Enlèvement du journaliste Olivier Dubois : plusieurs enquêtes pointent le rôle trouble de l’armée

Olivier Dubois avait été libéré au Mali en mars après 711 jours de captivité. Le rôle joué par l’opération Barkhane avant son enlèvement pose des questions.

Près de deux mois après la libération au Mali de l’otage français Olivier Dubois, des zones d’ombre persistent autour du rôle trouble joué par l’armée française peu de temps avant l’enlèvement du journaliste, qui sera resté en captivité près de deux ans.

C’est ce qui ressort d’une vaste enquête conjointe menée par plusieurs médias - dont Le Monde et Libération - publiée ce mardi 16 mai, reposant notamment sur 180 pages de documents judiciaires français et maliens.

Celle-ci révèle notamment que les militaires de l’opération Barkhane ont utilisé le journaliste à son insu pour tenter de localiser un chef jihadiste, sans toutefois empêcher son enlèvement par l’alliance jihadiste du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), le 8 avril 2021 à Gao.

Ce jour-là, Olivier Dubois, installé à Bamako depuis 2015, se rend à Gao pour interviewer un chef du GSIM, la filiale d’Al-Qaida au Sahel. Le journaliste de 48 ans pense alors avoir planifié cet entretien dans la plus grande discrétion. Mais il est en fait suivi par l’armée française depuis des mois.

Comment ? Par l’intermédiaire du fixeur d’Olivier Dubois, un jeune Touareg qui facilite les contacts entre journalistes et personnalités du nord du Mali depuis plusieurs années. Celui-ci a déjà collaboré par le passé avec des membres de l’opération française Barkhane. Au courant de la demande d’interview d’Olivier Dubois, qu’il doit transmettre au chef jihadiste, le fixeur tient en fait informé jusque dans les moindres détails les militaires français de cette rencontre entre les deux hommes.

Les militaires avaient même promis 400 000 francs CFA (600 euros) au jeune Touareg si l’entrevue parvenait à être réalisée.

Le jour de l’enlèvement, le 8 avril 2021, une réunion confidentielle est organisée à N’Djamena (la capitale du Tchad) à laquelle participent depuis Paris des officiels. Un colonel de Barkhane souligne alors que les « derniers renseignements recueillis » accréditent « l’hypothèse d’un enlèvement » et que le journaliste doit être prévenu.

Des alertes restées sans réponse sur le terrain

Il ne le sera jamais, alors même que l’ambassadeur de France en poste à Bamako, Joël Meyer, avait aussi été prévenu la veille par le commandant de Barkhane qu’il fallait « conduire une manœuvre visant à empêcher le déplacement du journaliste à Gao ». Une alerte restée sans réponse sur le terrain.

De leur côté, les hauts gradés de l’opération française assurent qu’« aucun moyen technique » n’a été mis en place pour suivre le journaliste une fois celui-ci parti en voiture et séparé de son fixeur, ce dernier ayant finalement annoncé en dernière minute qu’il ne pourrait prendre part à l’entrevue.

Chargée d’enquêter en interne sur cette affaire, l’inspection générale des armées (IGA) a conclu fin 2021 qu’il n’y avait « pas eu de faute personnelle au sein de la force Barkhane » mais que « la sensibilité du sujet n’a pas fait l’objet d’une prise en compte à un niveau suffisant permettant de conduire (...) une action dissuasive à l’encontre du journaliste ».

Contacté par Le Monde, le ministère des Armées s’est contenté de souligner par email que le département « se réjouit de la libération » du journaliste et qu’il « coopère pleinement avec la justice » dans le cadre de « l’information judiciaire en cours ».

Contacté par l’AFP, le ministère français des Affaires étrangères a lui refusé tout commentaire « en raison de l’instruction judiciaire » en cours. L’état-major n’a quant à lui pas souhaité faire de commentaires.

De source diplomatique, on rappelle qu’une « lettre rouge » - pour fortement déconseillé - avait été envoyée à Olivier Dubois la veille de son rapt pour le dissuader de faire ce voyage.

Le journal Libération avait de son côté refusé le projet d’interview d’Olivier Dubois en raison des risques encourus.

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