Des coupures d'électricité quotidiennes en France ? Attention à ces images décontextualisées

Après le coup d'Etat au Niger en juillet 2023 et la forte dégradation des relations diplomatiques entre Paris et Niamey, de très nombreuses publications prétendent que la France est désormais soumise à d'importantes coupures d'électricité quotidiennes, en raison d'un "manque d'uranium" en provenance du Niger. Mais c'est faux : les images utilisées pour illustrer ces propos sont décontextualisées et datent de décembre 2022. Le Réseau de Transport d'Électricité français (RTE) a confirmé à l'AFP qu'il n'y a actuellement ni coupures ni risques sur la sécurité de l'approvisionnement en électricité en France. Par ailleurs, l'usine de l'industriel français Orano implantée au Niger a recommencé à produire de l'uranium au compte-gouttes à la mi-février 2024, après plusieurs mois de réduction de sa production.

Le Niger fournit 4,7% de la production mondiale d'uranium naturel. Mais après le coup d'Etat militaire de juillet 2023 au Niger, et les sanctions commerciales imposées par la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), la Somair, filiale du groupe énergétique français Orano implantée au Niger, avait réduit ses activités.

L'usine de traitement de minerai d'uranium avait diminué sa production puis été placée en maintenance anticipée début septembre.

Mais, en février 2024, elle a annoncé recommencer à produire très progressivement après cette interruption de plusieurs mois.  L'usine permet de produire le concentré d'uranium naturel - le Yellow cake - à partir de l'uranium extrait de la mine. L'uranium est ensuite commercialisé auprès de clients électriciens, afin d'être converti et enrichi, en vue de la fabrication du combustible destiné aux centrales nucléaires.

Dans ce contexte, des publications diffusées des milliers de fois sur les réseaux sociaux depuis le 9 avril dernier prétendent que la France est désormais soumise à des heures de délestage, entraînant des coupures d'électricité quotidiennes pendant de longues plages horaires.

"France Les heures de délestage 08h - 13h et 18h20h (sic)", avancent ainsi de très nombreuses publications relayées sur Facebook, X et Tik-Tok (1,2,3...), dont certaines assurent que "Les coupures d'électricité se multiplient en France car l'uranium du Niger appartient au nigériens" (lien archivé ici).

"Coup de tonnerre Délestage d'électricité en France (...) Manque d'uranium [emoji interrogateur]", laissent entendre d'autres posts qui assurent : "Vraiment l'uranium du Niger jouaient un rôle crucial dans l'économie française" (lien archivé ici et ici).

<span>Captures d'écran prises sur X (à gauche) et Facebook (à droite) le 11 avril 2024</span>
Captures d'écran prises sur X (à gauche) et Facebook (à droite) le 11 avril 2024

Plusieurs publications sont accompagnées d'un extrait vidéo d'1'45" issu du journal télévisé de TF1 et consacré aux gestes à adopter en cas de coupures d'électricité.

D'autres illustrent leurs propos avec des images tournées de nuit dans un quartier plongé dans le noir qui semble être privé d'éclairage public.

<span>Capture d'écran prise sur X le 11 avril 2024</span>
Capture d'écran prise sur X le 11 avril 2024

"Écoute bien ici c'est la France et non le Mali de son Excellence Assimi GOITA. Le délestage n'est pas malien", soutiennent enfin d'autres messages, alors que la dégradation de la fourniture d'électricité suscite une large exaspération parmi les quelques 11 millions de Maliens qui ont accès à l'électricité, soit la moitié de la population du pays (lien archivé ici).

Certains quartiers de la capitale Bamako sont plongés dans le noir plus de douze heures par jour (lien archivé ici).

Une publication TikTok, partagée près de 17.500 fois en 48h, cumule également plus de 3.800 commentaires d'internautes raillant l'Etat français (lien archivé ici).

<span>Capture d'écran prise sur TikTok le 11 avril 2024</span>
Capture d'écran prise sur TikTok le 11 avril 2024

Cependant, les images utilisées pour illustrer ces prétendues coupures d'électricité en France sont anciennes et sorties de leur contexte.

En réalité, les unes sont issues d'un JT de TF1 enregistré en décembre 2022, alors que les autres ont été filmées lors d'un incident technique ayant provoqué des coupures d'électricité dans le centre de Paris en décembre 2022.

A l'heure actuelle, aucune coupure n'est organisée en France et il n'existe pas de risques sur la sécurité de l'approvisionnement en électricité, a confirmé auprès de l'AFP le Réseau de Transport d'Électricité français (RTE).

La rédaction de l'AFP, dont le siège est basé dans la capitale française Paris, n'a constaté aucune coupure d'électricité d'ampleur depuis le coup d'Etat de juillet 2023, ni ces dernières années.

