TOUT COMPRENDRE - Qu'est-ce que la "loi sur la sécurité" imposée à Hong Kong par Pékin?

Un manifestant arrêté à Hong Kong, le 1er juillet 2020. - Dale de la Rey - AFP
Un manifestant arrêté à Hong Kong, le 1er juillet 2020. - Dale de la Rey - AFP

Mardi, l'Assemblée nationale populaire de Pékin a adopté à l'unanimité une loi de sécurité s'imposant à Hong Kong. Celle-ci menace les libertés politiques dont jouissent les Hongkongais, pourtant placés nominalement sous le contrôle d'un Etat autocratique. Et mercredi, moins de 24 heures après l'entrée en vigueur de la loi, la police a procédé aux premières arrestations en vertu de ce texte qui rend la justice chinoise compétente pour les infractions, jugées les plus graves, à cette disposition.

Pendant longtemps, tout a opposé les histoires parallèles de Hong Kong et de la Chine. Tandis que Sun Yat-sen renversait le dernier empereur et prenait la tête de la première république chinoise, Hong Kong était sous le giron britannique, arborant l'Union Jack depuis le traité de Nankin et la fin de la guerre de l'opium en 1842. Quand les nationalistes de Tchang Kaï-chek régnaient sur l'intérieur du pays, Hong Kong continuait à vivre à part. Au moment où Mao Tsé-toung transformait la Chine en République populaire d'obédience communiste, Hong Kong faisait toujours régime à part.

• Quelle est la particularité de Hong Kong et sa région?

Cette histoire dissymétrique a de fait ménagé un statut spécifique, façonné un visage propre à cette petite ville de pêcheurs située sur les bords de la Mer de Chine, devenue avec le temps une mégapole et une place financière de premier plan. Un particularisme que Hong Kong a su sauvegarder au moment d'être rétrocédé, le 1er juillet 1997, à la Chine, décrochant le titre de "région administrative spéciale", pourvue d'un système politique autonome et d'un appareil judiciaire souverain. Mais cet état de fait semble en péril compte tenu de la dernière offensive législative de Pékin.

Pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui à Hong Kong, il faut brosser un rapide croquis de ses relations bilatérales avec son géant voisin. Dans la grande tradition de la politique chinoise, le régime communiste avait ramassé en une formule les relations qu'il comptait entretenir avec ce fils prodigue revenu au bercail. "Un pays, deux systèmes" avait ainsi déclaré Deng Xiaoping, alors leader de la République populaire, en 1997. En-dehors d'une différence systémique, l'attelage continent-Hong Kong recouvre un contraste plus vif encore, comme l'explique à BFMTV.com Valérie Niquet, spécialiste de la Chine et maître de recherches à la Fondation pour la recherche stratégique:

Hong Kong est une ville cantonaise, où l'identité cantonaise est très forte. Pékin a essayé d'imposer le mandarin mais ça n'a pas été très efficace. La télévision, le cinéma sont toujours en cantonais, les dirigeants s'expriment en cantonais. C'est aussi une ville du sud qui a servi de lieu de refuge à de nombreux Chinois après 1949, comme avant d'ailleurs".

"La Chine a toujours été très fragmentée, selon des lignes claniques, géographiques entre le nord et le sud notamment. Le sud a d'ailleurs connu des mouvements révolutionnaires très tôt contre le nord", ajoute-t-elle. Pour autant, la réintégration de Hong Kong dans l'orbite chinois n'a pas ulcéré la population à l'époque. "Il y avait une forme de sentiment nationaliste chinois. Tout d'abord sous les Britanniques, Hong Kong n'était pas une démocratie non plus. Et puis c'était une période où la Chine s'ouvrait, les capitaux de Hong Kong s'investissaient dans l'arrière-pays. La ville était la tête de pont de l'enrichissement de la région de Canton", décrypte Valérie Niquet: "Les choses ne se sont pas passées si mal pendant longtemps. On disait que les Hongkongais s'intéressaient au business et pas à la politique".

• Pourquoi le pouvoir chinois durcit-il le ton?

L'arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012 a conduit à un tournant très accusé. "Il y a eu un repli idéologique très fort. Il a une stratégie qui depuis 2012 consiste à dire que la Chine est allée trop loin dans l'ouverture aux idées libérales. il y a une volonté de reprise en main", analyse Valérie Niquet.

La spécialiste considère un désir de "réaffirmer la puissance de la Chine, à un moment où la Chine est confrontée à de sérieux problèmes sociaux et économiques" mais discerne aussi une logique partisane: "La mission de Xi Jinping est que le Parti communiste reste au pouvoir par tous les moyens".

• Quel est le contenu de la loi sur la sécurité?

