Empire romain : tout le monde essaie de comprendre pourquoi tant d’hommes y pensent si souvent

Les statues du Tibre sur la place du Capitole à Rome. L’Histoire ne dit pas si l’homme représenté pensait aussi souvent que les hommes d’aujourd’hui à l’Empire romain, mais il y a peu de doutes.
Marco Maccarini / Getty Images Les statues du Tibre sur la place du Capitole à Rome. L’Histoire ne dit pas si l’homme représenté pensait aussi souvent que les hommes d’aujourd’hui à l’Empire romain, mais il y a peu de doutes.

LATINISTES - Tous les chemins mènent à Rome. Toutes les vidéos TikTok de ces derniers jours, en tout cas. Si vous avez fait un tour sur le réseau social récemment, vous avez sûrement vu des vidéos où des hommes répondent à une question un peu absurde : à quelle fréquence pensent-ils à la Rome antique ? Étrangement, les réponses oscillent entre plusieurs fois par mois et plusieurs fois par jour.

Un niveau d’intensité qui a poussé le New York Times à s’interroger : « Les hommes sont-ils obsédés par l’Empire romain ? ». Même Mark Zuckerberg s’est amusé de la tendance sur son réseau Threads : « Je ne sais pas si je pense trop à l’Empire romain. Je me demande ce que mes filles Maxima, August et Aurelia en pensent. » Le fondateur de Facebook a donc donné des noms latins à tous ses enfants.

Alors d’où vient cette question sur la Rome antique ? Et surtout, pourquoi est-ce que certains hommes pensent si souvent à cette période ? On fait le point.

D’Instagram à TikTok

Tout a commencé par une vidéo Instagram, publiée le 19 août, où un utilisateur surnommé Gaius Flavius écrit : « Mesdames, vous n’avez pas conscience de la fréquence à laquelle les hommes pensent à l’Empire romain. Demandez à votre mari/copain/père/frère - vous serez surprises par leurs réponses ! »

Sur X (anciennement Twitter), une Américaine raconte avoir posé la question à son mari après avoir vu la vidéo. Sa réponse ? Il y pense tous les jours. Son tweet, publié le 6 septembre, a été liké plus de 26 000 fois et entraîné plus de 1 700 réponses. Mais c’est sur TikTok qu’il a eu le plus d’influence.

Depuis plusieurs jours, de nombreuses utilisatrices du réseau social chinois postent leurs interactions avec leur époux/compagnon/père/ami et la théorie émise par « Gaius Flavius » semble se confirmer. Presque tous les hommes filmés affirment penser à l’Empire romain à une fréquence étonnante : toutes les semaines pour certains, tous les jours pour d’autres, voire, plusieurs fois par jour pour les plus intenses, comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessous.

« Comment tu veux ne pas penser à l’Empire romain ? ! »

Si la tendance s’est surtout emparée du monde anglo-saxon, quelques Françaises ont aussi posé la question aux hommes de leur vie ou de leur entourage. Dans l’une de ces vidéos, on peut entendre l’un d’entre eux, qui dit penser à l’Empire romain plusieurs fois par semaine, s’étonner de la réaction déconcertée de sa copine : « Comment tu veux ne pas penser à l’Empire romain ? ! C’est le plus grand empire qui ait jamais existé ! »

Un sondage informel auprès des hommes de la rédaction du HuffPost offre un tableau plus mitigé : sur 11 hommes interrogés, deux affirment y penser quasi quotidiennement (l’un d’entre eux se prénomme Romain, ceci expliquant peut-être cela), deux autres y pensent « au moins une fois par mois ». Pour la majorité, néanmoins, les contemplations liées à l’Empire romain sont circonscrites aux vacances en Italie et au dernier Astérix.

Le phénomène est donc à relativiser. Et comme le rappelle Susanna Elm, professeure spécialiste de l’Antiquité romaine à l’université de Berkeley (Californie) que Le HuffPost a interviewée sur le sujet, « tout peut se transformer en tendance TikTok ».

Pop culture et ponts et chaussées

Il n’empêche, vu l’ampleur de la tendance, l’Empire romain semble tout de même passionner beaucoup d’hommes. Comment expliquer l’attrait particulier de cette période historique ?

