Débat sur la fin de vie : ces cinq sujets sont loin de faire consensus à l’Assemblée nationale

Le projet de loi sur la fin de vie arrive ce lundi 13 mai en commission spéciale à l’Assemblée nationale.
Justin Paget / Getty Images Le projet de loi sur la fin de vie arrive ce lundi 13 mai en commission spéciale à l’Assemblée nationale.

POLITIQUE - Choix des mots, critères d’accès au dispositif, directives anticipées, rôle des médecins… Alors que le projet de loi sur la fin de vie arrive en commission à l’Assemblée nationale ce lundi 13 mai, 1 900 amendements ont été déposés par les députés. Les divergences sont fortes sur ce texte sensible, portant notamment sur « l’aide à mourir ».

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Des parlementaires veulent en élargir la portée, d’autres la restreindre. Voici les principaux points qui vont animer les débats des 71 membres de la commission spéciale pendant une semaine, avant l’arrivée du projet de loi le 27 mai dans l’hémicycle.

Le choix des mots

Le projet de loi instaure une possibilité pour certains patients de demander à un médecin d’être aidés à se suicider, via une substance létale qu’ils s’administreraient eux-mêmes, ou qu’un tiers pourrait leur administrer s’ils ne peuvent pas le faire.

Une partie des débats seront sémantiques : des députés de tous bords ont déposé des amendements demandant que soient employés les mots « euthanasie » et « suicide assisté » pour désigner ce nouveau dispositif. Ils voient dans l’expression « aide à mourir », choisie par le gouvernement, un euphémisme malvenu.

Fin de vie : euthanasie, suicide assisté… Les mots pour comprendre le débat

Le rapporteur du texte, le député apparenté MoDem Olivier Falorni, est défavorable à ces initiatives : le mot « euthanasie », malgré « sa belle étymologie » (du grec « euthanasia » pour une « mort douce », ndlr), a été « souillé par l’Histoire », dit-il à l’AFP.

L’enjeu pour l’exécutif est surtout de ne pas cliver l’opinion. Si une large majorité de Français est favorable à un projet de loi pour « une fin de vie digne », les avis sont beaucoup plus partagés sur les modalités. Selon un sondage Ifop de juin 2023, 18 % des Français interrogés veulent un projet de loi qui légalise « en priorité » l’euthanasie, c’est-à-dire l’administration par les médecins de la substance létale.

Ils sont 23 % à se prononcer pour le suicide assisté, c’est-à-dire la prise par le patient lui-même de la substance létale, en présence d’un médecin. 48 % se prononcent pour une loi qui contienne ces deux options et 11 % sont totalement opposés à toute loi sur le sujet. Pour créer du consensus, Emmanuel Macron a donc opté pour une troisième voie, « l’aide à mourir ».

« Pronostic vital engagé »

Pour accéder à « l’aide à mourir », plusieurs conditions sont posées. Il faut notamment être majeur – un critère que des députés remettent en cause, certains plaidant pour un seuil à 13 ou 15 ans, d’autres pour le relever à 20 ans.

Il faut aussi être atteint d’une maladie « grave et incurable », provoquant une souffrance « réfractaire ou insupportable ». Ce à quoi s’ajoute un critère contesté : la nécessité que cette affection engage le pronostic vital du patient « à court ou à moyen terme ».

Parce que celui-ci diffère selon chaque personne et chaque état de santé, l’Élysée a déjà annoncé que le projet de loi ne proposerait pas de définition du court ou moyen terme. Ce sont donc les équipes médicales qui détermineront la durée propre à chaque patient.

Lors des auditions, le mouvement Alliance Vita, hostile au texte, a déploré une notion « floue » qui ouvrirait trop largement le dispositif. L’Association pour le Droit de mourir dans la dignité (ADMD) l’a au contraire jugée trop restrictive, car écartant certaines maladies neurodégénératives incurables.

« Quasiment tous les soignants nous ont dit : comment voulez-vous qu’on établisse un pronostic vital à moyen terme ? », relève le rapporteur Falorni, qui plaide pour supprimer cette notion de « court ou moyen terme ». C’est ce que soulignait auprès du HuffPost, Aline Corvol, médecin en gériatrie, en mars dernier.

« En tant que médecin, on raisonne en termes de risques de décès, expliquait-elle. On peut faire des calculs qui nous permettent de dire “tel patient a 50 % de chances d’être mort dans l’année”, mais ce ne sont pas des faits absolus. » Pour une même maladie au même stade d’avancement, tous les patients n’auront pas la même espérance de vie.

Directives anticipées et discernement

Autre condition : les malades devront être « aptes à manifester leur volonté de façon libre et éclairée ». Mais quand ? Des députés de gauche et du camp présidentiel demandent d’ajouter la possibilité pour un patient ayant perdu son discernement de bénéficier d’une « aide à mourir » s’il a formalisé ce souhait au préalable dans des directives anticipées.

Cette disposition est dans la loi depuis 2005 et permet à toute personne d’exprimer ses volontés en matière de traitements lors de sa fin de vie et désigner « une personne de confiance » dont l’avis prévaudra. Mais encore très peu de Français y ont recours.

En octobre 2022, une enquête pilotée par le Conseil national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV), montrait que 57 % des répondants ne connaissaient par les directives anticipées. Parmi ceux qui en connaissaient l’existence, seuls 18 % (33 % pour les plus de 65 ans) les avaient rédigées au moment de l’étude – soit moins de 8 % de l’ensemble des répondants.

À l’Assemblée, certains veulent par ailleurs durcir les garanties autour du discernement. Des députés LR souhaitent qu’il y ait toujours l’avis d’un psychiatre avant un feu vert médical à une demande d’« aide à mourir ». Des députés socialistes, minoritaires dans leur groupe, veulent proscrire l’accès au dispositif pour les patients atteints d’une pathologie psychiatrique.

Les médecins trop seuls ?

Dans le texte que propose le gouvernement, la décision finale d’autoriser ou non le recours à une « aide à mourir » est entre les mains d’un seul médecin. Une responsabilité jugée trop lourde par certains, et que des députés demandent de rendre plus collégiale.

D’autres craignent qu’une décision devant être prise à plusieurs n’alourdisse inutilement le dispositif. Et font valoir que le médecin décisionnaire est déjà tenu au préalable d’échanger avec un autre médecin et avec un aide-soignant ou un infirmier qui suit le malade.

« Mais il y a un moment précis où c’est le médecin qui décide, et c’est quelque chose qu’il faut améliorer », a plaidé lors des auditions le président de l’Ordre des médecins, François Arnault.

« Personne volontaire »

Qui pourra administrer au patient la substance létale s’il n’est pas en « mesure physiquement » de le faire lui-même ? Le texte prévoit en l’état qu’il pourra s’agir d’un médecin, d’un infirmier ou d’une « personne volontaire » désignée par le malade.

Mais des députés de tous bords contestent ces dispositions, certains voulant proscrire toute intervention d’un tiers, d’autres exclure qu’un soignant puisse « donner la mort ». Des amendements demandent qu’il ne puisse pas s’agir d’un proche, jugeant que cette responsabilité pourrait être trop lourde à porter psychologiquement.

À l’inverse, des députés de gauche et du camp présidentiel voudraient que l’intervention d’un tiers ne soit pas limitée au cas d’un empêchement physique du malade.

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