"Ma vie est entre les mains des laboratoires" : des malades du cancer font face à une pénurie de médicaments

En cas de pénurie de médicaments, les patients sont les premières victimes. Trois d'entre eux ont accepté de témoigner.
En cas de pénurie de médicaments, les patients sont les premières victimes. Trois d'entre eux ont accepté de témoigner.

Arrêt de production des laboratoires ou renégociation des prix peuvent entraîner des pénuries de médicaments en France. En première ligne, les patients se retrouvent démunis, souvent sans information ni alternatives. Trois d’entre eux témoignent.

C’est un phénomène qui n’est pas nouveau mais qui est toujours aussi problématique : la pénurie de certains médicaments, notamment dans le traitement du cancer. En 2019, déjà, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) avait reçu presque 1 500 signalements de rupture ou de difficulté d’approvisionnement, comme le rappelle 20 Minutes. Un record. Face à une année 2020 qui ne s’annonce pas plus rassurante, la Ligue contre le cancer a décidé de tirer la sonnette d’alarme en lançant une campagne sur le sujet, lundi 14 septembre.

Car avec la rupture de certains traitements, les patients subissent une double peine. En plus de l’inquiétude liée à la maladie elle-même, ils doivent faire face à la peur de l’avenir, au manque d’information et à un sentiment d’injustice terrible.

Sentiment d’injustice et colère

C’est notamment ce que nous décrit Marie-José Legrand. Cette Paloise de 69 ans s’est vu déceler un cancer du rein à la fin de l’année 2019. Après une ablation, les soignants se sont rendu compte qu’il y avait une propagation dans la vessie. “On m’a donc fait une résection de vessie et on m’a proposé un traitement d’immunothérapie”, nous explique-t-elle. Le protocole est prévu pour trois ans, à raison d’une séance par semaine dans un premier temps.

Début janvier 2020, la sexagénaire a sa première instillation. Mais “l’hôpital a annulé ma deuxième séance, et m’a prévenue que les instillations étaient suspendues pour le moment, faute de produit”, nous explique la patiente, qui est soignée à Toulouse. Cette pause forcée dans le traitement ne s’accompagne d’aucune proposition d’alternative. Elle est synonyme, en revanche, “d’une angoisse par rapport à l’avenir, parce que c’est quand même une maladie qui tue !”, relate Marie-José Legrand, mais aussi “d’un sentiment d’injustice” et de “colère contre les laboratoires”.

“Ma vie est entre les mains des laboratoires”

Finalement, “un mois ou deux après, l’hôpital m’a appelée en me disant qu’il y avait à nouveau du produit”, se rappelle-t-elle. Une annonce qui l’étonne. “J’avais vu sur internet que la pénurie était liée au fait que le laboratoire Sanofi Pasteur avait cessé la distribution”. En fait, la reprise du traitement de Marie-José Legrand a été rendue possible par... le coronavirus. “On m’a expliqué que beaucoup de patients s’étaient désistés parce qu’ils ne voulaient pas venir à l’hôpital en pleine épidémie”, précise-t-elle, “moi, j’ai accepté et j’ai pu reprendre mon traitement”.

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Mais les inquiétudes de Marie-José Legrand ne sont pas balayées pour autant. “Le chirurgien urologue, que je vois régulièrement, n’en sais pas plus sur la disponibilité du produit. Ma vie est entre les mains des laboratoires”, conclut-elle.

Un traitement suspendu...

C’est également dans le cadre d’un cancer de la vessie qu’Alain a fait face à la pénurie de BCG intra-vésical. L’affaire date d’avant le Covid-19. À la fin de l’année 2018, on lui diagnostique un cancer de la vessie, à sa “grande surprise” : l’homme, aujourd’hui âgé de 72 ans, ne “fume pas, ne boit pas, fait du sport”. Il est rapidement opéré et après une cicatrisation de six semaines, il entame, début janvier 2019, un traitement d’induction par BCG thérapie. Six instillations séparées d’une semaine sont prévues. Ensuite, le protocole implique trois mois de pause avant d’entamer le “traitement d’entretien”, par séries de trois instillations hebdomadaires, séparées de quelques mois.

La première étape du protocole - prévu pour durer trois ans en tout - se déroule normalement. “Après la sixième instillation, on m’a dit que les infirmières allaient m’appeler pour la suite du traitement... mais elles ne l’ont jamais fait, pour la bonne raison qu’il n’y avait plus de produit”, nous explique le septuagénaire, soigné à l’hôpital de Quimper.

