Son déclic, sa timidité, son "petit caractère de cochon", ses liens avec Deschamps: Lacazette raconté par son ex coéquipier Enzo Reale

Quelle que soit la statistique utilisée, elle dit tout de l’emprise du capitaine lyonnais sur le sauvetage de l’OL en Ligue 1 et la perspective d’un trophée le 25 mai prochain, 12 ans après le dernier – une Coupe de France déjà – ramenée dans le musée: depuis son retour le 8 juin 2022 dans son club formateur, Alexandre Lacazette cumule 48 buts plus huit passes décisives en 67 matchs. Depuis la prise de fonctions de Pierre Sage et surtout depuis ce fameux 10 décembre 2023 (un triplé pour un 3-0 qui lance la dynamique actuelle) face à Toulouse, il inscrit 11 des 23 buts de l’équipe. Ses réalisations apportent directement, près d’un tiers des points 10 sur 34. Et quand ils ne "comptent" pas au final, ils sonnent juste le réveil de ses coéquipiers, puisqu’il égalise à Montpellier, Metz et Nantes avant que ses coéquipiers (respectivement Maxence Caqueret, Saïd Benrahma puis le duo Malick Fofana-Gift Orban) ne renversent la table.

De quoi faire tourner la tête des défenseurs et d’Enzo Reale, formé comme lui à l’OL, toujours proche, et qui résume: "désormais, d’une miette, il se fait un but. C’est devenu un renard. Il est chirurgical." Fini le "croqueur" (sic) d’hier: "On le chambrait trop avec çà, en sourit le complice des jeunes années, du temps de la formation à Tola Vologe, à l’ombre du stade Gerland. Je crois que c’est lors d’un tournoi à Cahors, il me semble qu’il avait eu 10 occasions. Mais bon, y a prescription. Il ne m’en voudra pas si je rappelle ce fait…"

A cette "disette", une explication tactique: "Au début, il joue sur un côté, Yannis Tafer occupe le poste de 'buteur'. Lui, il fait la différence en profondeur, mais ce n’était pas la position préférentielle pour exploiter son point fort, être un point de fixation." Mais il y a un déclic: "Le but en finale (de la tête) du championnat d’Europe 2010 à la 84e en sortant du banc, qui nous donne le titre, lâche sans hésitation Enzo Reale. Cette réalisation, face aux favoris espagnols lui fait passer un cap, mais il avait peur de garder cette étiquette de supersub." Peu importe d’ailleurs parce que l’essentiel est là en 2024: "D’une demi-occasion, il te fait un but!"

Issu comme lui de la génération lyonnaise 1991, qui irrigue une bonne partie de l’équipe championne d’Europe 2010 des moins de 19 ans où un certain Antoine Griezmann se fait une place au milieu des "Lyonnais" (C. Grenier, Y. Tafer, S. Faure, E. Reale, G. Fofana, T. Kolodziejczak …), Enzo Reale n’a pas de mal à faire rejaillir ses souvenirs de l’époque: "A 16 ans, à l’âge où le corps évolue, d’un coup au retour des vacances en Guadeloupe, chez lui, je me souviens de m’être dit: 'mais, là, il est en mode machine'. Il revient plus costaud, il a gagné en vitesse au cours des vacances. A partir de là, il présente la panoplie complète. C’est l’âge où le corps évolue." Car il revient de loin quelques temps auparavant: "A l’époque, quand on fait les 'Léger-boucher' - un test physique qui permet d’évaluer la VMA - il était le premier à abandonner! Même avant les gardiens de but..."

Mais avec le temps, il gagne en endurance tout en gardant son arme fétiche et… fatale: le jeu dos au but! "Déjà, quand on jouait ensemble, c’était comme cela, témoigne Enzo Reale. Je lui faisais la passe et derrière, soit, il me trouvait via une passe bien sentie ; soit il sentait le coup en 'solo' et il y allait par un enchaînement, un dribble et un tir. Quand on démarrait la combinaison, il y avait occasion, soit pour lui, soit pour moi…"

Et au niveau défensif, ce même point fort le place au-dessus des autres: "Quant au mec qui veut, pour le marquer, le coller, il est 'mort', avertit le joueur du Goal FC: il s’enroule autour de lui. Et comme il est meilleur techniquement, très fin et intelligent, il peut s’échapper. Ou au pire, provoquer une faute et cela fait remonter tout le bloc." Une récurrence que le temps polit, façon 'diamant': "En principe, à 16 ans, tu ne sais pas jouer avec ton corps comme cela. Lui il avait cette avance. En jouant dos au but, il a appris à s’adapter et à se façonner une forme d’intelligence naturelle. Car dos au jeu, il est obligé de prendre l’information et de voir ce que font ses co-équipiers et il saura donner le ballon qu’il faut, en suivant le positionnement du collègue."

