Disney a-t-il trahi la franchise "Indiana Jones" avec "Le Cadran de la destinée"?

Indiana Jones est de retour au cinéma ce mercredi pour sa dernière aventure, Le Cadran de la destinée. Un film attendu depuis 15 ans et le premier de la franchise créée par George Lucas et Steven Spielberg en 1981 à être produit sous le règne de Disney.

Alors que la dernière trilogie Star Wars a déçu les fans de la première heure, une appréhension similaire étreint les admirateurs du célèbre archéologue au fouet et au chapeau. Une crainte accentuée par le souvenir du Royaume du Crâne de Cristal, le moins aimé de la saga.

Le réalisateur James Mangold (Le Mans 66, Logan), qui prend le relais de Steven Spielberg, a choisi de jouer la carte de la fidélité. Dès les premières images, c'est un Harrison Ford rajeuni numériquement de 40 ans que l'on retrouve, le temps d'une séquence d'attaque d'un train nazi, pendant la Seconde Guerre mondiale.

Puis le film se poursuit en 1969. A la veille de son départ en retraite, il doit empêcher le machiavélique Jürgen Voller (Mads Mikkelsen), un scientifique nazi, de mettre la main sur un cadran antique, mis au point par Archimède, qui lui permettrait de voyager dans le temps et de changer l'issue de la guerre.

"Plus prudent"

En confrontant pour la énième fois Indiana Jones à des nazis, Disney ne trahit-il pas l'esprit de la saga? Dès son deuxième épisode, Le Temple maudit, Spielberg avait mêlé séquence d'espionnage digne de James Bond et récit horrifique avec une secte hindouiste. Et dans le quatrième volet, la menace était incarnée par les communistes.

"C'est vrai que le cinquième film est plus prudent. On revient au méchant star de la saga", commente le scénariste et critique Robert Hospyan. "C'était déjà le cas dans le 3, qui était une rectification de tir par rapport au 2 qui à l'époque avait choqué et déçu."

"Ça a l'air très simple de faire un Indiana Jones alors que c'est éminemment compliqué. Dans le 5, ils reprennent tous les poncifs d'Indiana Jones - ce qui pour moi n'est pas vraiment un souci", insiste de son côté François Léger, critique pour Première. "Indiana Jones, c'est aussi un mec qui cherche des artefacts et se bat contre des nazis."

D'ailleurs, souligne Robert Hospyan, la présence des nazis n'est pas complètement hors de propos en 1969: "Narrativement, ça a même du sens. Il y a eu avec l'opération Paperclip des nazis récupérés pour la construction des fusées. Mais ça aurait pu être intéressant s'il y avait eu un propos là-dessus dans Le Cadran de la destinée."

La SF remplace l'horreur

Autre différence entre les Indiana Jones de Spielberg et celui réalisé sous le giron de Disney: l'absence d'éléments horrifiques. Spielberg avait imaginé dans les précédents films des images inoubliables, telles que le visage en décomposition de Belloq, les sacrifices humains en l'honneur de la déesse Kâlî ou les fourmis tueuses.

Dans Le Cadran de la destinée, cette dimension horrifique a été reléguée au hors-champ. "Ce n'est pas présent, mais en même temps il va beaucoup plus loin dans le fantastique que les autres", nuance François Léger. "Le film marque un aboutissement de ce point de vue-là. C'est un choix artistique de la part de James Mangold."

"Ce qui mérite surtout réflexion", renchérit Robert Hospyan, "c'est pourquoi la franchise depuis deux films penche plus du côté de la science que de la religion." Après le judaïsme, l'hindouisme et le christianisme, la saga a basculé du côté de la science-fiction, entre les extraterrestres et les failles temporelles:

"Je ne sais pas si c'est l'envie d’aller vers quelque chose de différent ou s'il y a peut-être la volonté de ne plus être dans quelque chose de 'touchy'", s'interroge Robert Hospyan. "En cette ère où tout peut être sujet à polémique, Disney préfère sans doute ne pas toucher aux différentes religions."

Un 'best-of' de la saga

Le Cadran de la destinée évite aussi les écueils et les extravagances visuelles du Royaume du Crâne de Cristal: "Il n'y a pas de chiens de prairie en synthèse. Il n'y a pas le fils d’Indiana Jones qui fait Tarzan avec des singes. Indiana Jones ne se cache pas dans un frigo pour échapper à une bombe nucléaire", énumère Robert Hospyan.

Chaque scène a été imaginée en écho aux scènes cultes de la trilogie originale, poursuit ce spécialiste du cinéma d'action: "Dans le 4, il y avait les fourmis. Dans les autres, on avait eu les rats, les insectes, les serpents. Et là, dans le 5, ce sont les mêmes insectes que dans le 2! On rejoue un peu le best-of de la saga pour rassurer le public."

Le rajeunissement numérique ("de-aging") d'Indiana Jones est aussi la marque de la disneyification de la franchise, estime-t-il: "Sur les 10 dernières années, 90% des films qui ont fait du 'de-aging' sont des films Disney. Ce cinquième Indiana Jones est symptomatique de ce que Disney fait avec ses licences."

Mais pour François Léger, cela n'empêcherait pas Le Cadran de la destinée d'avoir "une âme": "Évidemment, le film existe pour faire de l'argent, et il n'existe pas pour autre chose. Tout est question d'argent là-dedans. Et de jouer sur la nostalgie. Mais ça n’a rien à voir avec les productions Disney. C'est même le contraire d'un film disneyifié."

"Supplément d'âme"

Le Cadran de la destinée "se rapproche, toute proportion gardée, de Blade Runner 2049", estime-t-il: "Ils reprennent des passages obligés et le film avance aussi vers autre chose. Mangold est un type suffisamment intelligent et doué pour réussir à imposer au système sa vision du personnage tel qu'il l'imagine avoir vieilli et évolué."

Selon le critique, les poncifs inspirés par les autres films de la saga sont "mis au service de thématiques humaines, pour apporter une caractérisation du personnage plus profonde": "Ce qui intéresse James Mangold, c'est de donner une humanité à ce personnage qui ne l'avait pas encore dévoilée."

"Le film a un supplément d'âme qui se dévoile réellement à la fin. Le film serait globalement assez raté s'il n'y avait pas cette troisième partie", insiste encore le spécialiste. "Mangold accepte l'âge du personnage, ce qui est une excellente idée." Une idée déjà exploitée - et mieux - dans Le Royaume du crâne de cristal, selon Robert Hospyan:

"Dans la scène de la bombe nucléaire, Indiana Jones arrive dans une maison témoin où il trouve les mannequins d'une famille parfaite, ce que lui n'a pas. Spielberg représente visuellement ce personnage qui n'est plus à sa place dans ce monde. Et à la fin, il trouve sa place au sein d'une famille, la sienne."

Bientôt des spin-off?

Au sein de la famille Disney, la franchise Indiana Jones n'a pas encore de place définie. Une chose est sûre: elle ne risque pas de se conclure avec Le Cadran de la destinée. Si Harrison Ford a fait ses adieux au personnage, rien n'empêche le studio de rappeller Phoebe Waller-Bridge, qui incarne sa filleule, pour un nouveau film.

"À un moment ou à un autre, il y aura un autre film ou une autre série", prédit François Léger. "Une production animée serait la bonne solution, mais ça coûte trop cher et ça ne rapporte pas assez d’argent. Leur meilleure solution serait de faire des films d’aventure reliés à la franchise, mais qui peuvent s'en émanciper."

Article original publié sur BFMTV.com