Corruption, violences sexistes et sexuelles : pourquoi l’inéligibilité peut renforcer la République

Adrien Quatennens, condamné pour violences conjugales, a exclu de démissionner de son mandat de député. (photo : Adrien Quatennens à l’Assemblée, 
 le 26 juillet 2022)
BERTRAND GUAY / AFP Adrien Quatennens, condamné pour violences conjugales, a exclu de démissionner de son mandat de député. (photo : Adrien Quatennens à l’Assemblée, le 26 juillet 2022)

POLITIQUE - « Je ne vois pas pourquoi je devrais m’en aller », affirme Bernard Laporte, président de la fédération française de rugby, au lendemain de sa condamnation pour corruption. Dans un autre type d’affaire, Adrien Quatennens, quant à lui, ne comprend pas non plus pourquoi il devrait quitter les bancs de l’Assemblée nationale, après sa condamnation à quatre mois de prison avec sursis pour « violences sans incapacité commises par conjoint » et pour « envoi régulier et malveillant de messages ». Bien d’autres noms, bien d’autres affaires pourraient s’additionner à ces exemples récents.

Ces attitudes interrogent les citoyens. Tiennent-elles de la volonté de pouvoir, du désir d’exister, de la certitude d’être irremplaçable, d’avoir un destin ?

Si ces quelques exemples se percutent dans notre actualité, c’est sans doute aussi que la société actuelle y devient plus sensible et connaît un regain d’un certain ordre moral, menant assez facilement au principe du « nommer et faire honte » (« name and shame »), rendu possible par l’impact des réseaux sociaux.

Bien que ce principe de transparence soit bon, et si chacun doit être libre d’avoir un avis et de le partager, il faut parfois prendre avec délicatesse l’opinion publique qui peut si facilement se muer en vindicte populaire. L’emballement médiatique rend nécessaire, plus que jamais, une réponse judiciaire claire et rapide. C’est la seule qui devrait aujourd’hui être légitime pour juger de faits commis par une personne.

« Quelle entreprise engagerait un comptable condamné pour avoir détourné de l’argent à son profit ? Dès lors, comment accepter qu’un patron de fédération corrompu reste à son poste?

C’est donc ce cadre légal qu’il faut considérer, c’est lui que l’on peut interroger. Si le tribunal populaire ne peut exister, peut-être faut-il malgré tout entendre ses appels à la démission de personnes ayant désobéi aux lois de la République et envisager comment le droit pourrait évoluer pour apporter des réponses proportionnées et lisibles.

Tout le monde comprend que la justice retire son permis de conduire à un chauffard. Personne ne souhaiterait dîner dans un restaurant fermé par décision administrative pour avoir vendu sciemment des aliments avariés. Quelle entreprise engagerait un comptable condamné pour avoir détourné de l’argent à son profit ?

Dès lors, comment accepter qu’un patron de fédération corrompu reste à son poste, ou qu’un élu de la République siège et puisse être réélu, alors même que la lutte contre les violences sexistes et sexuelles est la grande cause nationale ? Si l’on se concentre sur ce deuxième cas – qui ne se restreint malheureusement pas au député du Nord, mais à de nombreux élus à tous les échelons de la vie politique française - il paraît incompréhensible que des personnes détentrices de l’autorité, exerçant parfois un pouvoir judiciaire, qui auraient été condamnées pour avoir commis des délits de cet ordre, puissent se représenter devant des électeurs.

Le devoir d’exemplarité doit primer

Même s’il s’agit de leur vie personnelle, le devoir d’exemplarité doit primer. Ces personnes, si elles sont condamnées par la justice pour certains types de délits à (re)définir, devraient toutes être démises de leur mandat. Et tout condamné pour des faits de ce genre devrait être démis de ses droits civiques. Bien entendu, l’homme qui frappe sa compagne ne s’arrêtera pas, le bras en l’air, en mettant dans la balance sa pulsion contre son droit de vote. Mais nous affirmerons ainsi collectivement que la République n’accepte pas en son sein, et encore moins parmi ses représentants, des personnes qui bafouent ses principes.

À qui s’appliquent aujourd’hui des peines d’inéligibilité ? Depuis 2010, cette sanction peut s’appliquer de manière complémentaire à une autre sanction dans de nombreux cas, allant de la violence au terrorisme, en passant par les abus de biens sociaux, les fraudes électorales ou fiscales, l’escroquerie, etc. Pour des raisons juridiques - la peine d’inéligibilité automatique irait à l’encontre du principe de personnalisation des peines- il a été jugé par le Conseil constitutionnel en 2010 que l’inéligibilité ne pouvait être qu’une peine complémentaire, limitée dans le temps avec un maximum de 10 ans et que le juge pouvait d’ailleurs en exempter le condamné. C’est donc à l’électeur de juger la recevabilité de la candidature… sur un territoire où l’élu peut avoir « travaillé le terrain » et où les citoyens n’ont pas à leur disposition les pièces du dossier.

Que la République cesse la compromission avec ceux qui la tirent vers le bas et abîment la confiance que les Français peuvent avoir en elle.

Ainsi pourrions-nous ouvrir la discussion sur une proposition : redonnons à cette peine d’inéligibilité tout son poids. Si un élu est condamné pour violences sexistes ou sexuelles (ou pour corruption, fraude, ou tout autre délit venant entacher la dignité de la fonction de représentant de la République), l’inéligibilité devrait être appliquée d’office, avec une sanction suffisamment longue pour que le condamné ne puisse pas se présenter à l’élection suivante. La loi actuelle le permet, puisqu’elle ouvre des peines d’inéligibilité allant jusqu’à 10 ans.

Que les juristes se penchent sur cette question, pour mettre en phase le Code pénal et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen – pour ne pas oublier les droits des citoyennes. Si les électeurs doivent se prononcer, qu’ils le fassent au travers de leurs élus ou d’un référendum. Que la République cesse la compromission avec ceux qui la tirent vers le bas et abîment la confiance que les Français peuvent avoir en elle.

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