DOCUMENT RMC SPORT. Le contenu de la plainte visant la création de la société commerciale de la LFP

Le 27 novembre dernier, l'association anticorruption AC!! a déposé une plainte devant le parquet national financier pour dénoncer un possible détournement de fonds publics lors de la création de la société commerciale de la LFP. Dans ce document de 40 pages, que RMC Sport a pu consulter, AC!! expose le contexte de cette plainte contre X devant le parquet national financier.

"Les faits de l’espèce sont extrêmement simples et il ne convient pas de les complexifier: l’association AC!! a pris connaissance de faits particulièrement étonnants. Des lanceurs d’alerte, dont l’anonymat à ce stade sera gardé, ont fait connaître à l’association des anomalies financières potentielles autour de la création de la société FILIALE LFP1", explique l’association dans ce document que RMC Sport s’est procuré. Avant d’ajouter: "En préambule il convient de rappeler que le football est un bien public donné par délégation du ministère des Sports à la Fédération française de football qui elle-même octroie une subdélégation à la Ligue de football professionnel pour une durée déterminée fixée par décret en Conseil d’État et que cette délégation prend fin le 31 décembre 2025".

La question de la légalité d'une telle cession

Cette plainte pose donc une première question: "Est-il légal ou non de pouvoir céder les droits du football (au sens le plus large) à une entreprise commerciale au-delà du délai de subdélégation, à savoir peut-on aller sur une cession des droits du football français à FILIALE LFP1 au-delà du 31 décembre 2025?"

L’association émet des premiers éléments de réponses: "L’on pourrait imaginer que cela est possible si le ministère des Sports donnait un accord écrit et que le Conseil d’État validait cet accord. Cela n’a pas été fait dans le cadre du dossier du football, aussi il paraît donc impossible pour la Ligue et la Fédération de céder les droits du football au-delà du délai de la délégation".

Dans ces 40 pages, cette plainte pose plusieurs questions: "La Ligue de football professionnel, association loi 1901, peut-elle passer un appel d’offre en lieu et place des services de l’état pour céder les droits du football français à une société commerciale privée?". Et d’enchaîner avec une autre question: "La Ligue de football professionnel peut-elle céder définitivement les droits commerciaux du football français ou aurait-elle du rester dans la durée de sa subdélégation?"

"Il est à noter que les présidents et directeurs généraux de la Ligue ont une fâcheuse tendance à se réfugier derrière le fait que le conseil d’administration ayant validé une proposition du bureau, qu’ils président, ils ne peuvent être tenus responsables des suites des actes validés", fait savoir l’association AC!!. Une autre question est rapidement posée: "N’y a-t-il pas un conflit d’intérêt dans ce cas, sachant que c’est le conseil d’administration de la Ligue qui vote pour l’attribution et la répartition des fonds collectés?"

"Chaque administrateur étant président de club, le conflit est d’autant plus grand pour le président du PSG", explique Me Vincent Poudampa, avocat de l’association, et auteur de cette plainte.

"Cette situation a fait que la Ligue a pris position pour Médiapro, qui offrait le plus d’argent sans prendre de contre-garantie en échange, ce qui aurait dû être le cas dans ce type de contrat. Jean Michel Aulas, administrateur de la Ligue et président de Lyon, s’en offusquera après coup, jouant le président de club surpris de la négligence de la direction de la Ligue, dont il est pourtant un des personnages phare". Dans cette plainte que nous avons consultée, l’association reprend aussi les différentes commissions de Nathalie Boy de la Tour et Didier Quillot, lors du dossier Mediapro il y a quelques années.

"Pour mémoire Nathalie Boy de la Tour et Didier Quillot ont touché chacun 500.000 euros de commissions au titre de 'success fees' ou l’autre manière de nommer la chose est une commission d’apporteur d’affaires dans le cadre du contrat Mediapro. Il sera légitime de s’interroger sur le bien-fondé et sur l’éthique de cette commission d’apporteurs d’affaires pour des dirigeants du football français. Cette affaire mettra d’ailleurs un terme à leurs présidences de la Ligue. Ils se sont engagés à rembourser les sommes indûment perçues", fait savoir la plainte qui reprend ensuite toute l’affaire Mediapro avant la situation Covid.

"Le nouveau président Vincent Labrune s’est toujours réfugié derrière le besoin financier des clubs pour justifier la privatisation des droits du sport professionnel et amateur. Quand on connaît le fiasco de l’appel d’offre en cours sur les droits TV on peut légitimement s’interroger sur la nécessité de création de cette filiale commerciale", explique le document.

