La Coupe du monde 2022 peut-elle laisser un « héritage positif » au Qatar ?

Workers take a break on the Corniche in Doha on November 15, 2022, ahead of the Qatar 2022 World Cup football tournament. (Photo by Anne-Christine POUJOULAT / AFP)
ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP Workers take a break on the Corniche in Doha on November 15, 2022, ahead of the Qatar 2022 World Cup football tournament. (Photo by Anne-Christine POUJOULAT / AFP)

FOOTBALL - L’heure est arrivée pour le Qatar. Ce dimanche 20 novembre débute la première Coupe du monde dans le monde arabe, le premier aussi à susciter autant de critiques, notamment sur les droits humains.

Dans la dernière ligne droite, les attaques les plus virulentes, venues principalement d’Europe occidentale, ont surtout porté sur le sort des travailleurs étrangers, certaines ONG avançant le chiffre de 6 500 morts sur les chantiers, bilan que Doha dément avec vigueur. Amnesty International et the Human Rights Watch, qui ont pu mener l’enquête, font état de conditions déplorables et de multiples abus en tous genres.

Toutefois, ces dernières années, des progrès ont été observés en la matière, des efforts « qui ont pu être accélérés grâce à la visibilité donnée par le Mondial », estime auprès du HuffPost May Romanos, chercheuse sur les droits des travailleurs migrant dans les pays du Golfe pour Amnesty International. Un coup de projecteur qui a pu éclairer l’horreur que vivaient de nombreux travailleurs sur place… et le vivent toujours.

Fin de la « kafala » et lutte contre la chaleur

Journée à rallonge à travailler sous une chaleur caniculaire, salaires dérisoires (quand il n’est pas donné en retard, voire pas du tout), peu ou pas de jour de repos, pas d’accès à l’eau pendant les heures de travail, « kafala »…

Cinq ans après avoir été élu hôte du Mondial 2022, le Qatar s’est engagé depuis 2017 dans une réforme pour introduire progressivement d’importantes réformes du travail pour renforcer la protection des droits des travailleurs migrants dans le pays. Ces changements comprennent une loi réglementant les heures de travail des travailleurs, des tribunaux du travail pour faciliter l’accès à la justice, un fonds pour soutenir le paiement des salaires impayés et un salaire minimum.

Mais l’un des changements juridiques les plus importants introduits par le Qatar a été de permettre aux travailleurs migrants de quitter le pays et de changer d’emploi sans l’autorisation de leur employeur, une étape importante qui démantèlerait potentiellement des éléments clés de la « kafala ». Une autre réforme importante est également née quelques années plus tard, en 2021. En mai de cette année le gouvernement a finalement introduit un nouveau règlement pour prolonger l’interdiction estivale de travailler au soleil, ou dans des endroits non ombragés et ventilés, entre 10h00 et 15h30 du 1er juin au 15 septembre.

« Presque du jour au lendemain, un pays synonyme d’oppression ouvrière a adopté la stratégie de protection contre la chaleur la plus progressiste au monde », résume le Times dans un article soutenu par le Pulitzer Center. Il y est d’ailleurs précisé que, selon le rapport annuel de l’OIT sur le Qatar, les hospitalisations dans les cliniques de santé pour des troubles liés à la chaleur sont passées de 1520 à l’été 2020 à 351 à la même saison de 2022.

Des années de travail sans un jour de repos

Mais malgré ces preuves de bonne volonté, le chemin est encore très long avant que le Qatar soit un havre en matière de respect des droits des travailleurs. Dans un rapport de 2021, Human Rights Watch a déclaré que les travailleurs étrangers souffraient toujours de « retenues salariales punitives et illégales » et faisaient face à « des mois de salaires impayés pour de longues heures de travail exténuant ».

May Romanos évoque les témoignages récents de migrants employés comme agents de sécurité qui ont pu travailler jusqu’à 12 heures par jour, sept jours sur sept, pendant des mois, voire des années.

Parmi eux, certains ont déclaré avoir dû travailler par quarts sans avoir accès à un espace intérieur, ni même à de l’eau potable, en plein été.

Le gouvernement du Qatar sévit

Face aux entreprises qui refusent de respecter les nouvelles lois qatariennes, le ministère du Travail du Qatar a fermé plus de 450 chantiers pour violation de sa nouvelle politique de protection contre la chaleur cet été, rapporte le Times. Des sanctions ont également été prises contre les employeurs qui ne versent pas au moins les 270 euros de salaire minimum et qui persistent dans le système du « kafala ».

Toutefois, si cela est un signe de surveillance efficace, le Times précise que le ministère n’a « aucune capacité d’exécution », de sorte que les contrevenants sont souvent de retour en activité en quelques jours après leur suspension. Le gouvernement n’a pas non plus la capacité d’inspecter chaque site de travail assez fréquemment pour assurer la sécurité des travailleurs.

Un porte-parole du gouvernement qatari a déclaré à la BBC que « des progrès significatifs ont été réalisés pour garantir l’application effective des réformes et que le nombre d’entreprises qui enfreignent les règles continuera de diminuer à mesure que les mesures d’application s’imposeront. »

Crainte de voir ces efforts disparaître après le Mondial

Le fait que ces lois ont été prises ces dernières années juste avant la compétition n’est pas un hasard. Amnesty International reste « convaincue » que cette Coupe du monde « pourrait encore laisser un héritage positif pour les droits de l’homme », à la condition que des mesures urgentes soient prises immédiatement et que les travailleurs qui le doivent soient indemnisés.

« C’est bon » pour le Qatar de recevoir le Mondial, car la compétition « a fait avancer les choses » dans les réformes, a également assuré de son côté Emmanuel Macron, jeudi 17 novembre, depuis Bangkok, face à des jeunes du lycée français réunis dans un stade de boxe thaï de la capitale.

Encore faut-il que la santé des travailleurs continue d’être évoquée après la fin du Mondial, note May Romanos. « Le gouvernement qatari a déclaré qu’il était déterminé à poursuivre les réformes sur le long terme, mais nous craignons que ce ne soit plus facile à dire qu’à faire, surtout lorsque l’attention médiatique disparaît. »

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