Dons de congés payés : entre salariés solidaires et soignants en colère, l'insoluble équation

Si de nombreux salariés français souhaitent faire don de leurs congés payés, les soignants refusent la charité.

Depuis la crise du Covid-19, de nombreux Français ont pris conscience de l'importance du travail des soignants. Pas étonnant qu'aujourd'hui certains salariés adhèrent donc à la proposition des députés LREM de faire don de leurs congés payés au personnel hospitalier. Toutefois, l'initiative se heurte à de nombreux obstacles qui la rendent probablement inefficace.

Le confinement est terminé, et sans surprise, après 55 jours de ferveur, les applaudissements et les bruits de casseroles se sont lentement et inexorablement estompés, à mesure que la vie d'avant a repris ses droits. Pourtant, de nombreux Français ne veulent pas en rester là. Pour aller plus loin dans le soutien aux soignants du pays, certains salariés ont notamment été sensibles à la proposition des députés LREM de faire don d’une partie de leurs congés payés.

”Un ou deux jours de congés, c'est quoi dans une vie ?”

C'est le cas de Guillaume, 28 ans, responsable RH dans la grande distribution, en région parisienne. Il a longuement débattu du sujet avec sa petite amie, salariée dans la même entreprise, et ils sont aujourd'hui prêts à offrir chacun un ou deux jours de congés payés aux soignants. "Pendant cette période difficile, ils ont été en première ligne donc il faut les aider, confie-t-il. Un ou deux jours de congés, c'est quoi dans une vie ?".

Même son de cloche du côté de Léa, 42 ans, juriste pour une chaîne de télévision. "Je veux être solidaire avec les soignants et avec tous ceux qui ont travaillé dur, en étant au front pour le bien commun, pendant que j'étais tranquillement chez moi à faire du télétravail, assure-t-elle. Une fois que la crise sera terminée, ils auront forcément besoin de souffler, et j'aurais adoré leur offrir une semaine de congé. Mais c'est malheureusement infaisable".

Dans certaines entreprises, les salariés ont déjà dû poser leurs congés à cause de la crise

Dans les faits, la mesure semble en réalité assez compliquée à mettre en place, notamment en raison du...Covid-19. Dès le début de la crise sanitaire et du confinement, la société qui embauche Léa a e effet demandé à tous ses salariés de poser leurs congés afin de pouvoir intégrer ensuite au planning des jours de chômage partiel. Résultat : la plupart des salariés ont déjà passé leurs "vacances" confinés chez eux. "D'habitude, on a jusqu'au 31 mai pour poser nos congés, mais on a dû exceptionnellement le faire en mars, sinon ces congés étaient perdus, donc c'est trop tard", regrette Léa, frustrée.

De frustration, il en est également question chez certains... retraités, qui n'ont pas de congé à donner mais qui aimeraient quand même être inclus dans l'élan de solidarité, la crise ayant touché principalement cette catégorie d'âge. Jean-Marie, ancien cadre de 75 ans, a ainsi envoyé un courrier au Ministère de la Santé pour l'inviter à réfléchir sur la manière de faire "participer à cet effort" les retraités, population la moins pauvre de France, sur la base du volontariat. "La question c'est comment traduire ce jour de congés payés en équivalent de jour de retraite, explique le septuagénaire. Il y a une idée à creuser avec les différentes caisses de retraite".

Pour les soignants, ”cette initiative n’a aucun sens”

Avec ou sans les 14 millions de retraités français, cette proposition devrait être discutée dans les prochaines semaines à l'Assemblée avant d'être éventuellement soumise au vote. En attendant, qu'en pensent les principaux concernés ? "On ne peut pas condamner le fait que les gens veulent faire des dons, c'est une preuve de solidarité et c'est une bonne chose, estime Orianne Plumet, vice-présidente du collectif Inter-Urgences et infirmière de nuit à la Pitié-Salpêtrière à Paris. Toutefois, cette initiative n'a aucun sens. On ne veut pas que la population se saigne pour nous. On veut que l'Etat améliore nos conditions de travail de façon pérenne et augmente nos salaires de 300 euros par mois, de façon à rattraper la moyenne des pays de l'OCDE".

”La problématique à l'hôpital ce n'est pas d'avoir des congés mais de pouvoir les prendre”

"Sur la forme, le don de congés est une aberration, déplore de son côté Hugo Huon, le président du collectif, actuellement infirmier à Saint-Malo. Les soignants ont déjà un million de jour de repos en cumulatif. La problématique à l'hôpital ce n'est donc pas d'avoir des congés mais de pouvoir les prendre. Comme on est à flux tendu tout le temps et qu'on a un problème d'effectifs, c'est très compliqué. Parfois, les soignants partent à la retraite avec un an d'avance, du fait des centaines de jours de congé cumulés qu'ils n'ont pas pu poser".

"Sur le fond, cette mesure est délirante, ajoute Hugo. L'État se désengage depuis trois décennies, et au moment où ça vacille, il encourage les particuliers à être solidaires pour compenser. Tout est absurde, comme le fait d'héroïser les soignants pour éviter de parler de nos véritables conditions de travail. Pendant la crise, on a eu la sensation d'avoir été payé à coups d'applaudissements pour travailler déguisés en sacs poubelles".

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