Coupe du monde de rugby: Ange Capuozzo, le plus français des Italiens, raconté par ses proches
Une pile d'article de journaux sur son fils s'entasse sur le bureau. "J'ai commencé à faire un classeur mais pour l'instant j'ai un peu de retard..." souffle Franck Capuozzo le papa. Il faut dire que depuis trois ans, de la pro D2 à Toulouse jusqu'à la coupe du monde, tout est allé très vite pour Ange Capuozzo. A 24 ans, il affronte la France ce vendredi 21h à Lyon pour le dernier match de poule de la coupe du monde de rugby. Avec le maillot Italien sur le dos.
Un match "évidemment particulier" pour les Capuozzo, et une mise au point de Franck, le papa. "J'ai lu ou entendu dans les journaux qu'il aurait fallu qu'il attende pour jouer avec la France. Et je réponds non, puisque à 20 ans l'aventure était terminée. Ce n'est pas un choix. Un choix, c'est quand les deux vous appellent. C'est important de le dire et j'insiste mais il n'a pas refusé la sélection française puisqu’il n’y en a pas eu. Il est très proche de l'Italie, il est super content de jouer en Italie. Ce n’est pas un choix."
L'histoire des Capuozzo s'écrit dans les différentes vagues d'immigration Italienne à Grenoble. "ma famille est d'origine napolitaine, explique Franck. Du côté de ma mère ils sont arrivés au début du 19e siècle pour l'industrie du gant. Et du côté de mon père, ils sont venus après-guerre." Ange, lui est né à quelques kilomètres du quartier Italien de Grenoble, à Pont de Claix avec ses origines italiennes par le papa donc, et malgaches par la maman Emmanuelle.
"On leur a fait goûter toutes les cultures, il a pas mal accroché avec l'Italie"
"On n'a pas vraiment éduqués nos enfants (Ange et ses deux sœurs Lisa, 27 ans et Jeanne, 18 ans) avec telle ou telle culture à fond. On leur a fait goûter toutes les cultures. Mais bon, c'est vrai qu'il a pas mal accroché avec l'Italie". "Ils ont une famille quand même particulièrement unie, prolonge Emmanuelle. Avec une des traditions fortes et du coup je pense que c'est ça aussi qui a pris un peu le pas. On vivait un peu l'Italie au quotidien dans notre dans notre façon de vivre."
Le rugby, Ange Capuozzo l'a découvert en suivant le paternel dans les tribunes du stade Lesdiguières pour voir jouer Grenoble. "Il était un peu turbulent, du coup je l'avais souvent avec moi et il a tout de suite accroché avec le rugby." Après avoir goûté au cyclisme, à la boxe, au tennis, au football notamment, c'est le ballon ovale qui a pris le pas. "Il aimait le contact, se remémore la maman. Il aimait beaucoup jouer avec les poupées de sa sœur par exemple, il les faisait se tamponner!" "Il avait aussi un petit ballon doudou de rugby", rigole Franck.
Et de décrire le cheminement qui a conduit l'Isérois jusqu'à la sélection Italienne. Car même quatre ans après ses débuts chez les moins de 20 ans, le voir jouer pour l'Italie continue d'interroger. "J'ai l'impression que ce n'est pas clair puisque tous les jours on nous en parle" lance Franck Capuozzo. Un petit garçon d'abord en avance "morphologiquement, psychologiquement, techniquement" en benjamin. Puis une puberté tardive. "Il n'avait pas de gabarit et à partir de là, il n'a pas été sélectionné. Mais il a toujours fait débat. A partir de cadets, il a grandi, il a changé de poste multiples fois, il s'est adapté et je pense que c'est une grande richesse pour lui. Il a toujours joué à Grenoble, toujours été dans les équipes tout le temps sur les feuilles de match, pas de problème. Simplement en deuxième année espoir, c'est à dire à la fin du parcours à quasiment à 20 ans, c'est la dernière année où tu peux être conservé et où tu as une chance de rentrer au centre de formation. Mais il n'y avait toujours pas de centre de formation. La saison se terminait en mai, nous étions en décembre. Et Ange disait: je n'ai pas de contrat. On était dos au mur".