Des images sorties de leur contexte

Pour retrouver l'origine des images diffusées sur les réseaux sociaux, nous avons effectué une recherche par mots clés sur le moteur de recherche Google, à l'aide d'indice visuels : le nom du sujet affiché sur le synthé ("coupures d'électricité mode d'emploi") mais aussi le nom de la chaîne ("TF1") et du programme ("JT").

Nous avons retrouvé le même extrait publié sur la page Facebook de TF1 info le 3 décembre 2022 (lien archivé ici). "Téléphone, train, écoles, ascenseurs... Ce qu'il faut anticiper en cas de coupure d'électricité", est-il indiqué en légende.

 

Cependant, la vidéo originale est plus longue que l'extrait diffusé sur les réseaux sociaux, qui est tronqué.

Contacté par l'AFP le 12 avril, le chef adjoint du service news de TF1, Julien Beaumont, a confirmé que ces images sont "sorties de leur contexte" et qu'elles ont été diffusées, à l'origine, dans le journal télévisé de TF1 du "1er décembre 2022".

"En septembre 2022, la France se trouve dans une situation inédite, il y a l'inquiétude du gouvernement qui étudie la possibilité de mettre en place des coupures d'électricité", explique-t-il.

A l'époque, à l'approche de l'hiver, la France est exposée à des risques de coupures en raison d'un niveau de production d'électricité nucléaire au plus bas depuis 30 ans du fait de l'arrêt d'une grande partie des réacteurs.

Le gouvernement et les fournisseurs d'électricité communiquent alors sur différents scénarios possibles et sur les modalités de délestages électriques, des coupures d'électricité prévues à l'avance et organisées par le gestionnaire du réseau de transport d'électricité, RTE, pendant des périodes limitées et sur des territoires restreints afin de soulager le réseau (lien archivé ici).

A cette période, des rumeurs infondées circulent déjà abondamment sur les réseaux sociaux. L'AFP en avait vérifiées plusieurs ici.

Le chef adjoint du service news de TF1 indique que la diffusion du sujet du 1er décembre 2022, consacré aux gestes à adopter en cas de coupures d'électricité, s'inscrit dans une série de nombreux reportages réalisés sur ce sujet d'actualité : "On s’est posés beaucoup de questions, on s'est demandés ce qu’il se passerait si le gouvernement décidait vraiment d'un délestage : si je suis dan un train, par exemple, est-ce qu'il s’arrête ?"

Des coupures d'électricité sont finalement évitées du fait, notamment, de la baisse générale de la consommation et de la hausse des températures sur le territoire. Une note de RTE le détaille en janvier 2023 (lien archivé ici).

L'AFP n'a pas été en mesure de retrouver l'intégralité des images de la seconde vidéo, montrant un quartier plongé dans l'obscurité. En revanche, un indice visuel nous a permis d'en identifier certaines.

A 0'46", on observe un bâtiment portant l'inscription "Hôtel du Loiret" et trois étoiles.

<span>Capture d'écran prise sur X le 11 avril 2024 / Encadré ajouté par l'AFP</span>
Capture d'écran prise sur X le 11 avril 2024 / Encadré ajouté par l'AFP

En tapant sur un moteur de recherche "Hôtel du Loiret trois étoiles", on retrouve l'adresse de l'établissement à la devanture identique, situé au 8 Rue des Mauvais Garçons à Paris.

En cherchant un peu plus loin avec les mots clés "coupure d'électricité" et "Paris", on retrouve une vidéo publiée sur le site du Figaro le 8 décembre 2022, contenant certaines images également visibles dans la vidéo que nous vérifions (lien archivé ici).

<span>Captures d'écran prise sur le site du Figaro (à gauche) et sur X (à droite) / Encadrés ajoutés par la rédaction de l'AFP</span>
Captures d'écran prise sur le site du Figaro (à gauche) et sur X (à droite) / Encadrés ajoutés par la rédaction de l'AFP

"Alors que sont craints des délestages cet hiver en raison de la crise énergétique qui frappe la France, plusieurs arrondissements de Paris ont connu des coupures d'électricité ce jeudi soir 8 décembre. L'Hôtel de ville de la capitale a également vu ses éclairages s'éteindre soudainement, a constaté Le Figaro sur place", y apprend-on.

"À la suite d'un incident survenu sur un transformateur du réseau électrique vers 22h15 dans la capitale, des quartiers entiers ont été privés d'électricité, selon les gestionnaires de réseaux Enedis et RTE", rapportait également une dépêche de l'AFP publiée le 9 décembre 2022 (lien archivé ici).

Pas de coupures d'électricité en France

Ces images ont donc été sorties de leur contexte pour faire croire à d'actuelles coupures d'électricité en France. Cependant, contacté par l'AFP, le service de presse de RTE a confirmé qu'il n'a actuellement "pas de coupures organisées sur le territoire français."

