Enquête exclusive sur le football : comment des pédocriminels exercent leur emprise comme recruteur

VIOLENCES SEXUELLES - « Il ne fallait rien dire aux autres. Il fallait que ça reste entre lui et nous. Il fallait dire oui et se laisser faire. » Ces mots sont ceux d’un jeune joueur de football professionnel qui témoigne anonymement dans le numéro d’Enquête Exclusive diffusé ce dimanche 19 novembre sur M6. Il raconte les viols à répétition qu’il a subis de la part d’un recruteur lorsqu’il était adolescent.

Ce nouveau documentaire intitulé « Foot et violences sexuelles : la bombe à retardement » met en lumière l’omerta qui règne dans le milieu du football amateur et professionnel. Selon un rapport du Conseil de l’Europe cité par l’enquête, un enfant sur sept est victime d’agressions sexuelles dans le monde du sport.

À côté des deux millions de bénévoles qui s’investissent dans les 365 000 associations sportives françaises, une profession passe sous les radars : recruteur. Les pédocriminels qui se cachent derrière cette étiquette adoptent plus ou moins la même stratégie de manipulation. Ils font miroiter des carrières professionnelles à des jeunes en échange de faveurs sexuelles.

Le rêve d’une carrière professionnelle

« Il voulait me faire changer de statut et me faire intégrer un club professionnel. Il fallait faire des sacrifices. Il nous manipulait comme ça », raconte le joueur anonyme au sujet d’Ahmed Gueninèche. Condamné en 2022 à 18 ans de réclusion criminelle pour viol et agression sexuelle sur 13 mineurs, il a été en contact avec plus de 1 500 jeunes dans les dizaines de clubs qu’il a fréquenté pendant 30 ans.

Son mode opératoire ? Il cible des jeunes de banlieue vulnérables et tisse un lien de confiance, à coups de cadeaux et d’invitation au restaurant. Grâce à son carnet d’adresses très fourni (à Auxerre, Caen, Nantes…), il entretient le rêve d’une carrière professionnelle. Selon ses victimes, les agressions et les viols avaient lieu dans un minibus pour des déplacements de détection ou au domicile d’Ahmed Gueninèche. Un ancien espoir du foot français, Vincent, raconte : « Il a tenté de me sauter dessus dans la chambre d’hôtel. Je me suis défendu et je me suis enfermé dans la salle de bains. »

Le documentaire s’intéresse aussi à Eric Olhatz, ex-entraîneur et recruteur mis en examen pour, entre autres, atteinte sexuelle sur mineur de moins de 15 ans par personne abusant de l’autorité de sa fonction. La stratégie du découvreur d’Antoine Griezmann est la même : il achète les enfants avec des maillots de grands clubs espagnols chez qui il a des contacts (Real Sociedad, Atlético Madrid…) et leur fait espérer l’entrée en centre de formation.

« J’aurais toujours des séquelles »

Les victimes décrivent la même emprise exercée par leur agresseur. Lors d’une audition pendant le procès d’Ahmed Gueninèche, l’une d’entre elles a déclaré : « J’étais naïf. Je voulais réussir grâce à ça. Je voulais aller en centre de formation. Je n’avais pas le choix. »

Idem pour Vincent. Après avoir subi une tentative de viol, son agresseur « fait comme si de rien n’était ». Et lui aussi. « Je n’allais pas me permettre de gâcher l’avenir que je pouvais avoir dans le football. » Mais sa carrière ne décollera malheureusement jamais. « Tu traînes un poids après ça. Ça te retire complètement la confiance que tu as envers les entraîneurs et les encadrants. C’est un mini-traumatisme que je garde », admet le jeune homme de 28 ans.

Pour ceux qui sont passés professionnel, les traces restent aussi à vie. « J’aurai toujours des séquelles. J’aurai toujours l’impression que c’est là. Même si tout est terminé à l’heure actuelle », témoigne le joueur anonyme.

Recruteur, le métier le moins contrôlé

Si ces agresseurs ont pu agir en totale impunité, c’est en partie à cause de nombreuses failles dans le système. Le documentaire dit bien que les 57 000 éducateurs diplômés et les arbitres passent un « contrôle d’honorabilité ». Les autorités vérifient si la personne n’est pas enregistrée au FIJAISV (Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes). Mais parmi les 264 000 encadrants bénévoles, seuls les profils des 33 000 présidents, trésoriers et secrétaires généraux sont vérifiés. Il n’y a donc pas de contrôle obligatoire pour les 231 000 personnes restantes.

Les recruteurs font partie de ceux qui peuvent aisément passer sous les radars de la Fédération Française de Football. « Pour être recruteur de joueur de foot en France, on ne nous demande aucune formation. On ne nous demande même pas de casier judiciaire. On ne nous demande rien en fait », assure une source anonyme. De son côté, Ahmed Gueninèche n’avait aucune fonction officielle auprès des clubs. Il ne touchait aucun salaire. « Le premier venu peut être embauché, continue cette même source. Et on a aucun moyen de vérifier pour qui le recruteur travaille. »

Face à cette situation, certains citoyens se retrouvent à faire la police. C’est le cas de Nordine, qui traque certains pédocriminels déjà connus en vérifiant s’ils sont encore licenciés dans des clubs, grâce au recensement de la FFF. Quand il en repère un, il prévient immédiatement le club en question via les réseaux sociaux. « Ça ne m’amuse pas de traquer un mec comme ça. Ce n’est pas à moi de le faire », déplore-t-il. La balle maintenant dans les mains des instances maintenant.

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