Le don aux associations, une incitation efficace pour changer les comportements
Imaginez qu’à chaque fois que vous choisissez le vélo plutôt que la voiture pour aller au travail, que vous diminuez la consommation électrique de votre domicile ou que vous renoncez à la cigarette, une somme soit versée à une cause qui vous est chère. Surprenant ? C’est en tout cas ce que proposent de récentes études, selon lesquelles l’incitation à soutenir une association pourrait être un puissant levier pour vous encourager à adopter des comportements plus responsables.
Depuis quelques années, les sciences comportementales ont acquis une reconnaissance croissante au sein des services de conception de politiques publiques. Elles permettent d’en améliorer l’efficacité en s’appuyant sur une connaissance scientifique du comportement humain et de sa cognition. Cette reconnaissance se manifeste notamment par la création de groupes de travail dédiés à l’application des sciences comportementales au service des politiques dans plusieurs pays, tels que la Behavioral Insight Team au Royaume-Uni ou l’équipe Sciences comportementales au sein de la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP) en France.
L’un des défis majeurs pour les politiques publiques est aujourd’hui de trouver des moyens d’encourager les citoyens à adopter des comportements jugés plus bénéfiques (car plus écologiques pour l’environnement ou plus sains pour les citoyens par exemple). Dans ce contexte, une pratique issue de l’économie comportementale est régulièrement utilisée : celle de l’incitation financière. Le principe est de conditionner la délivrance d’une récompense monétaire à la réalisation d’un comportement souhaité, afin de motiver les individus à réaliser ce comportement.
Par exemple, c’est le cas en France lorsque vous bénéficiez du bonus écologique lors de l’achat d’un vélo électrique, d’une prime de 100 euros pour proposer en covoiturage votre trajet quotidien pour vous rendre au travail, ou que votre facture de gestion des déchets ménagers est allégée à Besançon (Doubs) si vous réduisez la quantité que vous produisez.
Une efficacité qui reste débattue
Bien que ces pratiques soient largement répandues, leur efficacité reste débattue dans la littérature scientifique, notamment dans le cadre de ces comportements visés par les politiques publiques. Plusieurs méta-analyses (agrégations statistiques de nombreux articles scientifiques portant sur un domaine) révèlent une efficacité parfois limitée. Soit parce que le changement comportemental observé est de faible ampleur (voir par exemple ici pour des comportements écologiques), soit parce qu’il tend à revenir rapidement à la normale lorsque l’on arrête l’incitation (voir ici pour des comportements sains). Le changement de comportement via cette stratégie ne semble donc pas toujours si efficace.
Dans ce contexte, une alternative prometteuse existe qui, en plus, permet de conserver une pratique similaire : l’incitation financière à base de don associatif. Son principe est simple, il consiste à conditionner le versement d’un don vers une association caritative à la réalisation du comportement visé. Mais comment ce changement de paradigme, passant d’une rémunération directe à un don associatif, peut-il affecter l’efficacité de cette pratique pour changer les comportements ? Pour convaincre les responsables de politiques publiques d’explorer cette possibilité et d’en faire bénéficier la société (et les associations !), examinons comment une théorie majeure de la motivation en psychologie, la théorie de l’autodétermination, offre des éclairages sur cette question.
« Crowding-out effect »
Selon la théorie de l’autodétermination, développée par les psychologues et professeurs de psychologie américains Edward Deci et Richard Ryan dans les années 1970, pour qu’un comportement soit adopté par les individus, il est essentiel que la motivation à réaliser ce comportement soit la plus autonome possible (c.-à-d., issue de sa propre initiative, par conviction ou par plaisir).
La théorie de l’autodétermination distingue ainsi plusieurs formes de motivation, toutes regroupées au sein d’un continuum de la motivation. Ce continuum représente le degré auquel ces différentes formes de motivation sont intégrées à la volonté propre de l’individu, en allant de l’amotivation, qui est un état d’absence totale de motivation à s’engager dans une activité, à la motivation intrinsèque, où l’activité est réalisée pour le simple plaisir et la satisfaction qu’elle procure.
