Les députés votent la disposition clé sur le retour temporaire des néonicotinoïdes

La réintroduction de semences enrobées avec des néonicotinoïdes, interdites en 2018, doit permettre de protéger les rendements sucriers. Les débats ont donné lieu à quelques accrochages.

Tous les députés sont, par principe, "contre" les insecticides tueurs d'abeilles. Néanmoins, entre "souveraineté" agroalimentaire et défense de la biodiversité, entre préservation d'une filière française et promesses environnementales, les parlementaires ont dû trancher.

Dans la nuit de lundi à mardi, l'Assemblée nationale a finalement voté la disposition clé du projet de loi permettant la réintroduction temporaire des néonicotinoïdes pour sauver la filière betterave. Le vote solennel sur l'ensemble du projet de loi aura lieu mardi, à la suite des questions au gouvernement.

"C'est un texte difficile, important, qui ne veut pas opposer économie et écologie", a défendu le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie. "La question est celle de notre souveraineté", a-t-il assuré à la tribune.

"Pas d'alternative"

En raison de la prolifération d'un puceron vert vecteur de la maladie qui affaiblit les plantes dans de nombreuses régions, les betteraves issues de semences non enrobées d'insecticide sont atteintes de "jaunisse".

La réintroduction de semences enrobées avec des néonicotinoïdes doit permettre de protéger les rendements sucriers. Le hic est que ce type de pesticide, réputé tueurs d'abeilles, a été interdit en 2018. Et voilà le gouvernement obligé de rétro-pédaler, en s'appuyant sur le règlement européen sur les phytosanitaires permettant de déroger à l'interdiction, potentiellement jusqu'en 2023.

De La France insoumise au Rassemblement national, "on est tous contre" ces insecticides tueurs d'abeilles, a convenu Julien Denormandie. Mais "aujourd'hui il n'existe pas d'alternative" chimique ou agronomique suffisamment efficace, a-t-il relevé.

Pompili taclée à distance

La baisse des rendements induite menace la pérennité de la filière sucrière française, qui emploie 46.000 personnes, dont une bonne partie dans des usines de transformation, estime la profession. Or, pour le gouvernement, "tuer une filière française pour importer des sucres polonais, allemands ou belges", n'est pas une option.

"On est bien embêté avec votre texte", a relevé le député UDI d'Ille-et-Vilaine Thierry Benoit. "La France n'a pas la maturité d'organiser la transition écologique (...) J'aimerais que Mme Pompili qui nous a vendu l'idée (de l'interdiction des néonicotinoïdes) il y a quatre ans soit au banc de l'Assemblée aujourd'hui", a-t-il déploré.

Ainsi, l'élu centriste faisait référence à l'actuelle ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, ex-écologiste et surtout secrétaire d'État à la Biodiversité sous François Hollande.

"Il ne faut pas être dans le dogme et faire en sorte que la France reste un grand pays agriculteur", a souligné Christian Jacob, chef de file des députés Les Républicains, qui soutiennent le texte du gouvernement.

Accrochage entre Denormandie et Batho

À l'inverse, la gauche a présenté un front uni contre la mesure. Le patron du groupe LFI Jean-Luc Mélenchon a défendu en vain une motion de rejet préalable du projet de loi, jugeant qu'"une faute va se commettre" et promettant une action devant la Cour de justice de la République.

"Nous allons décider quelque chose de dangereux pour nos semblables, pour nos enfants, nos petits-enfants" et demain d'autres dérogations seront demandées, a-t-il pronostiqué, en estimant en outre que "la betterave française est malade du libre-échange" davantage que des pucerons.

Député socialiste de Meurthe-et-Moselle, Dominique Potier a réclamé un plan B pour la filière betterave "pour une transition économique, sociale et écologique". Emmené par l'ex-ministre de l'Environnement, Delphine Batho, le groupe Écologie Démocratie et Solidarité (EDS) a fustigé la "régression" et le "renoncement" de la position gouvernementale.

La députée des Deux-Sèvres a d'ailleurs fait l'objet de l'un des quelques accrochages survenus pendant les débats. Répondant aux questions des parlementaires, Julien Denormandie a pris à partie l'ancienne ministre de François Hollande, qui a accusé l'actuel gouvernement de vouloir "empoisonner les terres de France".

"Vous n’avez jamais rappelé le référentiel. Vous n’avez jamais évoqué l’utilisation récurrente aujourd’hui de certains produits au-dessus des nappes phréatiques", lui a d'abord rétorqué le ministre de l'Agriculture, avant d'ajouter:

"L'empoisonnement des terres de Pologne, alors ça, rien à faire! Et donc demain, on va continuer à importer un empoisonnement de terre européenne, mais chacun pour soi! Une écologie du chacun pour soi, ce n'est pas le sens de l'écologie que (...) j'ai enracinée en moi."

Quelques marcheurs opposés au texte

En défendant pied à pied les amendements hostiles au projet, les opposants au texte ont étiré l'examen du texte et les députés ont voté après une heure du matin, l'article 1er amendé à la marge, qui ouvre la voie aux dérogations. Les débats se sont achevés vers 2h15.

Cet article clé prévoit en outre la création d'un conseil de surveillance et l'interdiction, sur des parcelles où ont été utilisés des néonicotinoïdes, d'implanter des cultures attirant les abeilles afin de ne pas les exposer.

Ces deux mesures ont été introduites en commission par le groupe La République en marche, soucieux de "verdir" un texte qui tombe au plus mauvais moment pour la majorité désireuse d'engager son virage écologique, symbolisé par la Convention citoyenne pour le climat.

Le projet, critiqué par les pro-environnement qui ont multiplié les happenings près du Palais-Bourbon et les tribunes, ne fera pas d'ailleurs le plein des votes de "marcheurs". Certains d'entre eux comme Jean-Charles Colas-Roy (Isère), Yves Daniel (Loire-Atlantique) ou Sandrine Le Feur (Finistère) ont annoncé publiquement leur opposition au texte.

Les députés ont précisé que les dérogations permises visent explicitement les betteraves sucrières en votant le second article du projet de loi. Le gouvernement l'avait promis mais ne voulait pas l'inscrire dans le texte par crainte d'une censure du Conseil constitutionnel.

Article original publié sur BFMTV.com

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