Dix ans après le mariage pour tous, où sont les lesbiennes dans la téléréalité ?

Delphine, première agricultutrice lesbienne de « L’amour est dans le pré », embrasse sa prétendante dans Ghislaine, en 2021, sur M6.

Si les lesbiennes, les femmes bi et pansexuelles sont plus nombreuses à l’écran, la téléréalité française, elle, continue de reposer sur un même modèle, celui de l’hétérosexualité, et ne permet pas aux couples de femmes de se faire une place.

Plus belle la vie, Dix pour cent ou plus récemment Une histoire d’amour, d’Alexis Michalik. Alors que la loi sur le mariage pour tous a été promulguée il y a dix ans jour pour jour ce 17 mai, il paraît aujourd’hui plus facile de montrer des couples de femmes dans les fictions françaises, au cinéma comme à la télé, que d’en filmer dans « la vraie vie ».

Car oui, un pan du divertissement semble encore avoir du mal à se saisir du sujet. Où sont les lesbiennes, les femmes bi, pansexuelles ou trans dans nos téléréalités hexagonales ?

« On le vit très bien nous, mais on aimerait que ce soit plus représentatif. Il en faut pour tout le monde », nous dit Fanny Salvat, ex-candidate des Marseillais et de La villa des cœurs brisés, deux des programmes emblématiques de W9. Elle et sa partenaire, Jessica Errero, ont participé ensemble aux émissions Les cinquante et Les apprentis aventuriers.

Sur Instagram, où l’une est suivie par près de 400 000 abonnés et l’autre, par plus d’un million, elles affichent leur amour au grand jour et parlent, dans la presse, de leurs rêves à deux ou de leur désir d’enfant.

Même si plusieurs émissions, comme Super Nanny, 4 mariages pour 1 lune de miel ou Secret Story (en 2008, avec Nathalie et Samantha) ont par le passé intégré des couples lesbiens, celui formé par Fanny et Jessica est rare par sa médiatisation. Mais attention : « Nous ne sommes pas uniques. On n’est pas les premières et on ne sera pas les dernières », nous assure l’une d’elles.

Des castings « 100 % hétéro »

Colette et Moon dans Cosmic Love (Amazon Prime Video), Delphine dans L’amour est dans le pré (M6), mais aussi Laurie dans Les princes et princesses de l’amour (W9) ou Jade, première candidate trans de La villa… Depuis plusieurs saisons, le nombre de femmes ouvertement non hétérosexuelles, cisgenres ou non, progresse discrètement.

Et ce, sur le modèle des téléréalités anglo-saxonnes, précurseures en la matière, nous précise la docteure en audiovisuel Maureen Lepers. « Il n’y a toutefois pas d’engagement politique de la part de ces émissions, ajoute au HuffPost la spécialiste des enjeux de représentations médiatiques et stéréotypes de genre. Elles capitalisent sur le potentiel spectaculaire et scandale des histoires non hétérosexuelles », devenues des objets de discussion dans les médias.

Un point de vue partagé par le sociologue Arnaud Alessandrin, spécialiste des questions LGBT+, qui dans les colonnes du magazine ELLE assure que l’invisibilisation commence à s’estomper, mais de manière inégale selon les chaînes. Il distingue les grandes, comme TF1 et M6, de leurs concurrentes. « Entre les deux, la différence est nette. Il n’y a qu’à se pencher sur le cas des ’Marseillais’, où le casting est 100 % hétéro », estime-t-il.

Un paysage qui change ?

Le dispositif même de beaucoup de ces émissions ne permet pas plus de diversité. Preuve à l’appui : dans Love Island, petite dernière de W9 lancée dans le courant du mois d’avril, six hommes et cinq femmes qui ne se connaissent pas, se retrouvent enfermés dans une villa avec pour mission avant la fin du premier épisode de former un couple avec une personne du sexe opposé.

Quand le concept le rend possible, les femmes qui aiment les femmes sont moins présentes que les hommes qui aiment les hommes. « Statistiquement, il y a quelque chose de plus ’sensationnel’ dans la visibilité des gays », continue Arnaud Alessandrin, toujours dans le magazine ELLE. L’exemple de Steevy Boulay, présent dans Loft Story dès 2001, est parlant. Le fait que les premières romances homosexuelles de L’amour est dans le pré et Mariés au premier regard (2023) aient été avec des hommes, aussi.

Fanny Salvat, elle, est plus nuancée et trouve que « le paysage est en train de changer » pour les lesbiennes. Sans la loi Taubira, qui « a mis un grand coup de pied dans la fourmilière », les programmes impliquant des fiançailles se passeraient toujours des LGBT+.

Seulement voilà, continue Maureen Lepers, le spectre du problème ne se résume pas à des chiffres : « Lorsqu’on a un couple de même sexe dans une téléréalité, le processus d’éditorialisation va rétablir le binarisme d’un couple hétéronormé en attribuant des tâches aux deux personnes, selon des valeurs dites masculines ou féminines. » Si dans un couple de femmes, l’une des deux est « plus féminine », c’est souvent à elle qu’on demandera de rejoindre le banc de celles qui notent la cérémonie des autres dans 4 mariages pour 1 lune de miel, déplore l’universitaire.

« Être lesbienne ou gay, ce n’est pas un style »

Princess Charming en Allemagne, The Ultimatum : Queer Love aux États-Unis, The Bi Life au Royaume-Uni... À l’étranger, de multiples téléréalités de dating composées exclusivement de personnes LGBT+ commencent à voir le jour. Fanny Salvat ne dit pas non, mais attention : « il faut un bon montage, une histoire intéressante à raconter et de vrais personnages, pas seulement des garçons efféminés ou des femmes masculines ». Elle précise : « Être lesbienne ou gay, ce n’est pas un style. C’est une façon d’aimer. »

Ces mots n’ont rien d’anodin. « L’orientation sexuelle de quelqu’un ne se définit pas seulement par le sexe ou le genre de la personne avec qui il ou elle va coucher, mais aussi par la façon d’appréhender le monde et d’envisager ses relations », explique Maureen Lepers. Or, les téléréalités de dating actuelles s’appuient encore sur le modèle d’une hétérosexualité définie par des jeux d’alliance, des liens d’appartenance et une forme de rivalité. Des structures relationnelles éloignées de celles à l’œuvre dans les communautés queers, selon la docteure.

Dans cet univers stéréotypé, quel intérêt les lesbiennes, les femmes bi ou pansexuelles ont-elles vraiment à participer ? La téléréalité n’est pas seulement un vecteur d’identification pour les jeunes, selon Fanny Salvat. C’est un rempart contre l’homophobie. « Ça ouvre l’esprit de plein de monde », appuie-t-elle. Maureen Lepers, elle, en est moins certaine : « La téléréalité reste un agent de comparatif. Ce n’est pas sa fonction de révolutionner le monde. »

Alors que SOS Homophobie déplore une hausse des discriminations contre les personnes trans en France dans son dernier rapport, les actes anti-LGBT + ont doublé en l’espace de cinq ans, entre 2016 et 2021. Et ce jeudi 27 avril, deux agressions homophobes ont été signalées à Lyon en quatre jours. Maureen Lepers concède : « Si les choses n’avancent pas dans la société civile, ça n’avancera pas dans la téléréalité. »

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