Le délit "d'homicide routier", une annonce symbolique pour "mettre tout le monde d'accord"

Quelques lignes de plus dans le Code pénal. Élisabeth Borne a annoncé ce lundi après-midi la création d'un délit "d'homicide routier", dans les tuyaux depuis plusieurs mois. Cette annonce fait relativement consensus dans les rangs politiques. Et pour cause: il n'a une valeur que très symbolique, n'alourdissant pas les peines encourues.

"C'est rare qu'on ait des sujets qui mettent tout le monde d'accord", sourit d'ailleurs un député Renaissance, faisant preuve d'optimisme pour les futurs débats dans l'hémicycle.

Une mesure sans impact juridique

La manœuvre vise à répondre à l'émotion suscitée ces derniers mois par plusieurs faits divers sur la route, tous marqués par l'alcool ou les stupéfiants, de la mort du fils du chef Yannick Alléno, en passant par l'accident de l'humoriste Pierre Palmade, mis en examen pour "homicide et blessures involontaires", ou encore la mort de trois policiers sur la route à Roubaix.

Élisabeth Borne avait expliqué en juin lors d'une interview à Radio J souhaiter des "sanctions" contre les auteurs de délits routiers qui "doivent sans doute être renforcés pour ceux qui conduisent sous l'emprise de stupéfiants".

Mais la création de ce nouveau délit n'entraînera pas d'alourdissement des peines possibles. En l'état actuel du droit, un conducteur impliqué dans un accident de la route ayant entraîné la mort d’une personne peut se voir inculper d’homicide involontaire.

"Quasi-certain de la faire passer sans encombre"

Il risque alors sept ans d’emprisonnement et 100.000 euros d’amende en cas de taux d'alcool supérieur à la loi ou en cas de consommation de drogue. La peine peut monter jusqu'à dix ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende lorsque l'automobiliste cumule alcool et stupéfiants. Il peut également perdre jusqu'à six points sur son permis.

Si le gouvernement n'a pas été sur le terrain d'une sanction judiciaire plus lourde c'est qu'il était loin d'être certain de pouvoir obtenir la majorité à l'Assemblée. La droite aurait pu être tentée de jouer la carte de la surenchère.

Éric Ciotti, le patron des LR, a ainsi proposé sur BFMTV début juin de "s'attaquer avec plus de force au fléau de la drogue" en publiant par exemple toutes les condamnations des consommateurs de drogue, y compris pour les conducteurs.

Gérald Darmanin lui-même appelait de ses vœux le "retrait des 12 points du permis de conduire pour toute personne qui conduit alors qu’il a consommé de la drogue" à l'hiver. "On n'est jamais assez durs envers ceux qui prennent de la drogue avant de prendre le volant", avait lancé le ministre de l'Intérieur dans les colonnes du Journal du dimanche en février dernier.

"Élisabeth Borne fait le choix d'une mesure symbolique mais on est quasi-certain qu'on va pouvoir la faire passer sans encombre", traduit ainsi un collaborateur du groupe Renaissance à l'Assemblée nationale.

Mettre fin au terme "involontaire"

L'avantage est loin d'être négligeable en l'absence de majorité absolue. Il faut dire aussi que la création du terme "d'homicide routier" n'est pas nouvelle dans l'hémicycle, offrant un passage législatif pour l'exécutif. Fin 2022, une proposition de loi soutenue par des députés de la majorité, des LR et des députés Liot défendait la création de ce délit.

Les parlementaires y voyaient à l'époque l'opportunité pour les victimes et leurs entourages de ne "plus entendre le mot 'involontaire' répété sans cesse pendant toute l'audience du procès".

"On répond à une demande de longue date des associations de prévention routière. C'est bien, on peut s'en féliciter", salue ainsi le député Liot Christophe Naegelen (Liot), à l'époque signataire de ce texte.

Un changement "très rapidement"

Des sénateurs de droite avaient également proposé à l'automne dernier de créer le délit d'"homicide routier. Cette proposition de loi cherchait à rendre impossible pour "les délinquants de la route" l'aménagement de peine pour les six premiers mois de prison, souvent effectués sous bracelet électronique, faute de place.

Plusieurs élus, à l'instar du député Pierre Morel-À-L'Huissier, pourraient d'ailleurs donner de la voix dans les futurs débats. Cet élu Liot, bon connaisseur des sujets de sécurité routière, veut ainsi établir la possibilité d'une peine de prison de 15 ans pour des accidents au volant mêlant alcool et stupéfiants.

"Pas satisfaisant"

"Ce n'est pas satisfaisant. Il faut aller beaucoup plus loin" contre les auteurs de délits routiers, a jugé de son côté le chef Yannick Alléno ce lundi matin sur BFMTV, rappelant que le nombre de morts sur la route chaque année correspondait à l'équivalent de "5 (attentats) au Bataclan".

Même son de cloche pour Anne Lavaud, la présidente de l'association Prévention routière qui appelle à "des mesures beaucoup plus fortes". Le délit d'homicide routier "ne va pas, fondamentalement, changer les choses", assure encore la spécialiste.

Élisabeth Borne a promis un débat "très rapidement" à l'Assemblée nationale, sans calendrier précis.

Article original publié sur BFMTV.com