Des années plus tard, Alexandre Lacazette épate encore son pote: "C’est sur les tacles, coupe l’ex-meneur de l’équipe de France des jeunes. Il fait maintenant des tacles … marqueurs." Et qui marquent les esprits, face à l’OM en février, puis la semaine dernière face à Nantes: "Avant, il marquait sur son talent, maintenant, il le fait par son placement, résume Reale. Quand en décembre, on (sic) était dernier, cela lui a mis une rage en lui. Il savait que cela allait passer par le travail. Il a la 'dalle' car il sait qu’un but, c’est important, qui plus est dans la situation de 'son' club dont il est le capitaine."

Mais pourquoi ce net regain de forme sous l’ère (rêvée) de Pierre Sage avec ces 31 points pris sur 42 possible en 14 matchs, durant laquelle il empile les buts (11 en 12 titularisations)? La réponse fait resurgir un nom, celui de Fabio Grosso, le champion du monde italien, éphémère entraîneur de l’OL de l’automne (18 septembre – 30 novembre pour sept matchs et cinq points récoltés). Il le mettra sur le banc à Rennes et le sortira à la mi-temps, une semaine plus tard pour les deux derniers matchs du technicien turinois… "Il faut lui faire confiance, juge Enzo Reale. Avec la confiance, tu peux tout lui demander derrière. Il l’avait perdue avec Fabio Grosso. Je dirais même qu’il ne faut pas lui laisser un petit doute sur cette confiance. Sinon, il va le sentir et avec son petit caractère de… cochon, tu ne pourras rien tirer de lui. Il vaut mieux s’appuyer sur lui en lui montrant que tu as une confiance totale et après, tu peux aller à la guerre avec lui!"

"Il n’a jamais existé avec M. Deschamps qui l’a blacklisté. C’est du gâchis"

Remis en selle, Alexandre Lacazette fait sa mue depuis son retour de Londres et d’Arsenal après son quinquennat (2017-2022): "C’est devenu un lion, lui l’hyper timide s’épanouit dans ce rôle de leader sur le terrain et par l’exemple, constate des tribunes, Enzo Reale. Quand il fait son repli défensif, qui plus est gagnant, il envoie un signal. Si mon capitaine fait cela, moi aussi je vais me déchirer. Je ne pourrais pas faire moins que lui." Un capitaine à son image, pas comme les autres, sans éclats de voix mais par le geste et l’attitude. Enzo Reale en dresse une potentielle devise: "Lui, il ne dit pas, il fait. Il va prouver sur le terrain." Et avec l’âge – il aura 33 ans, le 28 mai prochain – il devient un… guide: "Je le vois bien dans ce pour les jeunes, constate le natif de Vénissieux. Je ne suis pas dans le vestiaire, mais le connaissant, il peut recadrer si cela ne va pas, à sa manière, en diplomate sans s’afficher devant tout le monde. Avec tact."

Et l’équipe de France dans tout cela, dont le lien est plus que contrarié: 16 sélections, dont la dernière en Allemagne le 14 novembre 2017 qui se solde par son meilleur match, un doublé (2-2) et puis … plus rien! "Il est largement au-dessus de Kolo Muani. Il peut être l’appui parfait de Mbappé ou de Dembélé, même en complément d’Olivier Giroud." Mais ce n’est pas passé avec Didier Deschamps: "Il n’a pas eu la confiance du sélectionneur, c’est comme cela, avoue-t-il, amer au sujet de son ami. Déjà, avec Smerecki, le sélectionneur en 2010, ce n’était pas ça. Mais c’est souvent une histoire de feeling. Il n’a jamais existé avec M. Deschamps, qui l’a blacklisté. C’est du gâchis…" Dans son parcours, il manque donc l’équipe de France: "Mais est-ce que cela le dérange?" interroge Enzo Réale qui n’ira pas plus loin dans sa phrase. Le signe que le débat reste et restera sans solutions pour le "peuple lyonnais". Une amertume (éternelle) encore plus vivace chez ses proches…

Article original publié sur RMC Sport