Coronavirus : pourquoi faut-il se méfier du chiffre de 0 mort par jour en Espagne ?

Manifestation de soignants devant un hôpital en Espagne.

Lundi et mardi, le gouvernement espagnol s’est félicité de n’avoir enregistré aucun décès du Covid-19. Un chiffre à prendre avec précaution.

L’Espagne a-t-elle vaincu le Covid-19 ? Les 1er et 2 juin, aucun décès n’était à déplorer dans le pays. Le 3 juin, un seul décès, selon le ministère de la Santé espagnol. Un bilan salué par le Premier ministre espagnol au Parlement : “C’est un succès pour tous”, s’est félicité Pedro Sánchez.

“Ceci est une donnée très positive”, a même lancé Fernando Simon, le directeur du centre d'alertes sanitaires, lors d'une conférence de presse, tout en appelant à la “prudence”.

Des décès non comptabilisés

Un nouvelle en apparence encourageante, alors que l’Espagne a enregistré 950 morts par jour au plus fort de la crise, le 2 avril. Mais il faut prendre cette bonne nouvelle avec précaution. En effet, alors que lundi et mardi les autorités annonçaient dans leurs bilans quotidiens qu’il n’y avait eu aucun mort à déplorer du Covid-19, la région de Madrid déplorait 11 et 12 décès. Un décalage entre les chiffres qui s’explique par une modification des critères pour enregistrer un décès dans les bilans Covid-19, comme le rapporte le Financial Times.

Désormais, dans le bilan quotidien du ministère de la Santé, les autorités ne prennent en compte que les décès survenus la veille du bilan. Autrement dit, seuls les décès survenus lundi sont pris en compte dans le bilan présenté le mardi. Mais un décès survenu le lundi mais dont les autorités ont connaissance le mercredi est absent du bilan.

Un changement brutal de chiffres

Un changement de calcul brutal qui a totalement modifié les bilans quotidiens, comme le rapporte un journaliste, graphique à l’appui. De 283 morts le 26 mai, le bilan a oscillé entre 0 et 4 morts les jours suivants.

Un changement de calcul qui risque de masquer la réalité en raison du temps nécessaire pour enregistrer un décès. Contrairement à la France, les régions espagnoles, qui gèrent leurs propres système de santé, bénéficient de l’autonomie vis-à-vis du gouvernement, ce qui allonge le temps d’enregistrement des décès au niveau national. De nombreux décès ne sont ainsi pas pris en compte dans les bilans quotidiens.

La crainte d’un “faux sentiment de sécurité”

Pour prendre en compte ce décalage, les autorités annoncent mettre à jour une fois par semaine les chiffres des morts qui n’ont pas été pris en compte dans les bilans quotidiens. Au-delà de la comparaison rendue impossible avec les autres pays, ce changement de calcul inquiète.

Interrogé par le Financial Times, Jeffrey Lazarus, chef du groupe de recherche sur les systèmes de santé à l'Institut de Barcelone pour la santé mondiale, craint que le nombre zéro ne “crée un faux sentiment de sécurité au sein de la population”, au moment où le pays entame progressivement son déconfinement. Inquiétude partagée par l’ancien ministre de la santé du gouvernement basque, en poste à l’OMS : “sortir et dire qu'il n'y a aucun décès peut créer beaucoup de malentendus, redoute Rafael Bengoa.

Pour justifier ce changement de calcul, le gouvernement espagnol affirme préférer se concentrer sur la détection des cas positifs que sur le nombre de décès chaque jour. Pedro Sanchez a salué la “transparence absolue” du pays sur les chiffres du Covid-19. L’Espagne a prolongé l’état d’urgence jusqu’au 21 juin, et annoncé la réouverture de ses frontières avec la France et le Portugal plus tôt que prévu, dès le 22 juin.