Congrès des maires : « Nous sommes les urgentistes de la République », alerte Philippe Rio
POLITIQUE - Alors que s’ouvre ce lundi 20 novembre le Congrès des maires de France à Paris, Philippe Rio nous décrit le vague à l’âme des élus préférés des Français qui sont de plus en plus nombreux à jeter l’éponge.
Le maire communiste de Grigny (Essonne), ville la plus pauvre de France, regrette qu’Emmanuel Macron ne s’appuie pas plus sur eux, lui qui déplore n’avoir jamais reçu un petit mot de la part du président de la République quand il a été désigné premier français « meilleur maire du monde », par la City Mayors Foundation de Londres en 2021.
Le programme du Congrès des maires de France qui s’ouvre ce lundi 20 novembre est intitulé : « Communes de France attaquées, République menacée ». Faites-vous confiance à ces trois journées pour que les choses s’améliorent ?
Je me reconnais pleinement dans ce titre. Je n’attends pas le grand soir de la part du gouvernement et du Président. Pour autant, les maires sont des corps intermédiaires. On a passé un premier quinquennat exécrable dans nos relations avec le Président, et le second s’ouvre de la même manière : dans la défiance. Lorsqu’Emmanuel Macron nous a reçus en juillet après les émeutes, il a fait son mea culpa. Désormais, il faut passer aux actes.
Qu’attendez-vous exactement de la part de l’État ?
Nous n’avons plus de fiscalité, les dotations baissent à vue d’œil et les territoires sont mis en concurrence. Le corps préfectoral a été humilié par le président de la République. Quand on affaiblit l’État dans les territoires, on affaiblit la République.
« On a le sentiment de devenir les sous-traitants de l’Élysée et de Matignon »
En quoi les préfets ont été humiliés ?
Emmanuel Macron s’est attaqué au corps des diplomates et des préfets : il a vidé de sa substance ces corps constitués qui sont pour lui des corps intermédiaires. Ils ont moins de moyens, se sentent déconsidérés et reçoivent des injonctions contradictoires.
Pendant le Covid, ils apprenaient les mesures gouvernementales par BFMTV ! Une république ne peut pas bien fonctionner avec un maire et un préfet affaiblis. On a le sentiment de devenir les sous-traitants de l’Élysée et de Matignon. En revanche, quand il y a des crises (inflation, Covid, émeutes…) ou le terrorisme, là on sait où nous trouver, car localement on fait en sorte que la concorde nationale puisse se maintenir.
La réponse du gouvernement après les émeutes vous semble-t-elle à la hauteur ?
Il faut surtout que les choix du gouvernement se mettent en œuvre. Je n’ai pas envie de tirer sur l’ambulance. On ne fait pas assez de prévention dans la chaîne de la sécurité et de la cohésion sociale. La vidéoprotection est utile, mais pas suffisante. Depuis 2005, on n’a jamais autant investi dans la sécurité, mais nous sommes coresponsables de la violence de cette société. Quand le film Orange mécanique était interdit aux moins de 18 ans à sa sortie, aujourd’hui ce serait 10 ans ! Et puis, on a perdu de nombreux éducateurs spécialisés au cours des dernières années. Enfin, rendre l’IGPN indépendante, ça ne coûte pas d’argent…
Le chef de l’État vient de confier une mission à Éric Woerth pour « simplifier le millefeuille territorial ». Cela va-t-il dans le bon sens ?
La mission Woerth est mort-née. Le président avait une bonne intention de remettre la décentralisation au cœur des sujets. Mais quelle confiance peut-on avoir avec quelqu’un qui, ministre du Budget de Nicolas Nicolas Sarkozy, a mis en œuvre la RGPP (réduction du nombre de fonctionnaires, NDLR) et a enlevé 10 milliards d’euros aux collectivités locales ? Il aurait pu prendre quelqu’un de gauche et quelqu’un de droite. On ne pourra pas être dans le compromis. Il faut arrêter avec ces mots « big bang » et « millefeuille » territorial. On veut simplifier et on agrandit les régions ? On veut simplifier et on ajoute l’intercommunalité ? Il faut un temps calme et apaisé pour ouvrir ce véritable chantier.
« Aucun maire ne sort heureux de ses permanences, et ça s’accélère depuis dix ans. Nous n’avons plus de levier. »
Dans un sondage Ifop de novembre 2022, 55 % des maires interrogés comptent ne pas briguer de nouveau mandat en 2026. Comment l’expliquez-vous ?
Il n’y a jamais eu autant de démissions au cours de ce mandat municipal. Quand on est un sous-traitant, on commence à en avoir marre d’être responsable de rien et coupable de tout. Aux demandes de logements, on passe notre temps à dire « non ». Aucun maire ne sort heureux de ses permanences, et ça s’accélère depuis dix ans. Nous n’avons plus de levier. De même sur l’emploi, c’est l’agglomération qui a la compétence, nous n’avons plus la taxe professionnelle, il nous reste la cantine. Et encore, avec l’inflation, on a arrêté le bio pour préférer chauffer ! Si c’est pour se faire insulter ou voir sa famille menacée, je comprends qu’on pense à soi et qu’on arrête. Et pour ceux qui restent, on agit quand même.
Votre discours rappelle celui des soignants en 2019, en grève, que personne n’écoutait et qui continuaient à faire fonctionner les hôpitaux, par devoir…
Nous sommes les urgentistes de la République. On est dans le même état que les hôpitaux. Mais nous n’avons plus les moyens d’agir. On est les champions du système D. Les maires de banlieue et ceux de la ruralité sont les mêmes : sincères dans l’engagement, proches des gens et face à d’immenses difficultés.
Vous êtes maire de Grigny depuis onze ans, souvent présentée comme la ville la plus pauvre de France. Au-delà des difficultés, avez-vous vu des évolutions positives pendant votre mandat ?
On s’accroche à nos petites réussites. Depuis 2016, il n’y a plus de surface alimentaire à Grigny, pour 30 000 habitants. À chaque décision, le Leclerc de la ville d’à côté (Viry-Châtillon, NDLR) faisait des recours. Le Conseil d’État vient de nous accorder un « oui » final. On pourra ouvrir en 2026. Dix ans pour une surface alimentaire ? Pour nous, c’était comme la victoire à la Coupe du monde.
À voir également sur Le HuffPost :
Le glyphosate réautorisé par la Commission européenne : la gauche dénonce la position de la France
À Évry, le cadeau éloquent du maire de Grigny à Macron lors du grand débat