à Tahiti ?
Pour les amateurs de grosses vagues, l'île volcanique de Tahiti est un choix logique. Les houles géantes se forment dans les zones de tempête de l'océan Austral, au large de l'Antarctique, où vivent les baleines. Propulsées par des vents intenses, elles parcourent ensuite des milliers de kilomètres pour venir s'écraser à Tahiti, dans le Pacifique Sud.
L'endroit promet des images télévisées plus spectaculaires que lors des débuts olympiques de ce sport aux Jeux de Tokyo, en 2021.
Tahiti a aussi Teahupo'o, un village sur la côte sud avec des lagons qui reçoivent toute la force de la houle, générant un surf de rêve pour les courageux.
Des coraux des grands fonds devenus blancs à cause du réchauffement des océans
Paris 2024 : triathlon dans et autour de la Seine, un "test event" à enjeux pour la France
"Si les conditions sont vraiment bonnes, ce sera une compétition formidable à regarder", affirme le surfeur, Kauli Vaast, un espoir de médaille olympique. Les Jeux olympiques "vont être dingues".
Teahupo'o se traduit en tahitien par "mur de têtes". Ce nom fait référence à une bataille tribale au cours de laquelle des têtes étaient coupées. Ce nom est également employé pour désigner des vagues redoutables. Les fonds marins s'élèvent abruptement à l'approche des récifs de Teahupo'o, forçant l'eau à former des murs imposants et d'énormes tubes ondulants.
Ces vagues sont périlleuses. Les surfeurs qui tombent risquent d'être projetés sur les coraux tranchants et peu profonds, qui ont arraché des morceaux du visage de la surfeuse hawaïenne, Keala Kennelly, lorsqu'elle a chuté en 2011.
Comme les vagues de Teahupo'o se brisent au large, les juges olympiques doivent également se trouver dans le lagon.
La tour d'observation en aluminium soulève des préoccupations environnementales
Les organisateurs ont l'intention d'installer les juges et les caméras de télévision sur une tour en aluminium qui émergera de l'océan. Ce projet a suscité des protestations à Tahiti. Ses détracteurs craignent pour le corail et d'autres formes de vie marine.
Le surfeur tahitien, Matahi Drollet, est l'un des opposants les plus virulents. Ses vidéos de protestation sur Instagram ont été vues des centaines de milliers de fois.
Une tour d'observation à l'impact minimal existe déjà à Teahupo'o. Construite il y a 20 ans, elle a été utilisée avec succès pour juger et filmer en direct les compétitions professionnelles de la World Surf League (WSL).
Mais les organisateurs de Paris 2024 affirment que les fondations de la tour d'origine ne répondent pas aux exigences de sécurité actuelles en raison de la dégradation naturelle et de la corrosion de la structure. Une étude a montré qu'elle ne pourrait pas être remise aux normes, même si des travaux de rénovation étaient effectués.
L'option consistant à placer les juges sur le rivage ou sur un bateau ne leur donnerait pas une visibilité suffisante et ne permettrait pas une couverture télévisée adéquate, ajoutent les organisateurs des Jeux olympiques de Paris.
La nouvelle tour en aluminium, d'une valeur de 4,6 millions d'euros, serait dotée de fondations en béton, et les manifestants affirment qu'il faudrait dépeupler de vastes étendues de récifs pour faire place au forage. Matahi Drollet affirme qu'elle est construite pour fournir de l'air conditionné et des toilettes à chasse d'eau.
"Cette nouvelle construction va détruire une grande partie du récif, avec des impacts désastreux sur l'écosystème marin qui pourraient ne se révéler que dans les années à venir", assure-t-il dans une vidéo postée sur Instagram. Dans une autre vidéo, des scènes sous-marines d'un récif corallien prospère montreraient le site proposé pour la construction de la tour.
Mais les organisateurs de Paris 2024 ont réfuté cette affirmation, en partageant une vidéo du site proposé montrant un fond marin relativement plat avec du corail principalement sur les fondations d'origine. Selon eux, les nouvelles fondations seront insérées dans les intervalles des parcelles existantes afin d'éviter d'impacter le corail qui s'est développé.
Tout corail présent sur le site sera déplacé en dehors de la zone de travail selon des protocoles environnementaux stricts afin de le protéger, précisent-ils.
"La protection de l'environnement naturel de Teahupo'o a toujours été une priorité dans la conception de toutes les solutions envisagées pour le site", ont affirmé les organisateurs de Paris 2024 dans un communiqué de presse le mois dernier. "Tous les plans de développement à Teahupo'o ont été étudiés pour minimiser l'impact sur l'environnement".
