Entre Emmanuel Macron et Giorgia Meloni, l'heure des mains tendues après le temps des crises

Giorgia Meloni et Emmanuel Macron se sont entretenus pendant environ une heure ce mardi à Rome sur le dossier migratoire. Si les relations s'étaient crispées en novembre 2022, lorsque l'Italie avait refusé d'accueillir le navire humanitaire Ocean Viking, les deux dirigeants ont multiplié les déclarations d'apaisement depuis l'arrivée de milliers de migrants à Lampedusa.

C'est un entretien qui symbolise le réchauffement de leurs relations. Emmanuel Macron a longuement échangé avec son homologue italienne Giorgia Meloni ce mardi. De passage à Rome pour participer aux obsèques de l'ancien président Giorgio Napolitano, il a pu aborder avec la dirigeante d'extrême droite le dossier migratoire, symbolisé ces derniers jours par l'arrivée de milliers de personnes sur la petite île italienne de Lampedusa.

Sur ce sujet, Emmanuel Macron et Giorgia Meloni ont récemment multiplié les déclarations d'apaisement et de volonté d'agir de concert pour gérer les flux de migrants.

"Entente de raison"

Les deux dirigeants se sont accordés ce mardi sur la "nécessité de trouver une solution européenne à question migratoire", a indiqué l'Élysée. Ils se reverront vendredi à Malte à l'occasion du dixième sommet des pays du sud de l'Union européenne avant une réunion informelle du Conseil européen le 4 octobre à Grenade (Espagne).

L'historien Marc Lazar voit en leur rapprochement une "entente de raison".

"Ils ont des divergences politiques fondamentales mais pour le moment, les deux gouvernements essayent de montrer qu'ils agissent main dans la main" face à leurs défis communs, juge-t-il.

Pour autant, les relations entre la présidente du conseil italien, à la tête d'une coalition ultraconservatrice, et le président français, qui se revendique d'un progressisme franchement pro-européen, n'avaient pas commencé sous les meilleurs auspices.

Le précédent de l'Ocean Viking

Dès la victoire de Giorgia Meloni aux législatives de septembre 2022, l'axe Rome-Paris qui s'était resserré sous Mario Draghi s'était à nouveau distendu. La Première ministre française Élisabeth Borne avait mis l'Italie en demeure de "respecter" les droits humains et le droit à l'avortement en Italie. Une gifle pour la nouvelle majorité.

En novembre, conformément aux promesses de Giorgia Meloni de "bloquer" les débarquements de migrants, l'Italie déclenchait une crise diplomatique en refusant d'accueillir le navire humanitaire Ocean Viking et les 230 personnes à son bord.

La France l'avait laissé accoster en dénonçant le comportement "inacceptable" de Rome. Au printemps suivant, le ministre français de l'Intérieur Gérald Darmanin rallumait la mèche en jugeant Giorgia Meloni "incapable de régler les problèmes migratoires sur lesquels elle a été élue". En Italie, les réactions politiques ont été violentes. Mais rapidement les deux dirigeants décidaient de se parler, multipliant les appels et les entrevues bilatérales, comme au G7 en mai au Japon.

"On ne peut pas laisser les italiens seuls"

Et c'est le brûlant dossier migratoire qui, paradoxalement, est venu jouer les juges de paix ces dernières semaines: mi-septembre, 8.500 migrants débarquent en trois jours sur l'île de Lampedusa.Confetti italien situé à moins de 150 km du littoral tunisien, il représente l'une des premières escales pour les migrants qui franchissent la Méditerranée en espérant gagner l'Europe. Giorgia Meloni fait venir sur l'île Ursula von der Leyen qui annonce un plan d'aide d'urgence. A Paris, le ton se fait plus conciliant: Giorgia Meloni qui appelle l'Union européenne au secours, c'est une aubaine.

"On ne peut pas laisser les Italiens seuls", plaide Emmanuel Macron.

Même changement de pied chez les Italiens. En déplacement lundi soir à Paris, le chef de la diplomatie italienne Antonio Tajani adresse un satisfecit à la "solidarité" française. Selon certains analystes, Bruxelles et Paris souhaitent utiliser leur aide à l'Italie comme un levier pour que Giorgia Meloni presse ses alliés souverainistes, la Hongrie et la Pologne, d'accélérer la réforme du Pacte asile et immigration.

Contexte tendu entre Rome et Berlin

Les critiques italiennes se portent maintenant sur l'Allemagne, accusée d'avoir temporairement cessé d'accepter des migrants vivant en Italie, après que Rome elle-même a suspendu les règles européennes régissant la répartition des migrants. Rome reproche également à Berlin de financer des ONG aidant les migrants dans son pays.

Pour le quotidien de centre-gauche La Repubblica, Giorgia Meloni, en défiant l'Allemagne, cherche à se "construire un ennemi" pour mieux vendre sa volonté de rapprochement avec Bruxelles et Paris. Le dégel franco-italien doit beaucoup au calendrier: Giorgia Meloni et Emmanuel Macron veulent faire la preuve de leur capacité à trouver des solutions à l'approche des élections européennes de 2024.

"Adieu Françafrique"

Bien qu'adversaires au Parlement de Strasbourg, ils entendent se poser en gouvernants pragmatiques, au-dessus de la mêlée, face à leurs trublions respectifs, ancrés à l'extrême droite, Matteo Salvini et Marine Le Pen, tenants d'une ligne dure, nationale et nationaliste pour juguler l'immigration.La Ligue anti-migrants de Matteo Salvini est membre de la coalition gouvernementale de Giorgia Meloni et lui-même en est un des deux vice-Premiers ministres avec Antonio Tajani.

Au-delà du dossier migratoire, l'Italie et la France partagent une stratégie de soutien à l'Ukraine. Ils défendent aussi, avec l'Espagne et face à l'Allemagne et les pays dits "frugaux", la même ligne sur le pacte de stabilité.

Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres sujets de friction, par exemple en Afrique, où l'Italie "veut mettre le pied dans la porte" en profitant du reflux français, note Marc Lazar. "Adieu Françafrique", a écrit mardi le journal turinois La Stampa.

Article original publié sur BFMTV.com

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