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Enfants jugés après le suicide de Lucas: un tournant dans la lutte contre le harcèlement scolaire?

Quatre enfants de 13 ans vont être jugés pour "harcèlement scolaire ayant entraîné le suicide". Début janvier, Lucas, un garçon de leur collège, a mis fin à ses jours après avoir été victime de moqueries et d'insultes.

Il s'agit d'une conséquence de la toute jeune loi du 2 mars 2022 pour lutter contre le harcèlement scolaire. Quatre enfants de 13 ans vont être jugés après le suicide de Lucas, un jeune garçon du même âge scolarisé dans leur établissement à Golbey, dans les Vosges. Pour "harcèlement scolaire ayant entraîné le suicide", la peine est de dix ans de prison et 150.000 euros d'amende.

Au mois de septembre, juste après la rentrée, la famille du jeune garçon avait alerté le collège. Une réunion avait eu lieu avec tous les élèves de cette classe, et le harcèlement avait, semble-t-il, cessé. La directrice académique a indiqué que pour l'Éducation nationale, "la situation était réglée". L'enfant s'est donné la mort le 7 janvier dernier.

Un des mineurs nie le harcèlement

Une plainte a été déposée. Audition des collégiens, analyse des téléphones portables, des réseaux sociaux, l'enquête menée sous l'égide du parquet d'Épinal a établi que "le harcèlement avait pu participer au passage à l’acte suicidaire du jeune Lucas". Des faits qui se sont produits, selon le parquet, entre les mois de septembre et janvier. Dans son journal intime, le garçon évoquait son intention de mettre fin à ses jours, sans évoquer le harcèlement dont il était victime, avait fait savoir le procureur d'Épinal.

Interrogée sur BFMTV, l'avocate d'un des enfants, présumé innocent comme les trois autres, qui vont être jugés indique que son client ne reconnaît pas avoir harcelé Lucas.

"Un juge a été saisi, le juge des enfants, pour apprécier la situation et notamment regarder si des faits de harcèlement peuvent être reprochés", estime Me Béatrice Founès.

Concrètement, les quatre mineurs, deux garçons et deux filles, entendus la semaine dernière dans le cadre d'une garde à vue, vont être convoqués devant un juge pour enfant. Au regard de leur jeune âge - l'un d'eux étant âgé de 12 ans au moment des faits qui lui sont reprochés - ils pourraient être jugés, dans le bureau du magistrat, sans assesseur. Dans la loi, une présomption de discernement est établie à l'âge de 13 ans, présomption qui souffre d'exceptions.

"Il y a d’abord le travail de l’enquête avec l’exploitation des réseaux sociaux qui est fondamental. (…) Et après, quid de la sanction à donner à des mineurs qui ont dépassé la limite? Rassurez-vous la justice pénale des mineurs est très bien faite. (…) On a une bonne justice réparatrice, on a l’idée qu’on va faire primer l’éducatif sur le répressif", détaille Me Laure Boutron-Marmion, avocate spécialisée dans les dossiers de harcèlement scolaire.

Une réaction "inédite" du parquet

Avant de prendre la parole lors d'une conférence de presse ce lundi, la mère de Lucas a accordé un entretien ce week-end à Vosges Matin. "Parlez-en! N'ayez pas peur, à qui que ce soit, parlez-en! Il faut se libérer. Ne pas le prendre comme une faute. Qu'ils vivent comme ils l'entendent. Qu'ils vivent comme bon leur semble. Il y a une oreille attentive, toujours quelqu'un qui peut aider, la famille, les amis, un psychologue, la police... Il ne faut pas craindre les représailles", a-t-elle déclaré.

Espérant que les "auteurs [de harcèlement] reconnaissent leurs torts", la mère du jeune garçon estime que tout n'a pas été fait pour protéger son fils. Une enquête a été ouverte par le parquet d'Épinal pour "non dénonciation de mauvais traitements sur mineurs" et vise à faire toute la lumière sur les circonstances autour du décès de Lucas.

"Pour moi c’est inédit. On est au-delà de la réactivité pour un parquet, insiste Me Boutron-Marmion.

"Aujourd’hui, on n’a jamais eu ça, on a ça sur deux affaires de harcèlement sexuel et pas du harcèlement scolaire. En faisant ça, le parquet a imprimé une dynamique énorme et donc c’est la raison pour laquelle on a les réactions des membres de l’école", poursuit-elle.

Le collège dénonce "un tour politique"

Le principal du collège a publié une lettre dans le journal de l'établissement pour dénoncer "le tour politique et médiatique fantasmagorique" qu'a pris, selon lui, l'affaire autour du suicide de Lucas. "Les différentes équipes, le collège dans son ensemble, sont mis à mal par l’incurie de certains posés en censeurs de l’émotion suscitée. Le navire tangue mais nous gardons le cap", écrit le responsable de l'établissement.

Le collège Louis-Armand fait partie des établissements concernés par le programme pHARe (programme de lutte contre le harcèlement à l'école). Ce protocole à destination des collèges et des lycées propose des mesures spécifiques destinées à la fois à prévenir des faits de harcèlement survenant dans un établissement scolaire et à donner des outils au personnel pour intervenir. Une enquête administrative a été ouverte par l'Éducation nationale.

"Il faut continuer la prévention dans les établissements", estime Élian Pottier, président de l'association Urgence Harcèlement.

"Il y a encore beaucoup à faire. Il faut davantage d’investissements pour les proviseurs, pour les enseignants. C’est un jeune de 13 ans qui a mis fin à ses jours, ce n’est pas rien", conclut-il.

Article original publié sur BFMTV.com

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