...et une rechute

À défaut d’être informé par son équipe soignante, il cherche des renseignements par lui-même. “J’entendais le mot pénurie, j’essayais d’avoir des confirmations par des connaissances dans le milieu médical”, se souvient-il. En janvier 2020, presque un an après la pause forcée dans son traitement, il découvre, via la responsable de l’Agence Régionale de Santé du Finistère, que les pharmacies hospitalières sont à nouveau approvisionnées en BCG. Après quelques semaines, il prend l’initiative d’appeler son urologue. “Il m’a expliqué que comme je n’avais pas eu mon traitement d’entretien comme prévu, il n’était pas sûr qu’il y ait un intérêt à le recommencer à ce moment-là, d’autant qu’on était en pleine période de Covid-19 et que ce n’était pas vraiment le moment de trop venir à l’hôpital”, nous rapporte Alain.

“J’avais un rendez-vous de contrôle le 29 juillet, je me suis dit qu’on verrait à ce moment-là”, poursuit-il. Mais les examens ne se déroulent pas comme prévu : on lui découvre une récidive. “J’ai tout de suite demandé si c’était lié à la pénurie de médicament et au fait que je n’ai pas pu faire mon traitement d’entretien”, se souvient Alain. Le chirurgien ne peut rien affirmer et lui explique qu’il a déjà vu des rechutes malgré un traitement complet. “Je n’ai aucun moyen de vérifier, mais je pense que sans cette pénurie, la fibroscopie aurait été bonne”, nous confie-t-il. Pour lui, c’est donc retour à la case départ. Il s’est à nouveau fait opérer le 11 août et reprendra le traitement à zéro à partir du 2 octobre. “Je repars pour trois ans... je n’en vois pas le bout”, commente le patient.

Les patients pris en otage

Yves Dalibert, lui, a fait face à une situation de pénurie en janvier 2018. À l’époque, sa femme, atteinte d’un cancer de l’intestin grêle, avait des séances de chimiothérapie tous les quinze jours. Pour contrer l’un des effets indésirables du traitement, elle devait prendre de l’Emend - un anti-vomitif - quelques heures avant.

“Un jour, j’arrive à la pharmacie, et on me dit qu’ils sont en rupture de stock”, se souvient cet habitant du Calvados, “j’ai dû faire huit pharmacies pour réussir à en trouver”. Le problème, c’est que ce médicament, très efficace, n’a pas d’alternative. Et la pénurie a duré un mois et demi. La cause, selon un pharmacien qu’Yves Dalibert a interrogé à l’époque : une renégociation de prix entre l’État et les laboratoires.

“Quand vous êtes malade, vous avez autre chose à penser qu’à servir d’otage”, commente-t-il, “une telle situation rajoute du stress à une personne qui est déjà en situation de traitement”. Celui qui est aujourd’hui âgé de 60 ans décide alors de ne pas en rester là. “À l’époque, j’avais écrit à la Ligue contre le cancer, à l’Agence Régionale de Santé, au ministère de la Santé et à la Haute Autorité de Santé”, se souvient-il. Outre une réponse de la Ligue, Yves Dalibert reçoit également une première lettre de l’HAS, qui lui assure ne pas être au courant. “J’ai donc refait un courrier, puisque le problème persistait, et on m’a répondu que c’était seulement passager”, rapporte-t-il, déçu que le problème ne soit pas pris plus au sérieux.

Des patients obligés de chercher eux-mêmes une solution

Malgré la fatigue des traitements et l’angoisse de la maladie, Marie-José Legrand a également pris sa plume pour dénoncer le problème dont elle était victime. Elle a écrit à Emmanuel Macron, Olivier Véran et François Bayrou, le maire de sa ville. Ce dernier a d’ailleurs pris la peine de lui répondre, en lui transmettant une lettre que le ministre de la Santé lui avait adressée. Il reconnaît que le produit n’est plus disponible, mais assure qu’un autre fabricant propose un produit différent, pouvant se substituer.

Alain, quant à lui, a “écrit à la députée du coin”. Son assistant, d’abord perplexe, “m’a expliqué, après s’être renseigné auprès de l’hôpital de Brest, qu’il y avait bien une pénurie”, relate-t-il. Mais l’échange s’est arrêté là. Cherchant une solution de secours, le septuagénaire a même pensé à “essayer de [se] procurer le médicament ailleurs, au Canada par exemple. Mais je ne savais pas si ce serait le même produit, ni si on voudrait bien me l’instiller alors qu’il ne venait pas de l’hôpital”.

Autant de situations qui révèlent la double peine des patients, premières victimes lorsqu’un médicament vient à manquer.

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