Conférence sur la Syrie mouvementée à Sotchi, l'opposition ignorée

par Kinda Makieh et Maria Tsvetkova

SOTCHI, Russie (Reuters) - La conférence de paix sur la Syrie organisée par la Russie mardi à Sotchi s'est achevée sur un appel à l'organisation d'élections démocratiques mais sans tenir compte d'aucune des demandes de l'opposition, au terme d'une journée marquée par la discorde et la confusion pendant laquelle le chef de la diplomatie russe s'est fait bruyamment chahuter.

Seule annonce concrète, la mise en place d'un comité qui se penchera sur l'élaboration d'une nouvelle Constitution syrienne, dont l'opposition a déjà estimé qu'elle ne servirait que les intérêts du président Bachar al Assad.

Dans leur communiqué final, les participants ont insisté sur le respect de la souveraineté et de l'unité territoriale de la Syrie après quasiment sept ans de guerre civile.

Ils ont aussi souligné que le peuple syrien devrait décider de son avenir par des élections "démocratiques" et être habilité à choisir son propre système politique.

Le texte appelle enfin à la préservation de l'armée syrienne et de son rôle de "protection des frontières de la Syrie face à des menaces étrangères et de lutte contre le terrorisme", sans évoquer à aucun moment la réforme des forces de sécurité réclamée par l'opposition, qui avait très largement boycotté la conférence.

"Cette conférence était taillée sur mesure pour Assad et son régime terroriste", a commenté Moustafa Sedjari, un responsable de l'Armée syrienne libre (ASL) soutenue par la Turquie, active dans le nord de la Syrie. "La déclaration de Sotchi ne nous concerne pas et n'est même pas un sujet de discussion."

Après avoir apporté un soutien militaire décisif au forces de Bachar al Assad, la Russie tente de récolter les dividendes politiques du conflit en se posant en médiatrice d'une solution politique, sans grand succès jusqu'à présent.

La conférence de Sotchi a ainsi été boycottée par le Comité des négociations de l'opposition syrienne et par les Kurdes de Syrie. Quant aux opposants basés en Turquie qui avaient fait le déplacement, ils n'ont pas été plus loin que l'aéroport après avoir demandé en vain que les emblèmes du gouvernement de Damas soient retirés.

"PAS BESOIN D'UN PROCESSUS CONCURRENT", DIT MISTURA

La plupart des délégués avec lesquels Reuters a pu s'entretenir venaient donc de Damas et ne s'opposaient pas au président Assad.

Malgré cela, lors de sa lecture d'un message du président Vladimir Poutine à l'ouverture de l'évènement, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a été interrompu par les cris hostiles de certains délégués reprochant à la Russie de "tuer des civils" en Syrie. La scène a été diffusée en direct à la télévision russe.

Au terme de la conférence, le chef de la diplomatie russe a néanmoins assuré que le "comité constitutionnel" comprendrait des délégués de toutes les mouvances syriennes, y compris celles qui n'étaient pas représentées à Sotchi.

Sergueï Lavrov a également affirmé que le travail du comité s'effectuerait dans le cadre des négociations de paix de Genève, répondant indirectement aux critiques des pays occidentaux qui accusent le gouvernement de Bachar al Assad de refuser de s'engager sincèrement dans des négociations sous l'égide des Nations unies, dont la dernière session en date s'est tenue la semaine dernière à Vienne.

"Nous n'avons pas besoin d'un nouveau processus, nous n'avons pas besoin d'un processus concurrent", a confirmé l'émissaire de l'Onu pour la Syrie, Staffan de Mistura, qui avait fait le déplacement sur les bords de la mer Noire.

Le diplomate a précisé qu'il fixerait lui-même les critères de participation au "comité constitutionnel" et sélectionnerait une cinquantaine de membres issus du gouvernement, de l'opposition et de la société civile.

Les pays occidentaux, qui soutiennent les efforts de Staffan de Mistura, n'ont pas caché leur hostilité face aux initiatives menées parallèlement par la Russie, l'Iran et la Turquie.

"La résolution de cette crise passera par l'urgence d'une solution sous l'égide des Nations unies qui doit se passer à Genève, et la France a cela pour objectif immédiat. Ça ne se passe pas à Sotchi, ça doit se passer à Genève", a lancé mardi le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, à l'Assemblée nationale.

(Avec Dahlia Nehme à Beyrouth et Tulay Karadeniz à Ankara; Jean-Stéphane Brosse, Guy Kerivel, Sophie Louet, Henri-Pierre André et Tangi Salaün pour le service français)