"Droit à la correction": la relaxe d'un policier accusé de violences familiales questionne

Trois recours auprès de la Cour de cassation ont été déposés par les deux avocats de la femme et des enfants du policier, mais également par le parquet général de Metz. Des professionnels du droit évoquent une décision "jurisprudentielle et sans fondement légal."

Un "droit de correction" qui pose question. Jeudi 18 avril, la cour d'appel de Metz (Moselle) a pris une décision qui interpelle autant qu'elle scandalise. Yves Milla, un ancien major de la police aux frontières (PAF) poursuivi pour des violences sur son ex-femme et ses enfants, a été relaxé des faits qui lui sont reprochés.

Lors de l'audience, le 15 mars, le parquet avait requis la même peine qu'en première instance. En juillet 2023, celui-ci avait été condamné par le tribunal correctionnel de Thionville à 18 mois de prison avec sursis probatoire de deux ans ainsi que le retrait de l'autorité parentale.

"Droit de correction"

Afin de justifier sa décision, la cour d'appel de Metz s'appuie sur un "droit de correction" qui serait "reconnu aux parents et autorise actuellement le juge pénal à renoncer à sanctionner les auteurs de violences dès lors que celles-ci n'ont pas causé un dommage à l'enfant, qu'elles restent proportionnées au manquement commis et qu’elles ne présentent pas de caractère humiliant", a dit la juridiction dans un communiqué.

Pourtant, en 2022 lors de leur audition, les enfants décrivaient des violences terribles. Alors âgé de 12 ans, le plus vieux des deux déclarait: "quand mon père est énervé contre moi, il m’étrangle et me colle contre le mur. Moi et mon petit frère, on est terrifié à un point que vous ne pouvez pas imaginer."

"Nous étions dans une impasse", a expliqué à l'AFP la présidente de la cour à la victime à l'annonce de la décision. "Nous n'avons pas trouvé dans l'exposé de la procédure d'éléments qui pouvaient corroborer une version ou l'autre", a-t-elle estimé. Pour la cour, il s'agit donc seulement d'un "grave et sérieux conflit de l'exercice de l'autorité parentale".

Or, depuis l'adoption le 10 juillet 2019 de la loi n°2019-721 relative aux à l'interdiction des violences éducatives ordinaires, la législation indique que l'autorité parentale doit s'exercer "sans violences physiques ou psychologiques", et interdit de fait de "droit de correction." Ce texte complète l'article 371-1 du code civil.

Réactions indignées

La décision a provoqué la colère des avocats des enfants et de la femme d'Yves Milla. "Les enfants disent: 'bah tu vois maman; aujourd'hui on peut frapper on ne risque rien'", explique à BFMTV Me Patrick-Alexandre Deghet, avocat de la mère des enfants.

"Les propos relatés par les enfants ne sont pas remis en cause dans leur véracité, ce qui veut dire que l’élément matériel est établi, mais que l'élément intentionnel serait absent du fait qu'on dise que ça relève d’un droit de correction. Je me pose des questions sur ce droit de correction", ajoute-t-il.

"Cette décision m'a laissé sans voix. Nous ne sommes pas dans une situation où il n'y a pas assez de preuves, au contraire! Pour autant, la cour d'appel relaxe parce qu'elle considère ces violences comme légitimes", réagit pour sa part Me Jérôme Tiberi, avocat des enfants. Ces deux hommes de loi, ainsi que le parquet de Metz, ont tous trois formé un pourvoi en cassation dans ce dossier.

Le délibéré a également provoqué l'ire des associations de défense des droits de l'enfant. "On est juste atterrés de voir qu'on arrive à ressortir du tiroir cette notion de droit de correction complètement désuète, inhumaine, et qui n'a de toutes façons juridiquement plus lieu d’être. Cette décision de la cour d’appel est stupéfiante", dit Céline Quelen, présidente de l’association StopVeo.

"Aujourd'hui, la justice française pouvait dire à ce petit garçon de 13 ans: 'On te croit, on te rend justice', et elle ne l'a pas fait. S'il venait à commettre un geste irréparable, la justice sera responsable", a pour sa part pointé une représentante de l'association SOS Fonctionnaires Victimes.

Quelles suites?

Invitée sur l'antenne de BFMTV lundi 22 avril, maître Sandrine Pegand, avocat pénaliste, s'interroge également sur le bien-fondé de la décision de la cour d'appel de Metz. "Ce droit de correction est prohibé depuis la loi du 10 juillet 2019, les violences éducatives ordinaires sont prohibées. La loi est claire, la fessée, la gifle, les brimades, les humiliations sont interdites. Ce droit de correction approuvé par la cour d’appel, c’est assez étrange", avance-t-elle.

Selon la femme de loi, la décision de la cour d'appel est "jurisprudentielle et sans fondement légal." "Elle suspend l’application du droit positif. Cette décision de pouvoir réinstaurer un droit de correction n’a aucun fondement légal. La loi l’interdit, article 371 du code civil a été modifié", martèle-t-elle.

"Cette décision est contraire à la loi et le parquet général à bien fait de se pourvoir en cassation parce qu’il n’y a pas de fondement légal. Je suis atterrée aujourd’hui", ajoute Me Sandrine Pegand, qui ne doute pas de la décision de la Cour de cassation.

"Vu que la Cour de cassation ne juge pas le fond et s’interroge sur l’application de la loi, la loi est telle que, la Cour de cassation devrait casser l’arrêt et renvoyer devant une autre cour d’appel, ou devant la même mais avec une composition différente", parie-t-elle.

Nouveaux rebondissements?

L'affaire qui entoure Yves Milla est de manière générale bien loin d'être terminée. "Nous avons appris à l'audience qu'une information judiciaire pour viol était actuellement ouverte", a tenu à souligner la présidente de la cour d'appel.

Lors de l'audience du 15 mars, qui avait duré près de sept heures et demie, l'avocate générale Lucille Bancarel avait confirmé que le parquet de Thionville avait été saisi d'une information judiciaire pour des faits présumés de viol sur l'ex-épouse.

Yves Milla, actuellement en poste à la Direction des ressources humaines des finances et des soutiens (DRHFS), avait réfuté "intégralement" les faits reprochés, concédant juste une "éducation rude et stricte avec (ses) fils".

Article original publié sur BFMTV.com