« Déserteur de Wagner » : les zones d’ombre qui persistent autour d’Andreï Medvedev

Visitors wearing military camouflage stand at the entrance of the 'PMC Wagner Centre', associated with the founder of the Wagner private military group (PMC) Yevgeny Prigozhin, during the official opening of the office block on the National Unity Day, in Saint Petersburg, on November 4, 2022. (Photo by Olga MALTSEVA / AFP)

GUERRE EN UKRAINE - Quelques mystères persistent autour d’Andreï Medvedev, ex-mercenaire de Wagner, qui a déserté la guerre pour se réfugier en Norvège. Après s’être enfui dans des conditions épiques, le soldat fait aujourd’hui figure de précieux témoin susceptible d’éclairer de l’intérieur la brutalité du groupe paramilitaire russe en Ukraine et d’alimenter le dossier à charge contre Moscou.

Dans une vidéo diffusée ce week-end par l’ONG Gulagu.net, ce Russe au visage carré et aux cheveux coupés ras assure avoir combattu en Ukraine en tant que chef d’une section d’une dizaine d’hommes au sein de Wagner. Un groupe sulfureux dont il dit avoir déserté quand son contrat de quatre mois a été prorogé contre son gré en novembre. Il s’est caché pendant deux mois en Russie avant de quitter le pays.

Brièvement arrêté à son arrivée en Norvège où il a demandé l’asile, Andreï Medvedev a été ou devait être entendu par les autorités, aussi bien par celles de l’immigration que par la brigade criminelle (Kripos) qui participe à l’enquête internationale sur les crimes de guerre en Ukraine. « Il a lui-même dit qu’il a été membre du groupe Wagner et c’est intéressant pour Kripos d’obtenir plus d’informations sur cette période », a fait valoir la police mardi.

Son avocat norvégien, Brynjulf Risnes, a déclaré à l’AFP que son client était « prêt à parler de son expérience au sein du groupe Wagner aux gens qui enquêtent sur des crimes de guerre ». Mais des zones d’ombre persistent autour de ce personnage.

Wagner assure que Medvedev est Norvégien et « très dangereux »

À commencer par son arrivée sur le territoire norvégien. Sous les balles, dit-il, de gardes russes lancés à ses trousses avec des chiens, Andreï Medvedev a franchi clandestinement la semaine dernière la Pasvik, une rivière actuellement gelée qui marque la frontière russo-norvégienne dans le Grand Nord. Pourtant, nombre d’experts estiment que l’ex-mercenaire n’a pu traverser la frontière hautement gardée sans assistance.

Ensuite, son parcours laisse quelques interrogations, surtout depuis que le Groupe Wagner essaie de le décrédibiliser sur Telegram, comme le souligne Le Monde. Le groupe, qui a répondu aux questions du journal norvégien Aftenposten, assure que Andreï Medvedev est Norvégien, et « très dangereux ». Pour rappel, Wagner a abondamment recruté dans les prisons russes pour combattre en Ukraine.

« En effet, Andreï Medvedev a combattu dans Nidhögg, le bataillon norvégien de Wagner, car il a la nationalité norvégienne, mais il aurait dû être poursuivi pour avoir tenté de maltraiter des prisonniers. Des documents détaillés sont disponibles auprès du service de sécurité de Wagner et ils devaient être remis aux autorités russes. Jusqu’à présent, il était sur la liste des personnes recherchées. Faites attention, il est très dangereux. », assure Wagner.

Or, selon l’avocat d’Andreï Medvedev, qui répondait à ces propos, son client « n’a absolument aucune nationalité norvégienne ni aucun lien antérieur avec la Norvège, pour autant que je sache ».

Des clés USB compromettantes

Enfin, se pose la question de ce que peut révéler le déserteur. La brigade criminelle (Kripos) de la police norvégienne, qui participe à l’enquête internationale sur les crimes de guerre en Ukraine, a commencé à l’interroger samedi dernier. Il se montre coopératif, selon Brynjulf Risnes.

« C’est un individu intéressant essentiellement en tant que témoin de première main au sein du groupe Wagner (...), y compris dans d’éventuels procès d’après-guerre sur les atrocités commises en Ukraine », estime Tor Bukkvoll, chercheur à l’Institut norvégien de recherche de la défense. « Il a probablement été à Bakhmout », une ville de l’est de l’Ukraine dont les troupes russes tentent de s’emparer depuis des mois, « et il peut raconter des choses de l’intérieur qu’aucun autre n’a pu relater », explique-t-il à l’AFP.

Dans un entretien avec le site internet The Insider en décembre, Andreï Medvedev dit avoir connaissance de dix exécutions par Wagner de mercenaires refusant de retourner au combat. Il y précise aussi avoir en sa possession une vidéo montrant la mise à mort de deux d’entre eux et appelée à être rendue publique s’il devait lui arriver malheur. Lui-même aurait eu sous ses ordres Evguéni Noujine, un homme accusé de s’être rendu aux forces ukrainiennes et tué à coups de masse à son retour dans les rangs russes.

L’AFP n’a pas été en mesure de confirmer de façon indépendante la véracité de ses propos.

Un informateur « à un échelon assez bas de l’organisation »

Andreï Medvedev assure avoir eu sur lui plusieurs clés USB au moment de sa fuite en Norvège. « Ce qu’il a à dire est intéressant parce qu’on n’a pas beaucoup de témoignages directs de soldats de Wagner mais deux nuances s’imposent », décrypte Tor Bukkvoll.

« D’abord, la brutalité de Wagner est notoire depuis longtemps, avant même le conflit en Ukraine, comme en Syrie où le groupe a tué des prisonniers », remarque le chercheur. « Et Medvedev semble avoir été à un échelon assez bas de l’organisation et il est donc improbable qu’il fasse des révélations sur ce qui se passe aux échelons supérieurs ».

L’articulation exacte de Wagner, fondé en 2014, avec l’armée russe reste un sujet d’interrogations, de nombreux observateurs disant voir des tensions entre les deux forces sur fond d’ambitions politiques prêtées au dirigeant de ce groupe paramilitaire, l’homme d’affaires Evguéni Prigojine.

Dans tous les cas, l’avocat d’Andreï Medvedev a assuré que ce dernier a emporté avec lui des preuves de crimes de guerre commis en Ukraine et qu’il avait l’intention de partager ces informations avec des groupes enquêtant sur ces allégations.

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