"Les croque-morts d'Izioum": ils ramassent les corps de Russes pour retrouver ceux des Ukrainiens

Oleksey et l'un de ses bénévoles près d'Izioum, le 23 novembre 2022.  - BFMTV
Oleksey et l'un de ses bénévoles près d'Izioum, le 23 novembre 2022. - BFMTV

C'est une petite équipe de bénévoles ukrainiens que BFMTV a pu suivre mercredi dans les bois bordant Izioum, dans le nord-est du pays. Leur tâche: ramasser les corps que la guerre laisse derrière elle et peu importe que ceux-ci aient été Ukrainiens ou Russes.

Ils ne conservent pas les seconds cependant, mais les envoient au camp adverse contre les dépouilles de leurs compatriotes tombés sous le feu de l'ennemi, et restés en sa possession.

Izioum, un nom tristement célèbre

Izioum. Le nom de cette ville qui comptait moins de 50.000 habitants avant la guerre n'est plus inconnu des observateurs depuis que l'invasion russe l'a tirée de son anonymat. Elle a d'abord été le théâtre de nombreux combats: les Russes l'ont prise autour du 24 mars dernier, puis les Ukrainiens les en ont chassés le 11 septembre.

Le 16 septembre suivant, la célébrité de la localité prenait un tour plus tragique encore, avec la découverte d'un charnier de près de 500 victimes des Russes, enfouies dans des fosses communes.

Les cadavres que les bénévoles cherchent, eux, ne sont pas enterrés. Ils reposent tels que la guerre les a fauchés. Comme le front n'est pas loin, et que la forêt qu'ils explorent n'a pas été déminée, ils avancent précautionneusement devant les caméras, un casque sur la tête, un gilet pare-balles sur le torse.

"On fait attention car nos vies en dépendent mais aussi pour que le corps reste intact et qu'on puisse le renvoyer en Russie", explique l'un de ces hommes, Oleksey.

"On doit montrer que nous sommes humains"

Bientôt, ils retrouvent un corps. C'est le 205e soldat russe qu'ils récupèrent en neuf mois. Mais avant de le ramasser, ils observent une procédure rigoureuse. Tout de suite, on fige la scène: on la délimite avec un ruban, comme des agents sur les lieux d'un crime en attendant la police scientifique. Puis, prudence encore, les équipiers s'allongent - "dix secondes" selon l'ordre d'Oleksey - avant de soulever le cadavre pour ne pas prendre de risque.

Il faut dire qu'Oleksey connaît parfaitement la feuille de route. Il est l'un des "croque-morts d'Izioum" depuis 2014 et les troubles contre les séparatistes.

"On doit montrer que nous sommes humains, même dans cette situation. On ne combat pas les morts! Nous avons toujours la même attitude, quelle que soit la nationalité des corps", explique-t-il.

Une attitude qui tranche avec celle de l'envahisseur d'après lui. "Le plus souvent, ils s'en fichent des morts. Ils n'en ont pas besoin, ce n'est que matériel. Et comme ça leurs familles n'auront pas de compensation: ce ne seront que des 'disparus'", lâche-t-il.

Encore dix ans

Le décompte des cadavres abandonnés dans la forêts semble lui donner raison: Oleksey et les siens en ont exhumés une dizaine dans cette seule forêt. Celui qu'ils ont découvert devant nos caméras a pourtant une identité.

"Dans la poche intérieure, il y a une carte militaire: Igor Vladimirovitch, né en 1966", lit Oleksey. Et c'est grâce à ces "Igor Vladimirovitch" que les bénévoles rendent aux Russes qu'ils reçoivent en échange les dépouilles de concitoyens ukrainiens.

Ce travail de croque-morts est aussi un travail de fourmi. Oleksey pense qu'il durera encore dix ans. En ce qui le concerne, les choses sont claires, il continuera tant qu'il le faudra. Après tout, il a choisi cette vie il y a déjà huit ans.

Article original publié sur BFMTV.com