"Nos analyses montrent qu'il n'y a pas de risques sur la sécurité de l'approvisionnement, c'est-à-dire qu'il y a suffisamment de production pour répondre aux consommations en cours", ajoute le gestionnaire, précisant qu'"en 2022, il y avait plus de risques sur la sécurité de l'approvisionnement, du fait de la guerre en Ukraine et de la baisse des approvisionnements en gaz".

Mais depuis, "les centrales nucléaires sont revenues à leur niveau de sécurité maximale" et la consommation d'électricité en France "est restée en baisse, d'environ 6% entre 2022 et 2023, certainement en partie en raison de l'inflation", note RTE.

<span>Centrale nucléaire du Bugey à Saint-Vulbas, le 20 juillet 2023, France</span><div><span>OLIVIER CHASSIGNOLE</span><span>AFP</span></div>
Centrale nucléaire du Bugey à Saint-Vulbas, le 20 juillet 2023, France
OLIVIER CHASSIGNOLEAFP

Uranium au Niger: l'usine d'Orano recommence à produire au compte-gouttes

Certains messages diffusés sur les réseaux sociaux prétendent que la France fait face à d'"importantes coupures d'électricité" en raison du "manque d'uranium" fournit à la France depuis le Niger.

Après le coup d'Etat intervenu le 26 juillet 2023 au Niger, l'usine de traitement de minerai d'uranium de la Somaïr, la filiale au Niger du groupe énergétique français Orano, avait effectivement réduit sa production puis avait été placée en maintenance anticipée début septembre (lien archivé ici).

Le site faisait alors face à l'épuisement des stocks de réactifs chimiques essentiels au maintien de sa production, du fait de la fermeture des frontières de pays voisins du Niger, avait indiqué à l'époque un porte-parole du site.

Ces sanctions commerciales avaient été imposées par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) pour faire plier les militaires putschistes au pouvoir.

Le 25 février 2024, la Cédeao a en revanche décidé la levée d'une grande partie des sanctions prises contre le Niger mais aussi la Guinée et le Mali, actant une volonté de reprendre le dialogue avec ces trois régimes militaires dans un contexte de crise régionale (lien archivé ici).

 

Quant au groupe Orano, il avait finalement "réussi à récupérer un certain nombre de réactifs, en volume réduit" pour permettre le redémarrage de la production de manière très sporadique, avait indiqué M. Maes, son directeur général, quelques jours avant la levée des sanctions.

Les enjeux pour le groupe étaient de continuer à "alimenter l'usine avec les réactifs dont elle a besoin" puis de "trouver des voies pour exporter l'uranium", un défi logistique en raison de frontières encore fermées, avait admis Orano.

Le groupe avait alors écarté tout risque de pénurie d'uranium, affirmant assurer "la sécurité d'approvisionnement de ses clients grâce à la diversification géographique de ses zones d'implantation", au Canada et au Kazakhstan.

L'année dernière, du fait des perturbations, l'usine a produit 1.100 tonnes de concentré d'uranium au lieu des 1.800 tonnes attendues, dans un marché mondial de l'uranium estimé à 70.000 tonnes par an.

Sur son site, le groupe indique par ailleurs que la France "dispose (...) de stocks d’uranium sur son territoire. Le stock actuel d’uranium naturel correspond à 2 ans de production d’électricité nucléaire sur la base de 58 réacteurs en fonctionnement en France", peut-on y lire (lien archivé ici).

Par ailleurs, le service de presse d'EDF a assuré le 16 avril à l'AFP que la société publique, qui "achète près de 7 000 tonnes d’uranium, ainsi que l’ensemble des services de transformation associés (conversion, enrichissement, fabrication d’assemblages combustibles et le recyclage du combustible)", a des sources diversifiées en matière d'approvisionnement en uranium.

"Dans un souci de sécurité d’approvisionnement en combustible des centrales nucléaires, EDF maximise la diversification de ses sources géographiques et de ses fournisseurs. Cela veut concrètement dire que nous ne sommes dépendants d’aucun site, d’aucune société et d’aucun pays pour assurer notre sécurité d’approvisionnement. Ce point cardinal est essentiel et a permis d’assurer notre résilience lors des crises vécues depuis deux ans (Covid, guerre en Ukraine, …)", a ainsi déclaré le service de presse.

Le Niger fournit 4,7% de la production mondiale d'uranium naturel, loin derrière le Kazakhstan (45,2%), selon des chiffres de 2021 de l'agence d'approvisionnement d'Euratom (ESA).

La Somaïr dans la région d'Arlit (Nord) est l'unique mine d'uranium encore exploitée par Orano dans le pays, après la fermeture de la Cominak, en 2021.