Crise au Niger: ce que change l'annonce du retrait des troupes françaises par Emmanuel Macron

Crise au Niger: ce que change l'annonce du retrait des troupes françaises par Emmanuel Macron

Une victoire supplémentaire pour la junte. Le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé ce dimanche, lors d'une interview accordée à TF1 et France 2, le retour immédiat à Paris de l'ambassadeur à Niamey et le retrait, d'ici la fin de l'année, des 1500 soldats français du Niger. Jusqu'ici, l'ancienne puissance coloniale avait résisté face à la pression des putschistes qui ont pris le pouvoir le 26 juillet dernier, renversant le président Mohamed Bazoum.

"C'est une réelle victoire pour la junte qui est dans une guerre ouverte avec la France", assure Arthur Banga, maître de conférences en histoire militaire à l'université Félix-Houphouët-Boigny d'Abidjan en Côte d'Ivoire à BFMTV.com.

La junte pourra utiliser cette nouvelle pour "remobiliser ses troupes" et "redonner le moral" à ses partisans.

Pour Niagalé Bagayoko, politologue et présidente de l'African Security Sector Network contactée par BFMTV.com, "ce retrait est une demande de la junte mais surtout une exigence de la part de l'opinion publique nigérienne et des organisations civiles depuis plusieurs années". Elle pointe notamment du doigt un épisode qui aurait renforcé le sentiment anti-français. Fin novembre 2021, trois manifestants sont morts au Niger, dans des circonstances encore floues, après des heurts alors qu'ils bloquaient un convoi français de l'opération Barkhane.

Une action armée de la Cedeao remise en cause?

Mais surtout, "quelque part, la France accepte que les militaires aient une autorité de fait au Niger", analyse Arthur Banga. Emmanuel Macron a pourtant tenu à rappeler, lors de l'interview, son soutien au président Bazoum, détenu depuis fin juillet avec sa femme et son fils à la résidence présidentielle. Il le considère comme "la seule autorité légitime" du pays car "élu par son peuple".

Isolée diplomatiquement, l'absence de solidarité de ses partenaires sur la scène internationale - européen ou américain - a aussi poussé l'Hexagone à se retirer. "Même s'ils faisaient part de leur volonté d'un retour du président Bazoum au pouvoir, ils n'ont pas adopté la même fermeté que la France. Ils ont beaucoup moins soutenu l'option d'une intervention militaire de la Cedeao par exemple. Cela a fortement pesé dans la décision annoncée hier", détaille Niagalé Bagayoko, aussi enseignante à Sciences Po.

Washington a d'ailleurs annoncé ce lundi "étudier" à son tour "toutes les mesures futures" concernant sa présence militaire au Niger.

Si la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) envisage toujours en dernier recours l'intervention militaire au Niger, le retrait des troupes françaises peut diminuer la probabilité d'une telle action.

"Sans l'appui de la France, la Cedeao n'a plus les mêmes moyens, la même capacité", souligne le maître de conférences à l'université Félix-Houphouët-Boigny d'Abidjan.

Au contraire, d'après la présidente de l'African Security Sector Network, cela peut renforcer la "crédibilité" de l'organisation intergouvernementale ouest-africaine qui se débarrasse ainsi de tous les soupçons de manipulation française.

Point final à la présence française au Sahel

Avec l'annonce du retrait de ses troupes - restées sans mission depuis le coup d'État -, la France met définitivement un terme à sa présence militaire au Sahel. Il s'agit du quatrième pays, après le Mali en août 2022, la Centrafrique en décembre 2022 et le Burkina Faso en janvier 2023, où Paris se voit contraint de rappeler ses troupes. Dans les trois cas, Paris a été poussé dehors par des régimes militaires arrivés au pouvoir après des coups d'Etat.

"Il s'agit indéniablement d'un nouveau camouflet pour la politique menée par la France au Sahel au cours des dix dernières années", commente Niagalé Bagayoko.

Après la fin de l'opération Barkhane en novembre 2022, soit une décennie d'intervention militaire antijihadiste dans la région, une page se tourne définitivement.

"Contrairement à la Côte d'Ivoire, au Sénégal, au Gabon où la France est ancrée depuis l'indépendance, sa présence au Sahel était ponctuelle. On pourrait donc parler d'un retour à la normale", ajoute Arthur Banga.

Une porte ouverte aux groupes terroristes

Les grands gagnants du retrait des troupes françaises? Les divers groupes terroristes, affiliés à Al-Qaïda ou à Daesh, qui voient leur champ d'action s'éclaircir.

"On l'a vu au Mali et au Burkina Faso, le retrait des forces françaises a requinqué les groupes terroristes", observe le spécialiste de l'histoire militaire. Depuis le 26 juillet, date du coup d'État, les offensives jihadistes se sont déjà multipliées au Niger: une dizaine d'attaques ont fait plus d'une centaine de morts dont une moitié de civils.

"Le constat s'impose pour tous les acteurs, nationaux et internationaux: il y a un échec collectif à lutter contre le terrorisme. Les autorités parlent de succès (Emmanuel Macron l'a encore répété ce dimanche, NDLR) mais depuis 10 ans, la présence jihadiste n'a fait que s'ancrer au Sahel et elle s'étend désormais vers les pays côtiers", abonde la politologue Niagalé Bagayoko.

S'ajoutent donc aux mouvances jihadistes - qui s'affrontent entre elles violemment depuis trois ans -, des groupes d'auto-défense et des groupes indépendantistes qui prolifèrent.

"Le théâtre régional est totalement déstabilisé, c'est une crise multidimensionnelle", souligne-t-elle.

Pour la junte qui a pris le pouvoir Niger, ce problème sécuritaire semble relégué au second plan: elle est attendue au tournant par la population sur d'autres dossiers de politique intérieure telle que la corruption, le népotisme... Le retrait des troupes françaises met donc les putschistes, qui misaient jusqu'ici sur une réthorique extrêmement nationaliste, "face à leur responsabilité". " À terme, le retrait des troupes françaises pourrait constituer un handicap pour la junte", pointe la présidente de l'African Security Sector Network.

Article original publié sur BFMTV.com