L'histoire d'une trajectoire qui a flirté avec le parcours classique du rugbyman qui mène jusqu'aux sélections nationales jeunes, mais qui tarde à basculer du bon côté. Le destin va s'en mêler. "L'Italie est venue jouer à Grenoble et ça faisait pas mal de fois qu'on en avait discuté. Je lui avais dit: "tu es qualifiable!" Ce n'était pas de l'opportunisme du tout parce on a une culture italienne et même si on défend l'équipe de France, ça ne nous empêche pas d'avoir une culture italienne."
La suite passera par une clef USB apportée en main propre au staff italien avant un match à Toulouse, avec les meilleures actions du jeune Ange. Une sélection pour le mondial des moins de 20 ans en Argentine (le jour de ses 20 ans) et un déclic immédiat. Il intègre le centre de formation grenoblois, puis le groupe pro entraîné par Stéphane Glas à la suite de deux blessures au poste de numéro 9.
"Ange n'a pas trahi la France"
Et l'équipe de France dans tout ça? "Je crois que dans les couloirs, ils ont parlé d'Ange, ils le connaissaient, constate Franck. Mais il faut dire aussi qu'il y avait beaucoup de concurrence dans cette équipe de France. C'est une génération où il y avait beaucoup de bons joueurs et ce n'est pas un scandale absolu qu’il n’ait pas été appelé."
Aujourd'hui, ils se posent encore la question. "S'il n'avait pas intégré l'équipe d'Italie, est ce qu'il serait à Voiron (club isérois de Fédérale 2)- et je serais très content- ? Ou est-ce qu'il aurait arrêté? Ou est-ce que finalement il aurait rebondi autre part?" Questions qui resteront sans réponse.
"C'est son destin, c'est son parcours, prolonge Emmanuelle. C'est juste qu'il faut que les choses soient bien claires et bien exposées. Parce que c'est l'éternel débat qui revient. Ange n'a pas trahi la France, ce n'est pas vrai. Il est Français et il joue pour l'Italie. Parce que ça s’est fait comme ça et que c'est son pays de cœur."
Un parcours atypique et "une fierté" pour les parents. "Parce qu'il est arrivé au plus haut niveau malgré tout. Ça faisait partie de ses rêves et c'est une fierté parce que ça a été dur, parce qu'il s'est battu pendant des années. Voilà, il a été contre l'adversité. On ne peut être que content de tout ce qui s'est passé, sinon c'est se foutre de la gueule du bonheur."
"Romantisme" italien, et "French Flair"
De sa double culture, Ange Capuozzo garde de l'Italie "la cuisine, la chanson et le romantisme... C'est un romantique", selon la maman. Et côté Français. "Il n'est pas trop exubérant, il est quand même discret et consensuel, ce n'est pas Napoli! Rigole le papa avant d'ajouter. Ce qu'il a de plus français, c'est certainement le french flair."
Un french flair au service donc de l'Italie. "L'Italie lui fait découvrir autre chose, avance Franck. Ça ajoute à sa palette. Il est obligé d'être à la hauteur de son statut, d'être à la hauteur de ce qu'on attend de lui. Il ne peut plus se planquer. Il y a des attentes terribles auprès de lui, je crois. Et il a ramené un peu de fraîcheur avec son gabarit (1m77 pour 82 kilos). Il a peut-être été forcé de trouver d'autres solutions que de passer en force depuis qu'il est gosse. Il cherche des solutions. Peut-être par la roublardise, peut-être aussi par l'anticipation, la prise de décisions."
Un parcours qui attire l'attention de l'autre côté des Alpes où la Rai 1 lui a récemment consacré une minute trente dans le journal de 20h, un exploit au pays du football roi. Et qui fait la fierté de la grande communauté italienne de la région de Grenoble. Le portrait (dédicacé) de Ange Capuozzo est accroché sur un mur de la "Tavola Calde". "C'est ici qu'il vient manger la pizza, lance fièrement Rose Anna qui tient cette pizzeria grenobloise avec son mari et son frère depuis bientôt cinquante ans. Sa pizza c'est la napolitaine bien sûr! La Margherita! Pour nous il représente surtout le petit napolitain qui a percé dans le rugby. Donc c'est on est fier." A côté du four à pizza, Marco le frère prolonge. "Il a cette chance d'avoir ce mélange de cultures qui est une richesse. Une mère aux origines malgaches et un père napolitain. C'est une richesse, sans renier les origines françaises et grenobloises qu'il a puisqu'il a grandi ici quand même. C'est un garçon qui a compris qu'il fallait avoir de l'humilité, de la sagesse et beaucoup de travail pour y arriver."