Cyclisme sur piste: Daniel Bigham, l'ingénieur d'Ineos qui visera l'or à Paris 2024
Il n’est d’ordinaire pas franchement aisé d’avoir le loisir de parler en toute liberté avec des membres de l’équipe cycliste Ineos Grenadiers, qu’ils soient coureurs ou dans le staff. L’équipe de communication de la formation britannique, quand elle accepte de vous voir traîner dans les parages, veille toujours au grain, chronomètre en main, vous intimant rapidement de poser une ultime question et de faire place nette. Mais avec le très souriant Daniel Bigham et dans le contexte des championnats d'Europe de cyclisme sur piste, les choses sont différentes. Surtout quand "l’ingénieur ringard" comme il se surnomme, gagne comme ce fût le cas il y a quelques jours à Apeldoorn.
"Je vais essayer d'être un peu plus égoïste en vue de Paris"
Passé le deuxième "God Save The King" de la semaine en son honneur, le natif de Newcastle-under-Lyme s’est livré à RMC Sport sur sa drôle de vie, partagée entre l’ambiance feutrée et quasi-anonyme des vélodromes vécue sur son vélo, et la frénétique vie du peloton international de cyclisme sur route vécue pour le coup derrière ses écrans d’ordinateurs à travers de gargantuesques quantités de données à analyser pour établir des modèles de prédiction des performances. "C'est génial d’être champion d’Europe de poursuite individuelle. C'est mon premier titre international individuel, j'en avais très envie depuis des mois", confiait Daniel Bigham au pied du podium. "Je suis ravi d'être récompensé et de montrer que je suis un coureur capable de gagner ce genre de titre individuel à haut niveau."
Autrefois "mauvais élève" du cyclisme britannique, l'ancien détenteur du record du monde de l'heure veut désormais mener la Grande-Bretagne vers la gloire olympique à Paris après avoir intégré British Cycling en 2022. "Entre mon boulot, ma femme, mon enfant et le vélo, il va falloir trouver un bon équilibre car les Jeux c’est dans sept mois, souriait-il. Je vais essayer d'être un peu plus égoïste en vue de Paris."
Ménager la chèvre et le chou, entre une vie de sportif de très haut-niveau et un emploi à plein temps en tant qu’ingénieur au service d’Ineos-Grenadiers, l’une des plus grandes structures cyclistes du monde (7 tours de France, entre autres lignes d’un palmarès long comme le bras), voilà donc le défi qui attend ces prochains mois Daniel Bigham. "J'ai un rôle d'ingénieur de course. Les physiologistes et les coachs s'occupent des plans d'entraînements", explique-t-il. "Moi mon rôle est de m'occuper de tous les tests, du rythme en contre-la-montre, de l'équipement, de l'aérodynamisme, de la position, des stratégies d'approche mentale. C’est un boulot à temps complet." Qui va même parfois jusqu'au choix pour les coureurs des musiques idoines à écouter pendant un échauffement ou pour soutenir un effort très difficile.
Ineos Grenadiers a beaucoup à y gagner
Mais le sympathique et non moins passionné britannique l’assure, il a le soutien total de son équipe pour son double projet. "Je dis que je veux viser le record de l'heure et les Jeux? Ils me laissent carte blanche", se satisfait-il presque incrédule. "C'est fou d'avoir un boulot à temps plein où l’on me fait autant de concessions." Il faut dire qu’Ineos Grenadiers a aussi beaucoup à y gagner, Daniel Bigham apprenant lui-même de sa propre préparation pour être plus efficace dans celle des autres.
Ironie du sort, et situation quelque peu ubuesque, l’un des coureurs auquel il est le plus utile au sein de l’équipe Ineos Grenadiers, le rouleur italien Filippo Ganna, vainqueur de sept étapes sur des Grands Tours, est aussi celui qui lui a "piqué" avec sa bénédiction, son record du monde de l'heure en octobre 2022. Bigham avait alors partagé avec Ganna chaque secret et chaque gain marginal pour lui permettre de s'emparer de la prestigieuse marque, participant bien-sûr à la conception, l'impression 3D et aux tests du vélo utilisé pour cet exploit.
Ganna, son coureur à l'année sera aussi son adversaire aux JO
Evidemment très complices dans la vie, les deux hommes seront également de possibles adversaires pour le titre olympique l'été prochain sur le Vélodrome de Saint-Quentin-en-Yvelines lors de la poursuite par équipe (l'Italie est championne du monde en 2021, la Grande-Bretagne en 2022), même s'ils devront aussi se battre avec les Danois, les Néo-Zélandais, les Australiens et les Français. "Nous avons des performances similaires mais nous sommes complètement différents physiologiquement en stature et en données de puissance où il envoie 100 watts de plus que moi", sourit Daniel Bigham. "Nous avons une approche différente. J'ai une démarche scientifique, Filippo est très passionné, très Italien mais il y a beaucoup de façons différentes de performer. Avec mon approche, je peux progresser et le battre quand on sera opposés aux J.O.."
Mais cette rivalité restera quoi qu’il arrive cantonnée à la piste, Daniel Bigham n’ayant jamais sérieusement envisagé une carrière sur route en dépit de qualités évidentes et notamment d’une deuxième place en 2021 sur le chrono des championnats de Grande Bretagne. "Ça peut paraître bizarre mais je n’ai jamais eu ce rêve. Oui la route, c’est là où tu gagnes beaucoup d’argent mais je ne suis pas fait pour cette vie-là", reconnaît l’ingénieur de 32 ans conscient qu’il n’aurait de toute manière jamais eu une carrière à la Geraint Thomas ou Chris Froome. "J'aime la piste car c'est très scientifique alors que sur la route on n’est pas autant dans le contrôle. Et puis être toujours en déplacement, loin de ma famille et de mes amis, très peu pour moi. Même si on me proposait d’aller sur la route, je pense que je dirais non."