Le débat Macron - Le Pen, la fausse bonne idée qui ne peut profiter qu’au RN ?
POLITIQUE - Trop d’honneurs pour un baroud. Emmanuel Macron a confirmé, samedi 25 mai, son souhait de débattre avec Marine Le Pen avant les élections européennes. Le chef de l’État, qui n’avait pas voulu se prêter à un tel exercice avec les différents prétendants à sa succession en 2022, s’imagine donc désormais croiser le fer avec une personnalité qui, comme lui, n’est pas candidate.
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Curieux ? Cette initiative provoque en tout cas des crispations jusque dans les rangs de la majorité. Le président du parti Horizons Édouard Philippe a par exemple jugé l’idée « surprenante » dimanche, l’ancien chef du gouvernement expliquant ne pas être certain qu’une telle joute soit pour l’heure « nécessaire ». Avec l’art de l’euphémisme.
Il faut dire que la proposition d’Emmanuel Macron intervient quelques jours seulement après un débat retentissant entre le Premier ministre Gabriel Attal et le président-tête de liste du Rassemblement national Jordan Bardella. Une joute largement critiquée par les autres candidats, exaspérés de voir s’organiser un nouveau duel devant leurs yeux. Dès lors, comment expliquer l’attitude de l’hôte de l’Élysée ? Pourquoi une telle manœuvre, dont tout indique qu’elle renforcera à nouveau le parti d’extrême droite ?
Macron « croit profondément à l’importance de ce combat »
Pour le chef de l’État, il s’agit d’enfiler les gants et de rejoindre un ring « existentiel », selon l’expression qu’il répète à l’envi depuis le début de la campagne. « Il croit profondément à l’importance de ce combat. C’est son ADN et il ne supporte pas de voir le Rassemblement national tromper les Français en surfant sur de la colère parfois légitime », assure auprès du HuffPost un de ses proches.
Difficile effectivement de remettre en cause l’utilité pour Emmanuel Macron de débattre et d’essayer de dégonfler un parti qui recueille plus de 30 % d’intentions de vote, forts d’idées contraires à l’engagement européen qu’il porte depuis 2017. « Un score très élevé de l’extrême droite en France et en Europe changerait en partie le cours de l’histoire », analyse pour Le HuffPost Mathieu Souquière, essayiste et expert associé auprès de la Fondation Jean Jaurès. En ce sens, « il y a un intérêt démocratique à ce débat de cette nature et de ce niveau », souligne-t-il.
Il n’empêche, le pas de danse du locataire de l’Élysée reflète aussi certaines de ses faiblesses. D’autant plus quand le tango est repoussé avec dédain par deux fois par son adversaire. « Il y a un côté un peu ridicule à tendre une deuxième perche alors que Marine Le Pen n’a pas saisi la première. Il va se prendre le même vent », résume notre spécialiste, en évoquant un triple écueil, « puérilité, vulnérabilité et dangerosité », derrière l’initiative présidentielle.
« Comme d’habitude, il pense être le deus ex machina, parce qu’il peut gagner, parce qu’il est le meilleur, celui qui va déverrouiller la campagne », décrypte-t-il. Le tout, en revenant « au centre de la photo », après le débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella qui n’a pas fait bouger d’un iota la courbe de la candidate de son camp Valérie Hayer. Un costume de sauveur, donc, qui n’est pas sans risque.
Le RN encore renforcé ?
À court terme, cette nouvelle manœuvre a tout pour répondre à la stratégie du parti d’extrême droite : nationaliser au maximum la campagne et capitaliser sur le rejet du président de la République dans l’opinion. Rien d’anodin si depuis son entrée en course Jordan Bardella s’échine à présenter ce scrutin européen comme un « référendum » pour ou contre l’action d’Emmanuel Macron. Un vocable que l’on retrouve désormais dans la bouche de… François Bayrou.
Avec cette proposition de débat, le chef de l’État remet une pièce dans la machine et semble adhérer à la présentation du scrutin faite par le RN. Au risque de s’impliquer toujours davantage dans les galères de son camp et de porter seul la potentielle déroute qu’il lui est promise à ce stade. « Parce que vous auriez besoin de cela pour dire que c’est un échec personnel ? », réplique un proche, avant d’insister : « il n’est pas du genre à se défiler. » Certes. Il ne fait aussi « aucun doute qu’il surestime sa capacité de nuisance » face au Rassemblement national, analyse Mathieu Souquière.
Le président de la République souffre effectivement de l’usure du pouvoir après sept ans à l’Élysée. Surtout, « il ne suffit pas de débattre avec l’extrême droite pour la faire reculer, au contraire », résume le spécialiste, comme le montrent d’ailleurs les retombées de la joute entre Jordan Bardella et Gabriel Attal. Malgré la victoire aux points du Premier ministre, de l’avis de la majorité des observateurs, le président du Rassemblement national a encore gravi une marche dans un sondage d’intentions de vote réalisé après l’émission.
Tout aussi épineux, l’initiative du locataire de l’Élysée continue sur le long terme d’installer Marine Le Pen et le Rassemblement national comme premier adversaire. Et ce faisant, comme la principale alternative au macronisme. Emmanuel Macron voulait un débat. Il risque d’avoir les dégâts.
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