Conflit Israël - Palestine : en France, le piège de la plaie mémorielle
INTERNATIONAL - La société française plongera-t-elle, elle aussi, dans le conflit ? Depuis que le Hamas a commis l’abject attentat terroriste du 7 octobre dernier, alors que la réponse de l’État d’Israël ne s’est pas fait attendre et produit, tous les jours, des morts civils en quantité, l’opinion publique française est traversée d’un débat dur, parfois dogmatique et donc violent, sur la question israélo-palestinienne.
Comme tous les pays de la planète ? Pas tout à fait, car nous avons nos propres turpitudes, celles-là mêmes qui font de notre pays un terreau propice à la conflictualité sur ce sujet. Au premier rang d’entre elles, la brèche mémorielle non cicatrisée.
Depuis soixante-dix ans que dure le conflit israélo-arabe, la résonance de ce dernier dans la société française, et notamment auprès de certains de nos concitoyens, s’explique essentiellement par le parallélisme, bien qu’inapproprié dans les faits, avec la colonisation française d’antan. Si des jeunes, souvent binationaux ou d’origine et de culture étrangères, s’identifient autant au droit des Palestiniens à disposer d’un État, c’est bien parce que la colonisation qu’ont vécue leurs parents, leurs grands-parents, ou des membres de leur entourage est encore présente dans les récits familiaux qui leur ont été transmis. Cette dernière est parfois encore vécue comme une réalité, dans leurs esprits tout du moins. Précisément, ceux « colonisés hier » ressentent une sympathie naturelle, relevant presque du réflexe, pour ceux « colonisés aujourd’hui ».
La résonance de ce conflit dans notre société s’explique par le parallélisme, bien qu’inapproprié dans les faits, avec la colonisation française d’antan.
Tout le paradoxe de la résonance de ce discours dans la société française de 2023 vient du fait - mise de côté l’instrumentalisation politicienne qui en est faite par certains partis de gauche - que ces jeunes générations de Français n’ont pas connu la colonisation, mais seulement le récit qui leur en a été fait. Ainsi que l’historien Benjamin Stora l’a entrepris dans un rapport sur la question algérienne, si nous voulons cautériser la plaie coloniale, il nous faut l’affronter : non pour réécrire l’Histoire ou pour la juger, ni même pour harmoniser les mémoires, mais au moins, pour les faire cohabiter. Nous ne transformerons pas les récits familiaux, les colères, les peurs, les angoisses, les traumatismes, qui souvent diffèrent des lignes de nos livres d’Histoire. Mais nous pouvons, nous devons avoir le courage de les évoquer, pour les faire converger.
Ne nous y trompons pas : la plaie mémorielle béante dans la société française d’aujourd’hui est une arme qu’utilisent contre nous les islamistes. En instrumentalisant le ressentiment parfois transmis de génération en génération, en capitalisant sur la frustration et la désinformation, en s’appuyant sur le discours excluant de l’extrême droite identitaire qu’ils généralisent au pays tout entier et en rappelant que la France elle-même a colonisé hier, ils transforment la noble et juste défense du droit des Palestiniens à leur État, en une haine d’Israël et des juifs. En jouant sur la « concurrence mémorielle » entre la Shoah et les drames que le monde connaît et a connu depuis, ils flirtent avec un négationnisme dont le pestilentiel antisémitisme qui se montre à nouveau aujourd’hui est l’émanation, et que rien, sous aucun prétexte, jamais, ne saurait justifier. Même, ils font le pari que le poison de la division fissurera durablement la société française et nous emmènera, entre nous et à l’échelle de la planète, tout droit vers une guerre de civilisation ou de religion – qui n’est en rien ce que nous vivons aujourd’hui – qu’ils souhaitent ardemment.
La plaie mémorielle béante dans la société française d’aujourd’hui est une arme qu’utilisent contre nous les islamistes.
Face à ces périls tout aussi exogènes qu’endogènes, la position traditionnelle de la France sur le conflit israélo-palestinien est une partie de la solution : affirmer sans conditions, le droit d’Israël à exister et à se défendre, condamner la politique de colonisation à laquelle elle se livre depuis plusieurs années et affirmer au moins aussi fort le droit des Palestiniens à disposer de leur propre État. Nous ne saurions, plus longtemps, être dupes du piège que le Hamas nous tend, à nous, mais aussi et surtout, aux Palestiniens qu’il emprisonne.
Le reste de la solution vient de nos propres difficultés, la première d’entre elles à affronter, en tant que Nation moderne, notre passé colonial. Panser les plaies n’est pas nous repentir, ce n’est pas non plus amoindrir la réalité de ce que d’autres ont fait, c’est, simplement, accepter d’en parler pour en réconcilier les mémoires. À cette unique condition réussirons-nous à nous prémunir durablement des incursions et des déstabilisations domestiques impliquées par le conflit actuel au Moyen-Orient. Par la même occasion, nous couperons l’herbe sous le pied de ceux qui ne font qu’un pari, continuellement renouvelé : celui de l’éclatement définitif de la société française.
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