Le député écologiste Hubert Julien-Laferrière aurait servi les intérêts du Qatar pour 5 000 euros mensuels

Un an après la mise en examen d'un journaliste de BFM pour corruption passive, le député Hubert Julien-Laferrière est soupçonné d'avoir touché 5 000 euros mensuels pour faire du lobbying.

Hubert Julien-Lafferriere, ici en 2017 à Lyon, est cité dans une affaire d’ingérence étrangère et de corruption (JEFF PACHOUD / AFP)
Hubert Julien-Laferrière, ici en 2017 à Lyon, est cité dans une affaire d’ingérence étrangère et de corruption (JEFF PACHOUD / AFP)

En décembre 2023, un journaliste de BFM était licencié pour avoir diffusé des informations servant des intérêts étrangers. Rachid M'Barki profitait de ses journaux de nuit pour véhiculer des séquences souvent liées à l’Afrique et au Moyen-Orient. Dans l'une, il il mentionnait le Sahara occidental comme le "Sahara marocain". Dans d'autres, il dénonçait les saisies de yachts à des oligarques russes après l’invasion de l’Ukraine, rappelle Franceinfo, ou bien vantait les mérites du port de Douala au Cameroun.

Pour ces ingérences dans la ligne éditoriale de BFM TV, Rachid M'Barki a reconnu avoir reçu "cinq ou six enveloppes" contenant "6 000 à 8 000 euros" en liquide. Le journaliste, qui vit désormais à Casablanca, au Maroc, a récemment admis avoir été "complètement manipulé". Il est aujourd'hui mis en examen pour abus de confiance et corruption privée passive.

Jean-Pierre Duthion, la pierre angulaire du réseau

Une enquête de taille réalisée par Le Monde et la cellule investigation de Radio France révèle le nom de l'homme qui rémunérait Rachid M'Barki : Jean-Pierre Duthion. Un ancien restaurateur de Damas, en Syrie, qui se décrivait lui-même ainsi auprès de Franceinfo en février 2023 :

"Je suis un communicant, un lobbyiste. On me confie des missions. Je fais ce qu’on me dit de faire. Je ne me pose pas de questions. Je n’ai pas d’éthique. Pas de déontologie."

Selon l'enquête de Franceinfo, Jean-Pierre Duthion jonglait entre les sociétés, huit comptes bancaires et quatre ligne de téléphone portable, parfois ouvertes au nom de sa mère décédée.

Un proche des Frères Musulmans rémunérait un élu écologiste

Parmi ses commanditaires les plus importants se trouvait Nabil Ennasri, un proche des Frères Musulmans préconisant un "islam conservateur", comme l'évoque un reporter du Figaro. Associés dès 2018, les deux hommes se sont ensuite brouillés en 2022, après quatre ans de lobbying entre le Qatar et plusieurs relais d’opinion français. Jean-Pierre Duthion affirme avoir reçu 7 500 euros par mois de la part de Nabil Ennasri.

Mais il n'est pas le seul lobbyiste que rémunérait Nabil Ennasri. Un autre de ses précieux agents serait Hubert Julien-Laferrière, ancien socialiste devenu macroniste et écologiste. Selon l'enquête, à la demande de Jean-Pierre Duthion et Nabil Ennasri, ce député de 57 ans a publiquement "pris position contre les Émirats arabes unis, le grand rival régional du Qatar", à l'aide d'une tribune signée en octobre 2021 par 34 députés.

"Jean-Pierre Duthion me demande d’écrire une tribune qu’on ferait signer par des élus, raconte-t-il. J’écris un truc assez prudent. J’embarque quelques parlementaires de plusieurs partis. Et là, il me donne de l’argent, en espèces cette fois : 5 000 euros. C’est là que j’ai commencé à me poser des questions…"

Un chiffre mieux étayé par Franceinfo : le député Hubert Julien-Laferrière aurait perçu de la part de Nabil Ennasri 5 000 euros mensuels "ainsi que quelques primes de plusieurs centaines d'euros pendant près d’un an."

Aujourd’hui, Nabil Ennasri a été placé en détention provisoire. Il est mis en examen pour abus de confiance, corruption et trafic d'influence d'agent public, blanchiment de fraude fiscale aggravée. Mais ni lui, ni Hubert Julien-Laferrière, ni leurs avocats respectifs n'ont souhaité s’exprimer.

VIDÉO - Rachid M'Barki écarté de BFMTV et accusé de "corruption passive" : le journaliste "en larmes" passe aux aveux