Le département de Mayotte peut-il faire exception au droit du sol, comme le souhaite Gérald Darmanin ?
FRANCE - « On reviendrait au droit colonial », s’inquiète Serge Slama. Pour ce professeur de Droit public à l’Université Grenoble Alpes, contacté par Le HuffPost, l’annonce de Gérald Darmanin concernant Mayotte est source d’inquiétude. Tout juste arrivé sur le 101e département français, ce dimanche 11 février, le ministre de l’Intérieur a promis d’inscrire la « fin du droit du sol à Mayotte » à travers une révision constitutionnelle. Six ans après un premier durcissement de l’accès à la nationalité française sur ce territoire, le gouvernement veut passer un nouveau cap. Une décision qui pourrait marquer un tournant en France.
Historiquement, le droit du sol s’applique à Mayotte depuis 1993 seulement. Jusqu’alors l’archipel était régi par le droit colonial qui faisait une distinction entre l’Hexagone et ce territoire pour acquérir la nationalité française. Ce régime dérogatoire va progressivement être abandonné avec la loi Pasqua-Méhaignerie.
À Mayotte, toute personne née sur le territoire français de parents étrangers peut alors automatiquement acquérir la nationalité française lorsqu’elle atteint la majorité à 18 ans. Elle peut même en faire la demande dès l’âge de 13 ans sur demande de ses parents. Sauf que 25 ans plus tard, une nouvelle dérogation va encore changer la donne.
Mayotte, territoire d’exception
En mars 2018, Mayotte est paralysée par une grève générale, les habitants s’insurgeant contre l’insécurité. Pour une grande partie de la population, celle-ci est directement liée à l’immigration massive de Comoriens, attirés par les meilleures conditions de vie, de meilleurs soins et par l’obtention de la nationalité française.
Pour tenter de freiner l’immigration croissante sur l’archipel, le gouvernement d’Édouard Philippe durcit l’obtention du droit du sol dans le cadre de la loi Asile et Immigration en 2018. Pour qu’un enfant né à Mayotte de parents étrangers acquière la nationalité française, il faut désormais que « l’un de ses parents au moins ait résidé en France de manière régulière, sous couvert d’un titre de séjour, et de manière ininterrompue depuis plus de trois mois ».
Une exception approuvée par le Conseil Constitutionnel. « Au regard des circonstances spécifiques à ce département, le Conseil a estimé, qu’eu égard au contexte migratoire de Mayotte, il était justifié d’aménager des règles d’accès au droit du sol. Mais c’est un simple aménagement, c’est un jeu de conditions », précise au HuffPost Serge Slama, professeur de Droit public à l’Université Grenoble Alpes.
Pourquoi modifier la Constitution ?
La proposition de Gérald Darmanin va désormais beaucoup plus loin et nécessitera par ailleurs un processus législatif plus complexe qu’en 2018. Pour Serge Slama, supprimer le droit du sol à Mayotte serait contraire au principe d’égalité des citoyens et d’indivisibilité de la République et « utiliser une loi ordinaire, ça ne passerait pas ». C’est pour cette raison que le gouvernement veut passer par une révision constitutionnelle. « Il ne s’agirait pas simplement d’aménager ou de prendre en compte des spécificités. Il s’agirait d’avoir un régime d’accès à la nationalité différent à Mayotte. On reviendrait au droit colonial », s’alarme le professeur.
Reste encore un problème : pour que le texte soit adopté, il faut passer par les deux chambres du Parlement, puis réunir les trois cinquièmes des votes des élus de l’Assemblée nationale et du Sénat réunis à Versailles pour l’occasion. Or, ce lundi, sur la matinale de franceinfo, Brice Hortefeux, eurodéputé Les Républicains, suggérait d’étendre le texte « à l’ensemble de l’outre-mer ». Il cite notamment la Guyane et la Martinique. Une position pas si loin de l’extrême droite puisque le Rassemblement national réclame, de son côté, la suppression du droit du sol sur l’ensemble du territoire.
À voir également sur Le HuffPost :
Mayotte : 10 mois après Wuambushu, Gérald Darmanin et Marie Guévenoux attendus sur une île paralysée
À Mayotte, des coupures d’eau deux jours sur trois, la sécheresse est-elle la seule coupable ?