ENQUETE LIGNE ROUGE - Charlie Hebdo et Hyper Cacher, la vie d'après

Une couverture du journal satirique Charlie Hebdo. - MARTIN BUREAU
Une couverture du journal satirique Charlie Hebdo. - MARTIN BUREAU

Le jour de l'attentat du 7 janvier 2015, Anne se trouve dans l'immeuble de Charlie Hebdo lorsque les terroristes pénètrent dans le bâtiment et exécutent 10 personnes par balles, dont plusieurs dessinateurs emblématiques du journal satirique qui avait publié des caricatures de Mahomet.

Ce jour-là, Anne, qui est alors cadre dirigeante, s'apprête à signer un contrat important dans cet immeuble, un étage en-dessous de la rédaction de Charlie Hebdo. Alors qu'elle démarre son rendez-vous, les terroristes pénètrent dans le bâtiment.

"La personne avec qui on avait rendez-vous est arrivée et venait juste de s'installer lorsqu'on a entendu du bruit en bas, des coups de feu, puis une forte odeur de poudre. (...) Et tout à coup je me suis retournée vers la porte de la salle de réunion, et j'ai vu un individu masqué tout en noir qui me braquait une kalachnikov sur la tête en me disant. 'Charlie Hebdo t'es qui?'", raconte Anne. La jeune femme ne le sait alors pas, mais il s'agit en fait de Chérif Kouachi.

"Des coups de feu à n'en plus finir"

"Ne comprenant absolument pas ce qui se passait, je n'ai pas répondu. Mais il avait une telle détermination dans les yeux que j'étais persuadée qu'il allait tirer", se souvient-elle au micro de BFMTV. "Là, avec toutes les personnes qui étaient présentes, on s'est tous réfugiés sous des bureaux. (...) On y est restés cachés et ensuite on a entendu des hurlements au-dessus de nos têtes et des coups de feu à n'en plus finir".

À l’étage du dessus, les terroristes sont en train d'abattre l’équipe de Charlie Hebdo. Onze personnes meurent sous les balles de Chérif et Saïd Kouachi. "On était tous agglutinés, persuadés qu'ils allaient revenir. On s'est dit 'Bon, après la tuerie qu'ils viennent de faire, ils vont revenir et nous achever".

Anne reste finalement cloîtrée une heure et demi sous cette table de bureau, avant de pouvoir s’enfuir. Bien qu'elle se croie alors capable de surmonter cette épreuve, le choc est plus profond qu’elle ne l’imagine. Sa vie s'est depuis figée, elle n'a pas repris le travail, et n'a jamais pu reprendre le train ni même l'avion.

"Depuis 5 ans, je n'ai pas repris l'avion, le train. Avant c'était monnaie courante, il ne se passait pas une semaine sans que je prenne l'avion. Le train c'est la même chose. Me trouver enfermée sans issue possible, surtout avec les attentats qui ont été déjoués dans des TGV, je me dis 'prendre le TGV pour voir un terroriste surgir à tout moment, ce n'est pas possible'".

À Paris, "je ne me sentais pas du tout en sécurité"

Ce jour-là, Laurent Léger est lui assis à côté de Charb à la table de la conférence de rédaction, lorsque les terroristes se mettent à tirer. Le reporter a le réflexe de se cacher sous la table.

"Je n'ai jamais revécu le moment où j'ai vraiment réussi à me glisser sous la table, derrière, pour me cacher", confie-t-il à BFMTV. "Ce sont quelques secondes qui apparraissent comme des heures où on pense à ses proches, on revoit tout défiler comme ça en un éclair, pendant qu'on voit les jambes d'un assassin marcher devant vous, ça c'est quelque chose que je ne souhaite à personne de vivre".

Depuis cette journée de janvier 2015, Laurent Léger a repris le travail dans la capitale. Un choix que toutes les victimes n'ont pas réussi à faire. Après l'attentat, Zarie Sibony, une des otages de l'Hyper Cacher le 9 janvier 2015, a choisi de quitter la région parisienne, et même la France.

Pour elle, l’idée de quitter la France pour s’installer en Israël s'est très vite imposée après l'attentat. "Il était hors de question que je reste à Paris même", affirme la jeune femme. "Mes parents habitent encore là-bas et je suis obligée de rentrer de temps en temps pour les voir. Mais ils savent que quand je suis là-bas, je ne suis pas bien, je reste le moins de temps possible, je ne me sens pas du tout en sécurité, ça me rappelle toujours l'attentat, ça me rappelle toujours ce qui s'est passé, j'ai une angoisse que je saurais expliquer, mais je préfère être ici".

"La balle est passée à 5 cm de moi"

Le 9 janvier, Zarie Sibony a vécu un calvaire de plus de 4 heures. Alors que la France entière suivait avec effroi la prise d’otages en direct à la télévision, la jeune étudiante de 23 ans se trouvait à sa caisse, à l’intérieur du supermarché. La jeune femme ne comprend pas immédiatement ce qui se passe.

À l'époque, "je fais face (à Amedy Coulibaly), mais je n'ai toujours pas compris qu'il est venu pour tuer", raconte la victime. "Je voyais qu'il avait deux Kalachnikov dans les mains, qu'il avait énormément de munitions sur son gilet pare-balles".
"Il m'a dit: 'Ah, t'es pas encore morte, toi tu ne veux pas mourir?' et il a tiré", se souvient Zarie. "Mais encore une fois, je ne sais pas comment il a fait pour me rater parce que j'étais vraiment en face de lui. Et même à ce moment-là, je ne me rendais pas compte que j'avais frôlé la mort, la balle est passée à 5 cm de moi, parce que j'ai vu l'impact sur ma caisse".

Dans le supermarché, l'étudiante est alors forcée d'obéir aux ordres du jihadiste, qui lui demande de fermer les portes du magasin. Face à elle, un client tente d'entrer dans le magasin, ignorant tout de la scène qui s'y déroule.

"L'homme ne peut pas savoir ce qui se passe, une prise d'otage en plein Paris", se remémore Zarie. "Il est au téléphone, et là je vois qu'il ne comprend pas trop ce qui se passe car il voit un corps par terre puis au loin le terroriste avec son gilet, puis il me voit avec mon air terrorisé. Là, il comprend, se retourne pour sortir et le terroriste lui tire deux balles dans le dos. Après ça je ne pouvais plus bouger, car j'ai vu que c'était clair: il tuait des gens comme ça, pour rien, en 5 secondes".

Au moment où elle est contrainte de fermer les grilles de l'établissement, la jeune fille se souvient avoir pensé "ça y est, je suis en train de nous enterrer vivants". Lorsque les grilles se rouvrent finalement pour que les forces de l'ordre mènent l'assaut, Zarie dit avoir l'impression que "cela dure des années". "Cela a a duré, peut être trois minutes, mais trois minutes quand on a les mains sur la tête, qu'on ne sait pas ce qui se passe et qu'on entend que ça tire, on ne sait pas qui tire sur qui, c'est horrible".

Article original publié sur BFMTV.com