Il y a bien sûr la prévalence de l’Antiquité romaine dans la pop culture. Que ce soit dans des séries ou des films qui se déroulent à cette époque (Gladiator, Rome) ou dans d’autres qui l’évoquent indirectement – Les Sopranos ou Le Parrain, dont les mafieux multiplient les références à la Rome antique, ou encore Star Wars, dont une partie de l’univers et la trame politique s’inspirent de la période.

Mais d’autres éléments viennent s’ajouter à ça pour expliquer l’attrait spécifique de l’Empire romain sur la psyché de certains hommes. Susanna Elm cite par exemple l’ingénierie des Romains qui peut en passionner plus d’un. « C’est un empire connu pour ses exploits si vous êtes fasciné par les routes, les transports, les ponts, les infrastructures…, détaille la professeure. Et je ne dis pas que les femmes ne sont pas intéressées par ça, mais généralement, ce sont plus souvent les hommes qui aiment ce genre de choses. »

Dans les vidéos TikTok, parmi les raisons avancées par les amoureux de l’antiquité, on retrouve ainsi souvent la « plomberie » des Romains, leurs aqueducs ou leurs routes (« quand je conduis sur une route sympa, je me dis “Wow, ils ont bâti les routes !” », s’enthousiasme par exemple cet Anglais).

Le stoïcisme, très tendance dans les séminaires de management

Les conquêtes impressionnantes de l’Empire romain sont aussi souvent citées par les hommes des vidéos. « C’est une fascination politique, explique Susanna Elm. C’était un immense empire qui a duré longtemps, comment y sont-ils parvenus ? »

Un questionnement qui peut aussi expliquer la popularité de cette période chez les hommes américains, bien plus représentés dans ces vidéos. « Tout le monde a peur du déclin de l’empire, estime la professeure. Et aux États-Unis, cette peur est bien plus vivace que, disons, en France, un pays qui a connu son apogée il y a plus longtemps. »

Un autre élément particulièrement populaire ces temps-ci peut expliquer cet attrait : le stoïcisme. Susanna Elm y voit les effets d’une tendance récente dans l’univers des séminaires de management, où le courant philosophique romain est devenu particulièrement populaire. En 2019, le magazine américain Entrepreneur affirmait ainsi que « les meilleurs chefs d’entreprise se tournent vers le stoïcisme », quand Forbes offre, en 2023, les « secrets pour gérer ses émotions » selon la philosophie antique.

« C’est une philosophie qui est associée à la gouvernance. Se gouverner soi-même pour pouvoir gouverner les autres », explique la professeure.

« Les hommes rêvent d’empire »

Derrière beaucoup de ces éléments se cache aussi une certaine vision de l’homme et de la masculinité. La figure du gladiateur est souvent citée, l’homme qui se bat à la mort pour son honneur. « C’est intéressant parce que les gladiateurs étaient des esclaves, mais ceux qui en parlent pensent plutôt au rôle de Russell Crowe, un ancien général, souligne Susanna Elm. Tout le monde veut s’associer au noble romain, qui est un loup solitaire et s’occupe de sa famille. »

Une vision de la masculinité qui peut parfois flirter avec les extrêmes. Sous la vidéo Instagram qui a lancé la tendance, un utilisateur (avec Donald Trump en photo de profil) s’enflamme : « Être un homme, c’est vouloir créer. C’est construire. Ou détruire et conquérir. Rome était tout cela. Les hommes rêvent d’empire. »

Une vision caricaturale et bien macho qui parle néanmoins à quelques-uns. « La majorité des hommes qui aiment l’Empire romain ne rentrent pas dans cette catégorie, mais certains aiment rêver d’époques révolues, estime Susanna Elm. C’est comme dans Barbie, quand ils vivent dans un fantasme de patriarcat. C’est le genre de choses qu’on aime associer à Rome, comme avec les Westerns, cette idée qu’il fut un temps, il y avait des hommes forts et de femmes féminines. »

La chercheuse tient néanmoins à préciser que de très nombreuses formes de masculinité ont cohabité dans l’Histoire de la Rome antique, loin de ces visions parfois réductrices. De quoi nourrir de nouveaux imaginaires.

À voir également sur Le HuffPost :

Aux États-Unis, derrière le glamour des sororités du #BamaRush sur TikTok, un héritage bien plus sombre

TikTok : à cause du « #GraveTok », vous ne verrez plus les pierres tombales de la même manière