Coronavirus : le chiffre des patients en réanimation pourrait être trompeur, selon certains médecins

Une chambre de réanimation, à l'hôpital des Abymes.

Pour Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé, l'évolution des admissions en réanimation “reflète la cinétique de l'épidémie et son impact le plus préoccupant”. Mais des médecins appellent à la vigilance.

Chaque soir, lors du point presse du directeur général de la Santé, l’accent est mis sur l’évolution du nombre de patients en réanimation. Une balance entre entrées et sorties qui “reflète la cinétique de l'épidémie et son impact le plus préoccupant”, expliquait Jérôme Salomon le 29 mars, pour pouvoir juger de l’efficacité du confinement.

La France enregistrait, mardi 14 avril son sixième jour de recul du nombre de patients en réanimations à l’hôpital, avec 418 patients de moins en réanimation entre le 9 et le 14 avril, avec 6 730 patients selon les chiffres officiels du 14 avril.

“Un indicateur artificiel”

Mais cet indicateur seul ne suffit pas, voire peut être trompeur, mettent en garde plusieurs professionnels de santé. “C’est un indicateur artificiel de tension de l’hôpital, car il est facile de le tronquer en durcissant les critères d’admissions, par exemple en n’admettant pas en réanimation les plus de 75 ans”, explique Gérald Kierzek, médecin-urgentiste.

Des situations de sélection de patients qui se confirment dans les hôpitaux, comme l’a montré l’émission Envoyé spécial, où des soignants de l’hôpital de Colmar décident de ne pas admettre en réanimation certains patients âgés.

“Beaucoup des sorties de réanimation sont des décès”

Un constat que partage le docteur Jérôme Marty, médecin généraliste et président de l’union Française des médecins libres (UFML). “On nous dit que depuis quelques jours le solde des réanimations est négatif, que la situation s’améliore. Sauf qu’on ne précise pas que beaucoup des sorties de réanimation sont des décès. Qu’on arrête de dire que ça s’améliore en montrant la baisse des réanimations, alors que le nombre de morts augmente en parallèle”.

Un constat partagé par d’autres médecins, sur Twitter.

“Ces choix en réanimation entrainent des drames : dans les Ehpad, où des résidents auraient besoin d’aller à l’hôpital, pour le Covid ou pour une autre maladie, et n’y sont pas envoyés. Idem pour des services de l’hôpital qui proposent moins de patients en réanimation pour ne pas encombrer le service, alors qu’il y a des besoins. Il y a une forme d’auto-censure, qui entrainent parfois une issue fatale”, détaille le docteur Kierzek.

La majorité des décès hors réanimation

Un indicateur d’autant plus trompeur que la majorité des décès n’a pas lieu en réanimation. “Le taux de mortalité en réanimation a baissé depuis le début de l’épidémie, en raison de l’arrivée de plus jeunes patients. Quand on voit le nombre de décès ces derniers jours, comparé au taux de mortalité en réanimation, on constate que la majorité des décès n’ont pas lieu en réa. Il faut absolument avoir d’autres critères pour suivre la maladie”, plaide Jérôme Marty.

Dont le nombre de morts, qui augmente de nouveau (10129 décès à l’hôpital, + 541), et le nombre de patients hospitalisés, toujours en hausse ( 32292 hospitalisations, +179). Les autres décès peuvent survenir à l’hôpital, si le patient n’est pas placé en réanimation, mais aussi en Ehpad ou à domicile.

Une crainte pour les malades à domicile

La crainte du docteur Marty, c’est que de nombreux décès ne soient pas comptabilisés et que l’ampleur de l’épidémie soit plus importante. “L’état d’une personne âgée atteinte du Covid peut vite se détériorer, en quelques heures. Or, ces personnes vivent plus souvent seules, sont plus souvent isolées, ce qui peut se traduire par des décès à domicile, qu’on ne comptabilisera que dans plusieurs semaines”, s’inquiète-t-il.

Pour le président de l’union Française des médecins libres, le chiffre mis en avant par les autorités devrait prendre en compte la situation hors des hôpitaux. “Nous médecins généralistes, infirmiers à domiciles, pharmaciens... On voit 95% des patients atteints ou suspectés du Covid-19. Cela permettrait d’avoir une vision bien plus complète du nombre de malades et peut être permettre de savoir quelle part de la population est touchée. Surtout si on recense leurs pratiques : travaillent-ils ? prennent-ils les transports en commun ? Sont-ils en relation avec des personnes âgées ? Vont-ils faire du jogging ? Cela permettrait de comprendre la chaine de contamination”.

“Ne pas croire que l’hôpital a tenu”

Autre crainte autour de la communication sur le chiffre des réanimations, à plus long terme, pour le docteur Kierzek : ne voir la tension à l’hôpital qu’à travers le prime des services de réanimation. Pour lui “il ne faut pas croire, au moment du déconfinement le 11 mai, que l’hôpital a tenu, si les réanimations ont fortement baissé. Ce serait une erreur. Il n’a pas tenu et ne tiendra pas si on ne dope pas les capacités hospitalières. Il va y avoir un afflux de patients pour d’autres maladies que le Covid-19 qui vont arriver, qui avaient peur de consulter, car on a focalisé l’hôpital sur le coronavirus, et cela n’est plus possible. Il faut absolument mettre en place des hôpitaux dédiés à 100% au Covid afin d’isoler les malades qui ne sont pas infectés”, plaide l’urgentiste.

Emmanuel Macron a annoncé le 25 mars qu’“à l’issue de cette crise, un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières sera construit pour notre hôpital”.