Enseignant tué à Arras: comment parler de l'attentat à son enfant

Enseignant tué à Arras: comment parler de l'attentat à son enfant

Alors que de nombreux rassemblements sont prévus ce lundi en hommage à l'enseignant tué vendredi lors d'une attaque au couteau dans son lycée d'Arras, que dix personnes sont toujours en garde à vue et que l'assaillant interpellé ne s'est toujours pas exprimé sur les faits, comment parler de ce drame à son enfant ou son adolescent?

• Évaluer le niveau de connaissance

Première étape: évaluer le niveau de connaissance et d'information de son enfant, estime Marie Danet, maîtresse de conférences en psychologie du développement à l'université Lille-III et psychologue clinicienne. "Même des enfants plus jeunes peuvent en avoir entendu parler, par les copains, leurs frères et sœurs. Certains ont parfois déjà accès aux réseaux sociaux", met-elle en garde.

Pour les parents, cela permet à la fois d'identifier ce que l'enfant sait mais aussi ne sait pas et surtout de rétablir le vrai du faux. "Beaucoup de fausses informations circulent, avec notamment d'anciennes images ou vidéos sorties de leur contexte", observe Marie Danet.

"On peut tout à fait mettre son enfant en garde et lui rappeler qu'il est important de vérifier la source d'une information et que certaines ne sont pas valables."

Et dans le cas où un enfant ne serait pas au courant de ce qui s'est passé vendredi à Arras, il n'est pas obligatoire d'imposer le sujet, précise cette spécialiste. "L'enfant peut ne pas avoir saisi le risque et la gravité, il n'est pas nécessaire de susciter cette inquiétude", pointe Marie Danet.

Pas utile, donc, de lui demander pas exemple de faire attention s'il voit quelqu'un qu'il ne connaît pas dans son école ou de lui rappeler que l'alerte instrusion - exercice organisé au moins une fois par an dans chaque établissement scolaire - sert justement à se préparer à ce type d'incident.

"Mais on peut tout à fait lui dire que si quelque chose l'inquiète à l'école, que s'il a entendu de parler d'un événement qui lui fait peur, il peut nous en parler."

• Que dire à un enfant?

Le premier réflexe est d'adapter la parole de l'adulte à l'âge de l'enfant, prévient la pédopsychiatre et psychanalyste Dominique Tourrès-Landman. "On ne s'adresse pas de la même manière à un enfant de 6 ou de 12 ans", assure-elle.

En ce qui concerne les plus jeunes, s'il n'est pas nécessaire de tout dire, estime-t-elle, "il est possible de rationaliser la situation". De rappeler par exemple qu'il s'agit d'un événement tragique mais exceptionnel, que les forces de l'ordre sont mobilisées et que les écoles ont mis en place des dispositifs pour assurer la sécurité des personnels et des élèves - le ministre de l'Éducation nationale, Gabriel Attal, a d'ailleurs assuré ce lundi vouloir renforcer la sécurité des établissements scolaires.

Même point de vue pour le psychologue spécialiste de l'enfant et de l'adolescent Jean-Luc Aubert, auteur de la chaîne Youtube "Question de psy". "On peut tout à fait mettre en perspective ce qui s'est passé à Arras en expliquant que le terrorisme est terrible mais que cela ne concerne que quelques personnes qui n'ont pas trouvé d'autres manières de s'exprimer que par la violence."

Mais quelles réponses formuler à l'enfant? Pour le psychiatre, psychanalyste et thérapeute familial Pierre Sabourin, cela dépend des questions ou réflexions de l'enfant lui-même. "On ne va lui raconter l'histoire du monde", prévient-il.

"Mais on peut tout à fait formuler une réponse simple et adaptée qui va rassurer l'enfant."

Car selon lui, le plus grand risque, c'est que les parents ne transmettent leur anxiété. Une analyse que partage le psychiatre Maurice Bensoussan. "La posture parentale est essentielle", rappelle-t-il. "Sans neutraliser les choses, l'idéal est de ne pas tomber dans une forme de panique".

• Comment réagir s'il a peur?

Si un enfant ou un jeune adolescent formule une peur, notamment qu'un incident similaire ne se reproduise dans son école, l'universitaire et psychologue Marie Danet recommande là aussi de donner des éléments plus larges. "On peut tout à fait dire à son enfant que quelque chose de dramatique a eu lieu, mais qu'à l'échelle de toutes les écoles de France, le risque qu'il ne se reproduise dans son école est quasi-nul'," explique-t-elle.

Maurice Bensoussan, le président de l'Association française de psychiatrie et du Syndicat des psychiatres français, ajoute un avertissement: ne pas promettre que cela ne se reproduira plus. "Il est à éviter de s'engager sur quelque chose qu'on ne maîtrise pas."

Autre recommandation: dresser la comparaison avec les risques de la vie de la vie courante, "qui sont très faibles", préconise Marie Danet. "L'idée, ce n'est pas de brosser un tableau catastrophe des dangers de la vie de tous les jours, mais plutôt de se placer sur un plan statistique."

"Et de dire: 'Oui, cet événement est grave. Mais sur toutes les écoles de France, il est très très très rare'."

• Et pour un adolescent?

Pour les plus grands - à partir du second degré - le psychiatre et psychanalyste Pierre Sabourin estime qu'il est tout à fait possible d'ancrer la tragédie d'Arras dans un contexte plus global. "Le drame n'est pas seulement local", alors qu'il s'est produit à quelques jours de l'anniversaire de la mort de Samuel Paty, cet enseignant assassiné à Conflans-Sainte-Honorine il y a trois ans. Pierre Sabourin considère ainsi qu'il n'est pas tant question de "rassurer" mais "d'échanger".

"On peut tout à fait parler à un collégien du monde et de la complexité des choses. Un adolescent, ce n'est pas un adulte mais ce n'est déjà plus un enfant."

Dans les collèges et lycées, un temps d'hommage en présence des élèves devait justement se tenir ce lundi avec une minute de silence qui doit "s'inscrire dans un temps de recueillement et de réflexion avec les élèves, organisé à l'appréciation des équipes pédagogiques", selon le ministère de l'Éducation nationale.

• Comment susciter le dialogue?

Pas toujours évident de dialoguer avec son adolescent. "La question, c'est comment on aborde l'exposition et la dimension traumatique d'un événement", qu'il s'agisse de ce qui s'est passé à Arras ou de tout autre événement dramatique, s'interroge le psychiatre Maurice Bensoussan. Pour ce spécialiste, la première réponse demeure dans la posture des parents.

"C'est important de susciter une parole, même s'il ne pose pas de question."

Pour les adultes, la posture reste la même: demeurer à l'écoute et rester disponible pour ouvrir la porte à un échange. "Les adolescents peuvent ne pas en parler sur le moment", pointe Marie Danet, qui remarque que ces derniers préfèrent souvent en parler entre eux.

"Mais cela ne signifie pas qu'ils ne pourront pas aborder le sujet plus tard."

Enfin dernier conseil de Maurice Bensoussan: ne pas minimiser les craintes, les peurs ou les angoisses. "Laisser s'exprimer son émotion et ne pas la banaliser permet déjà de s'en libérer."

Article original publié sur BFMTV.com