En plus d'assurer la sécurité, la nouvelle tour des juges doit "garantir de bonnes conditions pour l'arbitrage de la compétition, notamment en offrant aux juges la visibilité nécessaire sur l'ensemble de la vague", ajoutent-ils.
Les militants s'inquiètent
Selon Matahi Drollet, la construction pourrait entraîner la propagation de la ciguatera, une maladie qui empoisonne les poissons et les rend immangeables**,** ce qui est particulièrement préoccupant pour le village de pêcheurs. Des constructions antérieures dans des environnements marins fragiles ont déclenché la maladie.
Il craint même que la tour ne modifie les vagues dans la région.
"L'impact et les risques sont trop importants pour seulement trois jours de concours", déclare Matahi Drollet.
"Aucune compétition au monde ne vaut la destruction de la nature", confie-t-il dans une vidéo. "Cela va à l'encontre de la véritable valeur du surf et du sport en général".
Titouan Bernicot, fondateur et directeur général de Coral Gardeners, un projet de plantation de coraux en Polynésie française, ajoute : "qu'allons-nous dire à la prochaine génération que, pour trois jours de compétition, nous avons pu détruire l'un des écosystèmes les plus importants de notre planète ?"
Selon eux, ces projets sont en contradiction avec la promesse de Paris 2024, énoncée sur son site web, de "placer le développement durable au cœur de son projet et d'inspirer de nouvelles normes".
À partir de janvier, les organisateurs de Paris 2024 organiseront des réunions publiques mensuelles au cours desquelles les associations, les habitants et les parties prenantes pourront faire part de leurs préoccupations. Des représentants des associations ont également été invités à assister à chaque étape de l'installation de la tour, à partir de ce mois-ci.
Les organisateurs ont déjà opté pour une tour plus petite et plus mince que celle prévue à l'origine, afin de minimiser son impact sur l'environnement. Cela permettra de réduire la profondeur des forages pour les fondations et d'utiliser une barge à faible tirant d'eau, pendant la phase de construction.
Les Jeux olympiques pourraient stimuler le tourisme à Tahiti
Kauli Vaast reconnaît que l'empreinte des Jeux olympiques sur le lagon de Teahupo'o suscite de nombreuses inquiétudes : "nous avons tous peur s'ils font quelque chose de grand".
Mais il s'attend également à ce que les projecteurs olympiques stimulent l'industrie du tourisme, qui est à la base de l'économie tahitienne.
"Ce sera formidable de voir que beaucoup de gens s'intéressent à la Polynésie française", affirme-t-il. "Et les constructions pour les Jeux olympiques et autres créent beaucoup de travail pour la population locale".
Kauli Vaast, 21 ans, espère que les conditions de surf légendaires de l'île lui permettront de décrocher une médaille d'or. Il est l'un des deux seuls surfeurs de Polynésie française qualifiés à ce jour. L'autre est Vahine Fierro dans la compétition féminine.
Ayant grandi au milieu du vaste Pacifique, Kauli Vaast a nagé, pêché et surfé lorsqu'il était enfant. Il n'avait que huit ans lorsqu'il a affronté les vagues de Teahupo'o, pour la première fois.
Il se souvient avoir été terrifié par leur réputation, mais il a été séduit par leur beauté et leur puissance. Les Tahitiens disent que les vagues ont du "Mana", une énergie spirituelle vitale. Kauli Vaast pense que sa connaissance intime de Teahupo'o lui donne l'avantage du terrain et la "chance d'une vie" en juillet.
"Je ne ressens cette énergie nulle part ailleurs dans le monde, seulement à Tahiti, à Teahupo'o", confie Kauli Vaast, qui voyage souvent sur le circuit du surf. "Quand vous allez là-bas, vous devez être respectueux parce que si vous le respectez, l'océan vous respectera aussi".
Pour la France, le site tahitien permettra au pays hôte de mettre en valeur ses liens historiques avec le Pacifique et d'impliquer ses lointains territoires d'outre-mer dans les Jeux d'été.
Teahupo'o, le joyau de Tahiti, est prêt à impressionner.
Quand vous êtes dans le tonneau, vous voyez les montagnes et les couleurs qui sont "super claires", confie le surfeur tahitien. "Vous pouvez voir les coraux en dessous. C'est magnifique. Le plus bel endroit du monde".