Elizabeth II : ces voix dissonantes dans le concert de louanges

Elizabeth II en 2009 avec Pratibha Patil, présidente de l'Inde  (Photo by OLI SCARFF / POOL / AFP)
Elizabeth II en 2009 avec Pratibha Patil, présidente de l'Inde (Photo by OLI SCARFF / POOL / AFP)

Dans plusieurs pays, on refuse de célébrer la mémoire de la reine en raison du passé colonial du Royaume-Uni.

Les discours d'hommages à la reine Elizabeth II affluent depuis son décès, de toute la planète. Pourtant, dans cette avalanche de louanges, certaines voix viennent écorner un peu le discours officiel, émanant le plus souvent des pays du Commonwealth.

Sa mort célébrée par des klaxons et des chants

En Irlande du Nord, terre d'affrontements entre les Irlandais républicains et les Loyalistes, défenseurs de la monarchie, le décès de la reine a été accueilli par des klaxons et des insultes. Tout particulièrement dans la ville de Derry, où en 1972 une manifestation pour les droits civils a été réprimée dans le sang par l'armée britannique, faisant 14 morts parmi les militants indépendantistes. Époque où Elizabeth II était sur le trône. Dans une autre vidéo tournée lors d'un concert le 24 mai dernier, la foule scandait "fuck the Queen, fuck the Queen". Nouvelle preuve de l'amour tout relatif qu'une partie de la population de Derry lui portait.

Dans l'Irlande voisine, qui a obtenue son indépendance en 1922 à l'issue d'une guerre de deux ans, le match de football d'Europe League organisé à Dublin au soir du décès de la reine a été marqué par les chants de la tribune irlandaise. "o'Lizzy in a box", ce qui peut-être traduit par "Lizzy (le surnom d'Elizabeth en anglais) dans une boîte", référence évidente au cercueil.

Le poids de l'époque coloniale

Un sentiment de revanche vis-à-vis de la couronne britannique largement partagé par certains habitants des pays du Commonwealth, les anciennes colonies britanniques, et tout particulièrement au Kenya, colonie britannique jusqu'en 1963.

Dans le pays, une partie de la classe politique rappelle l'héritage colonial et les violences commisses lors de la révolte - fortement réprimée - qui a abouti à l'indépendance. Plus de 100 000 rebelles et civils avaient été tués et plus de 300 000 autres détenus dans des camps.

"La reine a participé activement au colonialisme"

Plusieurs internautes partagent le témoignage d'anciennes victimes, parus dans la presse internationale comme The Guardian. L'un raconte avoir été castré par un fonctionnaire britannique avec des pinces qui sont habituellement utilisées sur le bétail, une autre, une jeune fille de 15 ans, a subi de graves blessures lorsque les autorités ont inséré une bouteille de verre chaud dans son vagin.

"Rappelons que la reine Elizabeth n'est pas un vestige de l'époque coloniale. Elle a participé activement au colonialisme. Elle a activement essayé d'arrêter les mouvements d'indépendance et elle a essayé d'empêcher les colonies nouvellement indépendantes de quitter le Commonwealth. Le mal qu'elle a fait était suffisant", estime une internaute.

"Sa mort nous rappelle une période très tragique dans l’histoire de l’Afrique"

En Afrique du Sud, si la classe dirigeante rend hommage à la reine, le parti politique "Economic Freedom Fighters", affirme dans une déclaration qu’il ne pleurerait pas la reine parce que "sa mort nous rappelle une période très tragique dans ce pays et dans l’histoire de l’Afrique". Pendant son long règne, "elle n’a jamais reconnu les atrocités que sa famille a infligées aux peuples autochtones que la Grande-Bretagne a envahis partout dans le monde".

Au Nigéria, l'hommage du président Muhammadu Buhari à la reine a été mal perçue par une partie de la population. "Ma famille et moi, ainsi que les plus de 200 millions de Nigérians, avons appris avec une immense tristesse le décès de la reine Elizabeth II et la fin de son règne unique et merveilleux de 70 ans. Elle était la seule souveraine britannique connue de 90% de notre population". De nombreux internautes nigérians expliquent ne pas vouloir être associés à cet hommage.

"Si quelqu’un s’attend à ce que j’exprime autre chose que du mépris"

Un sentiment partagé sur les réseaux sociaux par plusieurs personnes originaires de pays du Commonwealth, comme la journaliste Karen Attiah : "Les personnes noires et brunes du monde entier qui ont été soumises à d'horribles cruautés et à des privations économiques sous le colonialisme britannique sont autorisées à avoir des sentiments à propos de la reine Elizabeth. Après tout, ils étaient aussi ses 'sujets'".

"Si quelqu’un s’attend à ce que j’exprime autre chose que du mépris pour le monarque qui a supervisé un gouvernement qui a commandité le génocide, qui a massacré et déplacé la moitié de ma famille et les conséquences dont ceux qui vivent aujourd’hui essaient encore de surmonter, vous pouvez continuer à souhaiter une étoile. Je suis profondément offensé par l’idée que les opprimés et les survivants de la violence doivent en quelque sorte être déférents ou respectueux lorsque leurs oppresseurs meurent" a tweeté Uju Anya, professeur agrégé d’acquisition de deuxième langue à l’Université Carnegie Mellon, rapporte NBC. La couronne, dit-elle, continue à "s’immiscer dans les affaires africaines" et à opprimer.

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