Conflit Israël-Hamas, alertes à la bombe… L’actualité s’invite aussi dans les cabinets des psys

Trois psys racontent comment le conflit entre Israël et le Hamas affecte la santé mentale de certains patients.
RealPeopleGroup / Getty Images Trois psys racontent comment le conflit entre Israël et le Hamas affecte la santé mentale de certains patients.

PSYCHOLOGIE - Depuis plusieurs semaines, il suffit d’ouvrir son portable, d’allumer la télé ou la radio pour se sentir assailli par les mauvaises nouvelles. Entre le conflit entre Israël et le Hamas, l’attaque à Arras et les multiples alertes à la bombe, ce mois d’octobre 2023 a connu plusieurs événements dramatiques, créant un contexte anxiogène qui s’immisce même dans les conversations en famille et entre amis.

Comme souvent lors des périodes où les informations angoissantes font la Une de l’actualité, les psys sont parmi les mieux placés pour saisir l’état psychique de la population. Le HuffPost a interviewé trois d’entre eux et tous le confirment : cette anxiété se ressent bel et bien dans leur cabinet. Et parfois de manière significative.

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« Une jeune fille schizophrène que je suis s’est remise à délirer suite à ces événements », confie Anne-Victoire Rousselet, une psychologue de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris. Ce conflit est une « pièce en plus dans la machine, un autre événement mortifère et déprimant qui s’ajoute au contexte global de sinistrose », explique-t-elle. Un contexte déjà nourri ces dernières années par la pandémie de Covid-19 ou la guerre en Ukraine.

Anxiété et traumatismes

Selon les trois thérapeutes interviewés, leurs patients ressentent de l’angoisse, de la colère et de la tristesse lorsqu’ils abordent l’actualité des dernières semaines. Certains d’entre eux peuvent même connaître des troubles du sommeil, des comportements de vérification, voire des épisodes dépressifs, ajoute Anne-Victoire Rousselet, qui certifie : « Des événements dramatiques et violents peuvent faire basculer un patient vers un trouble psychiatrique. »

Autre impact de l’actualité du mois d’octobre : le ravivement de certains traumatismes, comme ceux causés par les attentats de 2015, selon le psychiatre Nicolas Neveux, auteur de Pratiquer la Thérapie Interpersonnelle (TIP) (éd. Dunod). Ses patients lui font part d’inquiétudes liées aux conséquences de la guerre au Moyen-Orient. La peur des attentats est par ailleurs réelle et le sentiment d’insécurité très prégnant chez certains.

Mais « le fait que les gens s’en inquiètent signifie qu’ils ont conscience que ce genre d’événements nous concernent tous et nous bousculent », selon le psychiatre. « C’est plutôt rassurant qu’ils aient cette lucidité. Ça m’aurait même inquiété qu’on ne me parle pas du sujet. »

Selon le psychiatre, le mal-être de certains patients se traduit parfois par un discours hostile, voire choquant, et un « résonnement uniquement sécuritaire ». Ce qui n’est que « l’expression de leur émotion immédiate », assure-t-il néanmoins. « Une fois l’émotion passée, la plupart adoptent un discours plus nuancé. »

« Peur d’être à nouveau stigmatisé »

L’impact de l’actualité récente peut être d’autant complexe pour les patients de confession juive ou musulmane, selon les thérapeutes. Il est décuplé lorsque ces derniers ont des proches vivant non loin des zones de conflit, assure Anne-Victoire Rousselet.

Lors de ses consultations, Nicolas Neveux a remarqué que « beaucoup s’inquiètent d’un embrasement de la région et de l’entrée en guerre des pays arabes ». Mais ses patients sont aussi préoccupés par les possibles conséquences du conflit sur leur vie en France.

« Il y a une espèce de peur d’être à nouveau stigmatisé », révèle Christine Barois, psychiatre que nous avons contactée. « Une patiente juive m’a confié qu’elle était devenue une curiosité au travail. Elle a deux enfants qui vivent en Israël, alors on l’interroge sur ce qu’il s’y passe, ce qui rajoute un inconfort » à la peur qu’elle peut ressentir, raconte la psychiatre.

Les thérapeutes interrogés parlent aussi du sentiment d’insécurité ressenti par certains patients, qui ont peur d’une résurgence des actes racistes ou antisémites. L’actualité « réactive un sentiment d’appartenance à une minorité qui est malmenée, avec le sentiment qu’on n’est pas compris, pas nombreux et qu’on est menacés, d’un côté comme de l’autre », constate Anne-Victoire Rousselet.

Le sujet d’Israël et de la Palestine peut aussi être source de tensions au sein de groupes sociaux, comme dans les familles, avec des amis ou des collègues. Nicolas Neveux constate que « beaucoup de personnes se sentent obligées de se censurer » lorsqu’elles souhaitent en parler. Certaines « vont sentir que leur opinion ne sera pas acceptée » par leur interlocuteur.

Se protéger face à l’actualité

Mais pourquoi l’actualité influe-t-elle tant sur notre santé mentale ? D’une part, à cause de l’empathie dont est capable l’être humain, selon Nicolas Neveux : « On n’a pas besoin d’être enseignant pour se dire que ce n’est pas normal qu’un professeur soit tué. On est aussi capable d’avoir des principes, et d’être choqué par certaines choses. »

D’autre part, « on est programmé de façon instinctive pour repérer ce qui est dangereux », selon le psychiatre, qui explique : « Dès l’instant qu’il y a un stimulus - comme des images, cela concourt à modifier nos représentations de la réalité et notre état psychique. »

Selon Anne-Victoire Rousselet, ces actualités rendent la mort accessible à tous : « C’est une irruption de la mort dans la vie à un moment ou vous ne vous y attendez pas. Dans une école, une rave party… Vous vous rendez compte que votre ami prof peut mourir. »

Si vous êtes sensible à ces événements, les trois thérapeutes conseillent de limiter votre consommation d’actualité. « S’abreuver d’informations angoissantes ne permet pas de diminuer l’angoisse ni d’aider les gens concernés », assure-t-elle avant de recommander de « maintenir son énergie sur les choses qui nous font du bien ».

Quant à nos émotions, Nicolas Neveux considère qu’elles doivent servir de signal d’alarme, afin de nous interroger sur nos besoins et nos valeurs qui ont été touchées. Et ainsi réagir en conséquence. « La meilleure réponse aux émotions est la rationalité », estime-t-il avant de rappeler : « Il faut aussi s’entourer de personnes avec qui on peut discuter sans s’écharper. »

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