Dans ses annexes, la plainte reprend plusieurs articles de presse pour étoffer le dossier qui contient une chronologie datant d’octobre 2021, avec le lancement de l’appel d’offres pour les investisseurs au capital de FILIALE LFP 1, jusqu’à juillet 2022. "Lors de la création de la société commerciale, les droits de la Fédération ont été apportés dans la société commerciale par la ligue. Pourtant, l’on ne trouve pas de traces autorisant cet apport dans la société FILIALE LFP1", fait connaître cette plainte de l’association AC!!.

Des questions sur les actions du ministère des Sports

Et de poursuivre: "N’y aurait-il pas dû y avoir une autorisation du ministère des Sports pour céder ces droits de la Fédération de football de manière définitive à la Ligue et une autorisation aussi pour que la Ligue cède ces mêmes droits à la société commerciale? Le Conseil fédéral n’aurait-il pas dû voter une délibération en ce sens?"

Le président de la LFP est une nouvelle fois visé un peu plus bas. Il "justifie d’avoir recours à un investisseur pour permettre de mieux vendre les droits du football domestique à l’étranger. La trajectoire financière retenue amènerait le football français domestique au niveau des Allemands ou des Espagnols/Italiens".

Pour l’association, Vincent Labrune "laisse à penser que le seul fait d’avoir un investisseur purement financier, au capital d’une société commerciale, permettrait d’augmenter la notoriété de notre championnat au plan international, tout en conservant les mêmes équipes que celles actuellement en poste au sein de la ligue, car elles seront transférées dans la nouvelle structure commerciale".

L’association trouve "pour le moins curieux" les dates du lancement de la procédure de consultations des fonds d’investissement en octobre 2021 "alors que la loi sport n’était pas encore votée". Cet accord, entre CVC et la LFP, a été rendu possible par l’adoption de la loi sur la démocratisation du sport, qui permet la création d’une société commerciale. Elle a été promulguée le 3 mars 2022.

Depuis son entrée en vigueur, la Ligue a déjà sécurisé deux gros dossiers: celui de la cession des droits sur les paris en direct, qui lui rapporteront 155 millions d'euros sur cinq ans, soit le triple de ses revenus actuels, ainsi que celui du "naming" de la Ligue 1, concédé à McDonald's pour un montant record, restant toutefois à officialiser. Un contrat qui fera du championnat de France l'un des mieux valorisés en Europe sur ce point.

La plainte toujours à l’étude

Plusieurs auditions du Sénat sont aussi présentes dans ce document. "C’est donc en l’état de ces éléments et aux fins de voir procéder à l’ouverture d’une enquête préliminaire ou d’une instruction judiciaire que l’association AC!! a l’honneur de déposer plainte, contre X pour détournement de fonds publics, délit réprimé par l’article 432-15 du Code pénal", conclut la plainte.

La société commerciale de la LFP a été créée après une cession partielle de capital au fonds d’investissement luxembourgeois CVC Capital Partners. L’accord a été conclu en avril 2022 et doit rapporter 1,5 milliard d’euros, contre 13,04% de ses revenus à vie pour CVC. Déposée le 27 novembre dernier, selon le PNF, contacté par RMC Sport, la plainte de l’association est toujours à l’étude et pourrait tout à fait ne déboucher sur aucune enquête.

Tout cela intervient en pleine négociation des droits TV pour la LFP. Nouvel épisode ce mercredi à 18h, la conférence des Présidents du Sénat devrait acter la création de la mission d'information sur la société commerciale de la Ligue de Football Professionnel (LFP). Cette mission - qui va disposer des pouvoirs d'enquête - sera présidée par Laurent Lafon, sénateur du Val-de-Marne et président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport. Le rapporteur sera Michel Savin, sénateur de l'Isère. Les deux hommes sont très connus dans le milieu sportif.

Les sénateurs à l'origine de cette mission d'information ont "envie" de voir tous les acteurs impliqués dans cet accord "venir répondre" aux questions de cette mission d'information. L'objectif pour eux est de faire un vrai point sur ce dossier CVC/LFP. Les sénateurs auront six mois pour mener à bien leurs travaux. La grande majorité des présidents de clubs, des dirigeants de la LFP et de CVC devraient passer devant cette mission d'information. Le rapport de cette mission d'information est attendu d’ici six mois. Une mission d’information ne peut en principe porter sur une enquête pénale en cours. Pour le moment, comme depuis quatre mois, la procédure du PNF est toujours en cours ce qui n’empêche donc pas le lancement de la mission d’information.

Article original publié sur RMC Sport