Contraception, mariage gay... Après l'IVG, ces autres droits qui pourraient être menacés aux Etats-Unis

Le mariage gay, la contraception ou même les relations sexuelles entre personnes du même sexe pourraient être en danger aux États-Unis, après la suppression de la jurisprudence permettant l'accès à l'avortement.

L'annulation de l'arrêt Roe V. Wade, qui n'empêche plus d'interdire l'avortement dans les États américains, pourrait avoir des conséquences multiples sur la société, au-delà de l'avortement en lui-même. "Dans de futurs dossiers" concernant, eux aussi, le respect de la vie privée, "nous devrions revoir toutes les jurisprudences", a par exemple écrit le juge de la haute juridiction Clarence Thomas, dans un argumentaire personnel qui accompagne la décision rendue vendredi.

"Cette décision de la Cour Suprême laisse ouvertes d'autres possibilités", explique sur BFMTV Dominique Simonnet, spécialiste des États-Unis, qui parle d'une "offensive d'un courant aux États-Unis qui s'est développé d'une manière extrêmement forte depuis les dernières décennies. Je parle de ce courant conservateur fondamentaliste soutenu beaucoup par des lobbys, des églises, et qui a fait main basse sur le parti républicain et sa frange la plus extrémiste."

• Les droits des homosexuels et la contraception en jeu

"Du côté d'autres droits à la vie privée, il y a trois droits qui sont menacés, c'est notamment l'avis du juge Thomas", explique sur notre antenne le spécialiste des Etats-Unis François Durpaire. Clarence Thomas a en effet clairement cité "Griswold v. Connecticut" de 1965, qui consacre le droit à la contraception, "Lawrence v. Texas" de 2003, qui rend inconstitutionnelles les lois pénalisant les relations sexuelles entre personnes de même sexe. Et, aussi, "Obergefell v. Hodges", l'arrêt de 2015 protégeant le mariage pour tous au niveau des États-Unis, et qui reste une cible prioritaire de la droite religieuse.

Selon le juge Clarence Thomas, ces jurisprudences s'appuyant sur la même disposition de la Constitution que celle, désormais invalidée, qui protégeait le droit à l'avortement, la Cour a "le devoir de 'corriger l'erreur'" qu'elles avaient instaurées.

Le président américain Joe Biden a rappelé qu'il avait "prévenu" des conséquences possibles de cette décision sur d'autres droits "que nous prenons pour acquis", comme l'accès à la contraception ou le droit "d'épouser la personne qu'on aime". "C'est une route extrême et dangereuse sur laquelle la Cour suprême nous a entraîné", a-t-il déclaré.

La décision de vendredi écrit noir sur blanc que "rien dans cet arrêt ne doit être interprété comme remettant en doute des jurisprudences sans lien avec l'avortement". Mais l'inquiétude est là. Au sein même de la Cour Suprême, les trois magistrats progressistes se sont dissociés de la majorité qui, selon eux, "met en danger d'autres droits à la vie privée, comme la contraception et les mariages homosexuels".

Le droit à la vie privée remis en question

Au-delà de la levée pure et simple du droit à l'avortement, la levée de la jurisprudence Roe v. Wade concerne en effet le droit à la vie privée des Américains, car cette décision de 1973 ne dit pas simplement que l'avortement est désormais autorisé aux États-Unis. Il y est expliqué que le droit au respect de la vie privée, garanti par la Constitution américaine, s'applique à l'avortement, et donc qu'il est interdit de l'interdire.

"Le droit au respect de la vie privée, présent dans le 14e amendement de la Constitution (...) est suffisamment vaste pour s'appliquer à la décision d'une femme de mettre fin ou non à sa grossesse", peut-on lire dans le texte finale de Roe v. Wade.

En levant cet arrêt, la Cour Suprême exclut donc l'avortement du droit à la vie privée, et pourrait en ce sens exclure d'autres règles actuelles protégées par ce droit à la vie privée, comme celles évoquées plus haut.

"Nous avons vu au Texas qu'à l'époque, des lois anti-sodomie étaient renversées sur la base du droit à la vie privée établi par Roe", explique dans une intervention la représentante démocrate américaine Alexandria Ocasio-Cortez. "En renversant Roe, nous renversons le droit à la vie privée établit par Roe. Et cela aura des effets d'entrainement pour les gens, sans prendre en compte leurs avis sur l'avortement, ils vont se réveiller avec moins de droits".

• Des conséquences sur l'accès à la pilule abortive

En France, le Haut Conseil à l'Égalité entre les Femmes et les Hommes (HCE) dit de son côté également son inquiétude sur l'accès pour les femmes américaines à la pilule abortive - permettant de contourner l'interdiction de l'avortement dans les États concernés - qui peut être envoyée par courrier.

Le Planning Familial américain estime qu'une pilule abortive peut déjà coûter aujourd'hui jusqu'à 750 dollars, "même si c'est souvent moins". Elles coutent de 40 à 600 dollars", explique de son côté l'association National Women's Health Network. Or toutes les femmes en demande ne peuvent pas toujours payer autant, et le nombre de personnes capables de s'en fournir va diminuer si les prix augmentent.

François Durpaire rappelle de plus qu'aux États-Unis les femmes "les plus défavorisées de la population" sont d'ores et déjà plus à risque dans ce genre de situations: "Les femmes noires, autochtones et hispaniques sont trois fois plus nombreuses à mourir enceinte que les femmes blanches issues de classes sociales plus favorisées".

Des femmes en danger de mort

"Le retrait du droit à l'avortement, des femmes vont en mourir, cela va causer la mort des femmes", rappelle sur BFMTV Floriane Volt, porte-parole de la Fondation des femmes. Elles "ne vont pas arrêter d'avorter, elles vont juste arrêter d'avoir accès à un avortement sécurisé sans risque médical. Elles vont prendre des risques et le planning familial mondial estime que dans la première année de cette décision, la mortalité des femmes liée à l'avortement va augmenter de 20%".

Au-delà des femmes cherchant à pratiquer un avortement pour une grossesse non-désirée, il y a également celles qui doivent arrêter leur grossesse car celle-ci met leur santé en danger, comme les grossesses extra-utérines. Si les dernières interdictions d'avortement font des exceptions pour ces cas médicaux particuliers, des médecins s'inquiètent dans le New York Times de la suite, notamment de la confusion que cela pourrait créer chez certaines femmes, qui ne seront pas certaines d'avoir le droit d'interrompre leur grossesse, malgré le danger qu'elles encourent.

"Nous voyons déjà sur Twitter et ailleurs des médecins qui ont peur de traiter les grossesses extra-utérines", déclare également au journal américain le Dr Aileen Gariepy. "Cette confusion est vraiment effrayante pour beaucoup de gens qui ne savent pas quoi faire, ou s'ils peuvent ou non traiter les grossesses extra-utérines".

Cette décision pourrait aussi influencer l'avenir d'autres femmes dans le monde, comme le rappelle le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes. "Des ONG internationales soutenant le droit à l’avortement et à la contraception dans différents pays du monde alertent sur l’éventualité d’un retrait des financements américains pouvant fragiliser voire mettre un terme à leur action", explique-t-il, ce qui retirerait une aide vitale pour d'autres femmes.

Article original publié sur BFMTV.com

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