Du "dingue" Jerry Lewis, à la "virtuose" Isabelle Huppert, Jean-Paul Salomé raconte sa carrière

Réalisateur de quelques superproductions emblématiques de notre patrimoine cinématographique (Belphégor, Arsène Lupin), Jean-Paul Salomé revient à ses premières amours: la comédie policière. Après Je fais le mort (2013), celui qui fut président d’UniFrance, l’organisme mandaté pour faire la promotion du cinéma français à l’international, revient avec La Daronne.

En salles ce mercredi 9 septembre, cette adaptation d’un roman de Hannelore Cayre suit Patience Portefeux, interprète franco-arabe pour la brigade des Stups qui décide d’aider un trafiquant de drogue, fils de l'infirmière qui s’occupe de sa mère. Un film que Jean-Paul Salomé a tourné "comme un premier film". Il y mêle comédie pure et polar dur. Et s’inspire, dans des séquences d’action tournées à Barbès, du "côté sec des polars urbains des années 1970, comme French Connection, Klute ou Conversation secrète".

La Daronne est surtout pour lui l’occasion de se confronter une nouvelle fois, après Claude Lelouch, Jerry Lewis ou Sophie Marceau, à un mythe du cinéma: Isabelle Huppert. Tout au long de sa carrière, il a pu observer comment ces monstres sacrés travaillent. Il raconte.

Isabelle Huppert, "un éventail incroyable d'émotions"

Travailler avec Isabelle Huppert, c’est se confronter à une filmographie tentaculaire et à des images inoubliables signées Chabrol, Verhoeven ou encore, Haneke. Dans La Daronne, la comédienne surprend avec un personnage amoral qui passe, le plus souvent dans le même plan, du rire aux larmes. Une broutille pour cette comédienne sans peur: "Elle a un éventail incroyable d’émotions", confirme Jean-Paul Salomé. "Sa palette de jeu est telle qu’elle peut à l’intérieur d’un plan commencer dans la comédie puis tout d’un coup mettre un soupçon d’émotion là où on ne l’attend pas. Elle module beaucoup sa voix. C’est son instrument. Elle sait comment créer des émotions. Elle arrive à rendre signifiant un changement de ponctuation dans une phrase. La Daronne en bénéficie grandement."

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Actrice "virtuose", "très vivante, très curieuse", toujours "dans le présent", à l'affût de "tout ce qui se passe dans l'actualité", Huppert est en constante réflexion sur un plateau, raconte Salomé, qui a fait de La Daronne un film sur-mesure pour l'actrice: "Je ne dis pas qu’elle improvise, mais elle cherche. Elle est tout le temps en train de chercher. Elle ne se contente pas de faire et de dire ce qui est écrit. Elle cherche toujours à amener quelque chose en plus. Ce n’est pas pour changer ce qui a été écrit, mais pour aller au-delà. Ce n’est pas laborieux. Cela se fait très naturellement. Elle réfléchit beaucoup sur les émotions qu’il faut transmettre dans chaque phrase, dans chaque scène. Une fois qu’on est d’accord, elle sait très bien comment elle va y arriver."

L'énergie de Claude Lelouch

Trente-huit ans avant de diriger Isabelle Huppert, Jean-Paul Salomé a fait ses débuts avec un autre monstre sacré dont la vie ressemble aussi à un film: Claude Lelouch. Lui qui a voulu faire du cinéma en découvrant Le Voyou (1970), L’Aventure c’est l’aventure (1972) ou encore La Bonne année (1973) a débuté comme stagiaire sur Les Uns et les autres (1981), superproduction au casting international dont l’histoire se déroule dans plusieurs pays sur plusieurs décennies. Il se souvient comme si c’était hier de ce tournage "assez dingue" et de l'énergie déployée par ce "personnage" de Lelouch, qui se déplace sur un plateau avec la même vivacité que sa caméra:

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"Il tournait très vite et comme il terminait toujours avant l’heure, il improvisait et tournait des trucs supplémentaires. Je me souviens d’une scène à la fin où Nicole Garcia est vieille et Robert Hossein qui joue son fils va la retrouver dans une maison de retraite. Tout ça n’était pas prévu. Il fallait vieillir Nicole Garcia. On lui a mise du talc dans les cheveux. On l’a mis au loin. On a filmé en longue focale. Nicole Garcia râlait. Elle ne voulait pas le faire. Elle ne comprenait pas pourquoi on faisait ça. L'énergie de Lelouch était telle sur le tournage que c’est devenu une des scènes les plus émouvantes du film! Alors que ça a été tourné en une demi-heure, avec une comédienne pas maquillée! Cette énergie de tournage, cette gourmandise, m’est restée."