Entre ces deux extrêmes, 4 autres formes de motivations (dites extrinsèque) sont décrites, qui prennent en compte 4 sources de motivation de plus en plus internes à l’individu :
la régulation externe : comportement perçu comme contrôlé par les autres, souvent par le biais de récompenses et/ou de menaces (lorsque vous évitez de vous garer sur un passage piéton par peur d’une amende).
la régulation introjectée : comportement motivé par la recherche d’approbation, de statut ou de reconnaissance (lorsqu’un enfant finit son assiette pour faire plaisir à ses parents).
la régulation identifiée : comportement motivé par l’importance de sa réalisation, elle-même intégrée à la volonté propre de l’individu (lorsqu’un étudiant révise ses examens car c’est important pour son avenir).
la régulation intégrée : comportement motivé par certaines valeurs et pour lesquelles on se sent personnellement concerné (lorsqu’une personne est bénévole aux restos du cœur car c’est important pour elle d’aider son prochain).
L’intérêt de cette théorie est ainsi de pouvoir proposer une explication sur l’efficacité limitée que peuvent parfois avoir les incitations financières classiques pour changer les comportements. En mettant en place des récompenses monétaires (par le biais de remboursements par exemple), la régulation « externe » du comportement est favorisée.
Autrement dit, on favorise ici l’une des formes de motivation les moins autonomes, limitant ainsi l’adoption du comportement visé. D’ailleurs, en économie, cette baisse de la motivation à réaliser un comportement après incitation porte également un nom : « le crowding-out effect » (effet initialement étudié par le chercheur britannique Richard Titmuss pour comprendre pourquoi récompenser financièrement des donneurs de sang pouvait parfois réduire leur motivation à réaliser ces dons).
Une incitation moins coûteuse
En parallèle, la théorie de l’autodétermination permet également d’expliquer en quoi une incitation à base de don associatif permettrait d’être théoriquement plus efficace. En effet, le don associatif peut permettre à la fois de se sentir « bien vu » par la société (c’est-à-dire une régulation introjectée) et de rester en accord avec des considérations et des valeurs importantes pour les individus à titre personnel (autrement dit, une régulation identifiée et intégrée). Utiliser ce type d’incitation permet ainsi de renforcer plus facilement des formes de motivation plus autonomes, qui favorisent l’adoption du comportement visé.
Une étude récente menée aux États-Unis soutient cette idée. L’étude visait à utiliser des incitations à base de dons associatifs pour encourager les survivants d’un cancer à faire de l’exercice physique plus régulièrement. En plus d’un effet significatif et positif du don associatif sur l’augmentation de l’activité sportive des participants, les chercheurs ont également observé des différences sur les formes de motivation impliquées dans la réalisation du comportement.
Comparativement à une condition de contrôle (c’est-à-dire sans don associatif conditionné à la réalisation du comportement), les participants de la condition « don associatif » déclaraient en effet des formes de régulation intrinsèque et intégrée significativement plus élevées, et une régulation externe plus faible. Autrement dit, conditionner l’activité sportive des participants à la réalisation d’un don associatif permettait bien d’augmenter la motivation autonome des individus à réaliser cette activité sportive. Une piste donc très prometteuse pour changer les comportements.
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Sans compter que l’incitation à base de don associatif coûte moins cher ! C’est en tout cas l’une des conclusions qui peut être tirées de l’étude du chercheur en économie comportementale Alex Imas de 2014. En s’intéressant à l’effet des incitations à base de don associatif vs de récompense monétaire sur une tâche d’effort (serrer plus ou moins fort un objet), ce chercheur a montré que, lorsque le montant est faible, l’incitation à base de don associatif est significativement plus efficace que celle à base de récompense monétaire (autrement dit, davantage d’effort réalisé par les participants dans la condition don associatif que dans la condition récompense monétaire).
De plus, augmenter le montant de l’incitation avait pour seul effet de rendre l’incitation à base de récompense monétaire aussi efficace que celle à base de don associatif. Pour un même effet, une incitation à base de don associatif coûterait donc moins cher qu’une incitation financière plus classique.
En conclusion, les incitations financières basées sur des dons associatifs représentent une approche prometteuse pour accompagner le changement comportemental. En renforçant la motivation autonome des individus, et en étant moins coûteuses, elles méritent l’attention des politiques publiques cherchant à promouvoir des changements de comportement plus durables.
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.
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