La Corée du Nord lance un satellite espion mystérieux, ce que l’on sait de la manœuvre

La télé sud-coréenne diffuse des images du lancement de la fusée nord-coréenne le 22 novembre 2023.
SOPA Images / SOPA Images/LightRocket via Gett La télé sud-coréenne diffuse des images du lancement de la fusée nord-coréenne le 22 novembre 2023.

INTERNATIONAL - Nouveau coup de chaud sur les relations entre la Corée du Nord et son voisin du Sud. Pyongyang a annoncé ce mercredi 22 novembre avoir mis en orbite un satellite de surveillance dans le but de « renforcer ses capacités d’autodéfense ». Une manœuvre qui a suscité la colère de Séoul et de ses alliés japonais et américains. Le HuffPost fait le point sur ce que l’on sait.

• De quoi parle-t-on ?

L’agence d’État nord-coréenne KCNA a annoncé ce mercredi avoir fait décoller une fusée la veille au soir. Celle-ci a suivi la trajectoire prévue « et est parvenue à mettre le satellite Malligyong-1 sur son orbite », a assuré l’agence. La Corée du Nord avait déjà mené en mai et août derniers des opérations similaires, sans succès.

Le satellite lancé mardi serait parti vers le sud, aurait survolé la mer de Chine puis la province japonaise d’Okinawa.

La Chine, la pénincule coréenne et le Japon. Le point rouge représente Okinawa.
GoogleMaps La Chine, la pénincule coréenne et le Japon. Le point rouge représente Okinawa.

Si la Corée du Sud a estimé que le satellite était bien entré en orbite, l’état-major interarmées estime qu’il « faudra du temps pour déterminer si le satellite fonctionne réellement ». Les États-Unis et le Japon n’ont de leur côté pas encore confirmé si l’opération avait été un succès ou non. Les trois alliés craignent néanmoins que des débris de la fusée retombent sur leur territoire et ont placé leur armée en état d’alerte, ajoute le New York Times.

Pyongyang ne compte en tout cas pas s’arrêter là, et prévoit de lancer d’autres satellites « dans un court laps de temps » pour « renforcer ses capacités d’autodéfense », a souligné KCNA alors que le pays s’estime menacé par Séoul et Washington.

• Déjà des photos de l’île de Guam

Selon les experts, cette mise en orbite réussie améliorerait les capacités de collecte de renseignements sur le voisin du Sud, et fournirait des données cruciales en cas de conflit militaire. Le régime de Kim Jong-un cherche aussi surveiller des zones stratégiques comme l’île de Guam, dans le Pacifique, qui abrite des bases militaires américaines, selon des experts.

Avoir un œil en temps réel ces zones permettrait à Pyongyang d’améliorer ses « capacités de frappe préventive », souligne Lim Eul-chul, professeur de l’université Kyungnam. Washington et Séoul soupçonnent en outre Pyongyang de développer un nouveau missile balistique intercontinental, qui comporte des technologies similaires à celle d’un lanceur de satellites.

Peu après le lancement du satellite, la Corée du Nord affirmait déjà avoir pris des photographies des principales bases militaires américaines à Guam. Le dirigeant Kim Jong-un « a regardé les photos aérospatiales de la base aérienne d’Anderson, d’Apra Harbour et d’autres bases militaires majeures des forces américaines, prises du ciel au-dessus de Guam dans le Pacifique », assure ainsi l’agence d’État.

• La question de la Russie

La réussite de mardi aurait été possible grâce à la Russie, selon les informations de l’armée de la Corée du Sud. Séoul avait récemment prévenu que Pyongyang fournissait des armes à Moscou en échange de technologies spatiales russes, dans le but de mettre en orbite un satellite d’espionnage militaire.

Toutefois, étant donné le peu temps écoulé entre la rencontre entre Kim Jong-un et Vladimir Poutine en septembre et le lancement, les analystes estiment que Moscou n’a pu aider Pyongyang qu’au niveau du « logiciel ». « S’il y avait eu une erreur grave à corriger, comme un changement de matériel ou de conception, un lancement au mois de novembre aurait été physiquement impossible », juge Chang Young-keun, professeur à l’université aérospatiale de Corée.

• Des condamnations de toutes parts

En réaction à ce lancement, qui viole les résolutions de l’ONU, la Corée du Sud a partiellement suspendu un accord militaire avec sa voisine du Nord. Signé en 2018, il avait pour but de réduire les tensions le long de la frontière intercoréenne hautement sécurisée, en créant notamment des « zones tampon » maritimes.

Cette suspension n’a pas pu être notifiée directement à Pyongyang car « les lignes de communication avec la Corée du Nord sont coupées », a indiqué à l’AFP un porte-parole du gouvernement sud-coréen. La France a indiqué dans un communiqué qu’elle « condamn(ait) avec une extrême fermeté le tir » de Pyongyang qui « constitue une violation claire et flagrante des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations unies ».

Le lancement du satellite a également été condamné par les États-Unis et le Japon, qui en ont profité pour nuancer la réussite vantée par la Corée du Nord. « Même s’ils appellent cela un satellite, le lancement d’un objet qui utilise la technologie des missiles balistiques est clairement une violation des résolutions des Nations unies », a mis en avant le Premier ministre japonais, Fumio Kishida.

Ce tir est « une violation flagrante de multiples résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, augmente les tensions et risque de déstabiliser la région et au-delà », a réagi la porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche. Sans condamner le lancement, la Chine, vieille alliée de Pyongyang, a jugé la situation « complexe et sensible » et appelé au « calme » et à la « retenue ».

• La course à l’espace entre les deux Corées

Le lancement du satellite espion intervient dans un contexte de course à l’espace entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Cette dernière a récemment dévoilé son projet de mettre également en orbite son propre satellite espion, dont le lancement est prévu le 30 novembre, au moyen d’une fusée Falcon 9 de SpaceX.

Le lancement de ce premier satellite militaire fait partie de l’ambitieux « Projet 425 » de Séoul, doté d’un budget d’un milliard de dollars, qui vise à déployer en orbite cinq satellites militaires à haute résolution d’ici à 2025.

Si le satellite est placé en orbite, « Séoul sera en mesure d’obtenir de manière indépendante des renseignements militaires sur la Corée du Nord, obtenus auparavant des États-Unis et du Japon », explique à l’AFP Ahn Chan-il, un transfuge devenu chercheur, qui dirige désormais l’Institut mondial d’études sur la Corée du Nord.

En 2022, la Corée du Sud a lancé sa première sonde lunaire, Danuri, déjà à bord d’une fusée Falcon 9 de SpaceX. La même année, elle est également devenue le septième pays du monde à avoir lancé avec succès une charge utile d’une tonne sur ses propres fusées. De quoi donner des idées à son voisin et adversaire.

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