Eaux minérales de Nestlé : comment le gouvernement a caché des pratiques interdites
Une enquête du « Monde » et de Radio France révèle que l’exécutif était au courant depuis 2021 des pratiques non conformes de Nestlé, mais a préféré alléger la réglementation plutôt que de saisir la justice.
Gestion de crise discrète, ou presque. Une enquête publiée ce mardi 30 janvier par Le Monde et la cellule investigation de Radio France révèle que le gouvernement d’Élisabeth Borne savait depuis 2021 que plusieurs industriels de l’agroalimentaire avaient appliqué des traitements et filtrages interdits sur leurs eaux en bouteille. Pire, l’exécutif aurait assoupli la réglementation pour permettre la poursuite de pratiques non conformes chez Nestlé.
Tout commence fin 2020, quand un ancien employé de la société du groupe Sources Alma (Cristalline, Saint-Yorre…) fait un signalement à la direction générale de la concurrence, du commerce et de la répression des fraudes (DGCCRF). L’enquête administrative qui s’ensuit révèle des pratiques « frauduleuses », dont la désinfection de l’eau à l’ozone et la « filtration de l’eau aux UV », rapporte Le Monde.
Rendez-vous avec Agnès Pannier-Runacher
Les enquêteurs découvrent surtout que le groupe Alma est loin d’être le seul à appliquer ce genre de traitements. Parmi les industriels qui achètent des filtres non autorisés figurent notamment le géant suisse Nestlé Waters (Perrier, Vittel, Hépar et Contrex).
Se sentant en danger, Nestlé contacte la ministre de l’Industrie d’alors, Agnès Pannier-Runacher, et une rencontre est organisée à Bercy à l’été 2021. Lors de cette réunion, la multinationale argue avoir besoin de filtrer au maximum ses eaux à cause de nombreuses contaminations bactériennes de ses exploitations.
Nestlé demande par ailleurs au gouvernement de lui accorder la permission d’utiliser les filtres les plus puissants, avec une filtration à moins de 0,8 micron. Ce genre de filtres ne sont pas autorisés pour les eaux minérales naturelles et eaux de source car elles sont normalement « microbiologiquement saines », explique un avis de 2003 de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Ils sont uniquement acceptés pour traiter l’eau du robinet ou les « eaux rendues potables par traitement ».
Le gouvernement ne saisit pas la justice
Le gouvernement est donc au courant dès août 2021 de la situation et des doléances de Nestlé, mais décide de gérer la crise en interne, sans en informer la justice. Pourtant, selon l’article 40 du code de procédure pénale, tout officier public « ayant acquis la connaissance d’un crime ou d’un délit » doit immédiatement saisir le procureur de la République, rappelle Radio France. Même s’il ne saisit pas la justice, Bercy décide tout de même de saisir l’inspection générale des affaires sociales (Igas) en novembre 2021.
Il ressort de l’enquête de l’Igas un rapport accablant publié en juillet 2022 : plus d’un tiers des marques d’eaux embouteillées en France subiraient des traitements non conformes. Et 100 % des marques d’eau de Nestlé sont concernées.
Assouplir la réglementation
Dans « toutes les usines du groupe », la note souligne une « microfiltration en deçà de 0,8 micron mais aussi charbon actif et ultra-violet dont l’interdiction est absolue, ne laissant place à aucune interprétation. » Pire, l’entreprise aurait volontairement caché sa pratique aux ARS en cachant ses traitements dans des armoires électriques.
Mais malgré ce rapport de l’Igas qui confirme les pratiques de Nestlé, le gouvernement décide d’aider la multinationale suisse et en assouplissant la réglementation des autorités sanitaires concernant les eaux minérales.
De fait, en février 2023, lors d’une réunion interministérielle, l’exécutif donne le droit aux préfets de prendre des arrêtés autorisant la microfiltration en deçà de 0,8 µm, indique l’enquête du Monde et de Radio France.
Bercy défend cette décision auprès de nos confrères, en s’appuyant sur un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire nationale de 2023, qui indique qu’une filtration maximum peut être utilisée pour retenir certaines particules. Mais le directeur général de l’Anses a, quant à lui, répondu dans un courrier au gouvernement que les filtres utilisés ne devraient jamais « viser à masquer une insuffisance de qualité ».
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