TOUT COMPRENDRE - Qu'est-ce que l'affaire du chantage à la sextape à la mairie de Saint-Étienne?
Gaël Perdriau, le maire de Saint-Étienne, a été entendu ce mardi sous le régime de la garde à vue pour son implication dans l'affaire du chantage à la sextape contre son ex-premier adjoint Gilles Artigues (UDI). Dans le même temps, Les Républicains ont annoncé que l'édile avait été exclu du parti.
Une plainte pour chantage aggravé avait été déposée à son encontre concernant le tournage et l'usage d'une vidéo à caractère sexuel enregistrée en 2014 pendant que Gilles Artigues, père de famille de 57 ans connu pour son engagement catholique, se faisait masser par un escort dans une chambre d'hôtel à Paris.
· Quel est le contexte de l'époque?
En 2014, l'actuel maire LR de Saint-Étienne, Gaël Perdriau, est fraîchement élu. Son premier adjoint, mais aussi rival dans le microcosme stéphanois, s'appelle Gilles Artigues. Le maire veut le contrôler politiquement et notamment le dissuader d'une éventuelle dissidence.
"Dans une réunion entre Gaël Perdriau, Pierre Gauttieri (son directeur de cabinet, NDLR) et Samy Kefi-Jérôme (l'adjoint à l'Éducation, NDLR) les idées fusaient sur comment fracasser Gilles Artigues, comment le tenir: c'est-à-dire soit le tuer politiquement, soit le contrôler", raconte auprès de France Inter Gilles Rossary-Lenglet, le compagnon de Samy Kefi-Jérôme à l'époque.
C'est ce dernier qui est au cœur des révélations dans cette affaire de chantage à la sextape à la mairie de Saint-Étienne.
· Comment le guet-apens a-t-il été mis en place?
Mis dans la boucle, Gilles Rossary-Lenglet imagine un plan, commandité par "Gaël Perdriau et son directeur de cabinet, Pierre Gauttieri", qui permettrait au maire de "tenir" son rival.
"Je sais faire ce genre de barbouzeries, assume-t-il auprès du Parisien. Je me suis rendu à la mairie et j’ai tout de suite proposé d’aller sur une affaire de mœurs".
Gilles Artigues a fondé sa carrière politique sur des valeurs traditionnelles et conservatrices. La décision est prise de le piéger en compagnie d'un escort dans une chambre d'hôtel. "Alors que vous dites du mal sur les homos et qu'on vous voit batifoler avec un escort gay, il va de soi que là vous tenez une mise à mort politique sur la personne", explique Gilles Rossary-Lenglet.
L'homme raconte s'être fait fournir une caméra go-Pro par une secrétaire de la mairie de Saint-Étienne. Puis, Samy Kefi-Jérôme a "payé" l'escort et "a fait venir Gilles Artigues dans la chambre". Gilles Rossary-Lenglet dit avoir été payé 50.000 euros par la mairie pour monter le piège et réaliser la vidéo.
· Quand débute le chantage à la sextape?
La suite n'intervient que 18 mois plus tard. À la fin de l'année 2016, Samy Kefy-Jérôme convoque Gilles Artigues chez lui et lui montre une partie de la vidéo. Il s'agit d'un montage de 2 minutes mélangeant des images captées dans la chambre d’hôtel avec des éléments biographiques de Gilles Artigues, notamment sur ses engagements catholiques. Elle s’intitule "In bed with Gilles Artigues" et se termine avec cette formule: "On va faire une pause… Suite au prochain épisode…".
"À partir de ce moment-là, on lui a dit que s'il ne faisait pas ce qu'on lui demandait, la vidéo serait publiée", explique sur France Bleu Me André Buffard, l'avocat de la victime.
· Comment le maire est-il impliqué?
Gilles Artigues dit avoir alerté le maire Gaël Perdriau quelques jours après cette rencontre, alors que l'édile a nié avoir participé à ce complot ou même avoir été au courant de l'existence de la vidéo. Malgré cela, le chantage ne cesse pas.
En juillet 2017, après avoir exprimé en réunion un désaccord mineur sur la politique de Gaël Perdriau, Gilles Artigues s’entend dire par le maire, alors que la salle s’est vidée, qu’il ne doit pas recommencer, sinon les images pourraient sortir publiquement, a-t-il raconté dans le cadre de l’enquête judiciaire. À partir de là, Gilles Artigues décide d'enregistrer les menaces.
Les extraits diffusés par Médiapart accablent le maire. En présence de ce dernier, Pierre Gauttieri, le directeur de cabinet, menace Gilles Artigues de propager la vidéo auprès des parents d’élèves des établissements où sont scolarisés ses enfants, ajoutant: "Si le fait que j’aille en taule vous fait tomber parce que vous passez pour une vieille pédale sur le retour, je n’en ai aucun problème".
"Il y a d'autres moyens de faire, on n'est pas obligé de diffuser publiquement", en évoquant une diffusion "en petits cercles, avec parcimonie", complète alors Gaël Perdriau.
"Une fois que c’est sur les réseaux, c’est plus du chantage. C’est une exécution", avertit l'édile.
· Pourquoi l'affaire a-t-elle mis si longtemps à être révélée?
Huit ans séparent le début d'un chantage et le dépôt d'une plainte. Pour Me André Buffard, l'avocat de Gilles Artigues, son client "était sous emprise".
"Il ne pouvait pas parler, il n'osait pas parler, il n'avait aucune chance d'être cru (...). C'est à partir du moment où il a compris l'ampleur de la machination dont il était victime et qu'elle pouvait être démontrée qu'il a accepté de s'expliquer", ajoute-t-il auprès de BFMTV.
Gilles Artigues confie qu'il a songé à mettre un terme à ses jours, pour en finir avec le harcèlement subi. Après les révélations de Médiapart, le 26 août dernier, il décide finalement de porter plainte pour "guet-apens en bande organisée".
Le 2 septembre, le parquet de Lyon a ouvert une information judiciaire "des chefs d'atteinte à l'intimité de la vie privée, chantage aggravé, soustraction de bien public par une personne chargée d'une fonction publique, abus de confiance et recel de ces infractions" dans le cadre de cette affaire.
· Que va-t-il se passer ensuite?
Ce mardi matin, Gaël Perdriau a été exclu des Républicains. En pleine course pour la succession de la présidence des LR, les candidats pour reprendre le parti appelaient tous à son départ.
Convoqué par la police judiciaire de Lyon un peu plus tôt dans la matinée, l'édile a également été auditionné en garde à vue pendant quelques heures, comme quatre autres personnes impliquées dans l'affaire, parmi lesquelles se trouvent Gilles Rossary-Lenglet et Samy Kéfi-Jerôme. L'enquête pour "atteinte à l'intimité de la vie privée, chantage aggravé, soustraction de bien public par une personne chargée d'une fonction publique, abus de confiance et recel de ces infractions" se poursuit.