Le texte succède d'un an aux immenses manifestations menées par la population hongkongaise à partir du printemps 2019 contre un projet de loi visant à permettre les extraditions vers la Chine continentale. Cette disposition controversée avait finalement été retirée le 23 octobre dernier.

La loi de sécurité nationale élaborée par Pékin, au cours d'un processus de rédaction long de six semaines, s'est longtemps entourée de mystères. Seule sa promulgation a entraîné le dévoilement de son contenu. Le texte vise à réprimer quatre crimes: "subversion", "séparatisme", "terrorisme" et "collusion aveec des forces étrangères". Il est officiellement interdit désormais de soutenir l'indépendance de Hong Kong ainsi que celles des autres régions chinoises autonomes comme le Tibet, Taïwan, et la province du Xinjiang.

Dans les cas jugés les plus graves, des peines pouvant aller jusqu'à la prison à vie pourraient être prononcées. En outre, alors que la conception du texte a enjambé le Conseil législatif hongkongais, ce nouvel entrant au sein du droit local précise que certains contrevenants seraient justiciables directement devant la justice chinoise.

• Comment les autorités hongkongaises ont-elles réagi?

A Hong Kong, la crainte est grande, au vu de l'étendue d'une loi s'ingérant aussi profondément dans la liberté d'expression et de son caractère nébuleux. Une partie de la population redoute ainsi qu'il s'agisse de criminaliser les oppositions. Depuis Pékin mercredi, le directeur adjoint du Bureau des affaires de Hong Kong et Macao de l'administration chinoise, Zhang Xiaoming, a voulu rassurer à sa manière: "La promulgation de cette loi vise à lutter contre les très rares criminels qui mettent gravement en danger la sécurité nationale, et non l'ensemble de l'opposition".

Carrie Lam, cheffe de l'exécutif de Hong Kong, a dans un premier temps refusé de commenter la situation, avant de sortir de son silence mercredi elle aussi. A l'occasion de la cérémonie de la levée du drapeau qui marque tous les 1er-juillet le rattachement de la ville à une mère-patrie avec laquelle elle entretenait jusqu'ici de distants rapports, la dirigeante pro-Pékin a vu dans le nouveau texte "l'événement le plus important dans les relations entre le gouvernement central et Hong Kong depuis la rétrocession".

Tous ne partagent pas cette analyse élogieuse de la situation. Joshua Wong, l'un des militants pro-démocratie les plus éminents de la scène publique hongkongaise, a tweeté mardi: "(Fin de Hong Kong, début du règne de la Terreur) Pékin vient d'adopter sa loi de sécurité nationale dévastatrice. Elle marque la fin du Hong Kong connu du monde jusqu'ici".

• Quelle a été la réponse populaire?

Tandis que Carrie Lam supervisait l'ascension de la bannière rouge dans le ciel, des manifestants ont investi les rues de Hong Kong, bien que les autorités eussent décidé d'interdire tout rassemblement, et ce, pour la première fois depuis 17 ans.

La forte présence policière a abouti à 180 arrestations parmi une foule où les slogans pro-indépendance étaient nombreux, dont sept interpellations au titre de la nouvelle loi. Sur Twitter, la police a elle-même fourni un exemple éloquent de son application: "Un a été arrêté car il brandissait un drapeau en faveur de l'indépendance de Hong Kong, transgressant ainsi la loi de sécurité nationale. C'est la première arrestation depuis l'entrée en vigueur de la loi".

• Comment la communauté internationale a-t-elle répondu?

La communauté internationale réagit déjà. Le Royaume-Uni a ainsi dénoncé, par la voix du Premier ministre Boris Johnson, selon la traduction de RFI: "la violation claire et grave de la Déclaration conjointe sino-britannique". Le chef du gouvernement britannique a assuré qu'il ne se déroberait pas "à ses responsabilités historiques et (défendrait) le peuple de Hong Kong".

Du côté des Etats-Unis, le secrétaire d'Etat Mike Pompeo a déclaré: "Aujourd’hui est un triste jour pour Hong Kong, et pour tous les amoureux de la liberté en Chine. Les États-Unis ne resteront pas les bras croisés pendant que la Chine engloutit Hong Kong dans sa gueule autoritaire".

Si Xi Jinping paraît particulièrement émancipé du poids des regards extérieurs, la réprobation internationale pourrait ne pas être indolore. Valérie Niquet ajoute à ce sujet: "L'image de la Chine a des conséquences directes sur les relations avec les Etats-Unis et l'Union européenne. La Chine ne retirera jamais sa loi mais sa marge de manœuvre économique se réduit à l'étranger".

Article original publié sur BFMTV.com