Jerry Lewis, "un vrai dingue"

Après Claude Lelouch, Jean-Paul Salomé a côtoyé une autre légende à l’énergie débordante: Jerry Lewis. Il a rencontré le géant de l’humour burlesque dans les années 1980, sur le tournage de Retenez-moi... ou je fais un malheur!, un nanar de la comédie franchouillarde réalisée par Michel Gérard et produite par Marcel Dassault. Salomé était stagiaire et son travail consistait à s'occuper "de l’intendance de toute la vie de Jerry Lewis et son emménagement à Paris":

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"Je me suis trouvé face à ce monstre de cinéma, et face à ce monstre humain. C’était quand même un vrai, vrai dingue - ce qui ne retire rien à son talent. C’était un fou furieux. J’ai vécu des situations assez délirantes. Il fallait faire venir toute la bouffe de Los Angeles. Le Coca Light n’existait pas, donc on faisait venir des conteneurs de Coca Light. Je ne vous explique pas ce que tout ça coûtait à l’époque! Il avait un appartement, mais il ne pouvait pas aller dans les toilettes de tout le monde, il fallait faire des toilettes pour lui, même par rapport à sa famille. Il dormait avec un flingue sous l’oreiller. Il avait son médecin personnel dans la chambre d’à-côté. On pouvait quasiment l’opérer à cœur ouvert dans l’appartement. L’appartement a été rendu dans un état assez saccagé, on va dire."

Le tournage de Belphégor, "un grand bazar"

Animé par l’envie de raconter des histoires, Salomé devient réalisateur à la fin des années 1980. Dix ans plus tard, il se lance dans un énorme chantier: une adaptation de Belphégor, la célèbre série de 1965 avec Juliette Gréco. Le résultat, avec Sophie Marceau dans le rôle principal, a été vivement critiqué par la presse et a remporté un grand succès au box office mondial. Salomé a même trouvé un DVD pirate taïwanais de son film, que la jaquette attribuait à... Terrence Malick.

Salomé se souvient d’un tournage "difficile", "compliqué", d’un "grand bazar". "Je manquais peut-être d’expérience, je ne sais pas", lâche-t-il. C’est lui, pourtant, qui fut à l’origine du projet. Troublé, étant enfant, par le fantôme que campait Juliette Gréco, il s’était "lancé corps et âme dans cette aventure un peu folle, à un moment où le cinéma populaire fantastique français se réinventait".

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"Content" d’avoir été le premier à tourner au Louvre, Salomé s’est pourtant senti dépossédé de son film: "Je ne l'ai jamais revu. Je ne vous dirai pas que j’étais super content du résultat. La production avait dû flipper et se demander si j’allais y arriver. On m’avait un peu bordé avec des techniciens qui étaient des vieux briscards. Il fallait vraiment que j’impose. C’était vraiment une lutte. Je ne me sentais pas toujours aussi libre que je le voulais." Il s’est depuis rattrapé avec Arsène Lupin (2004), où "il y a une folie visuelle qu'[il n’a] pas réussi à insuffler à Belphégor."

Travailler avec Sophie Marceau "n’a pas été très, très simple, on va dire", évpque aussi Salomé. "J’étais encore jeune cinéaste. C’était une grande star. Ce n’était pas toujours très simple. On était dans un registre compliqué. Et peut-être que je n’ai pas su m’y prendre. On s’est retrouvés quelques années plus tard sur Les Femmes de l’ombre et ça s’est super bien passé."

Article original publié sur BFMTV.com