TOUT COMPRENDRE - Que se passe-t-il au Kazakhstan, où des émeutes ont fait des "dizaines" de morts?

L'hôtel de ville d'Almaty, pris d'assaut par les manifestants le 4 janvier 2021  - Alexander PLATONOV / AFPTV / AFP
L'hôtel de ville d'Almaty, pris d'assaut par les manifestants le 4 janvier 2021 - Alexander PLATONOV / AFPTV / AFP

Dans sa jeune histoire, jamais le Kazakhstan n’a été aussi proche du chaos. Depuis maintenant plusieurs jours, des milliers de manifestants se sont regroupés dans les principales villes du pays afin de montrer leur mécontentement face à une augmentation subite du prix du gaz, mais aussi pour faire entendre leur désaccord face au fonctionnement du pays. Ces dernières heures, la répression du pouvoir est montée de plusieurs crans et des dizaines de morts sont à déplorer.

• Quelles sont les causes de la contestation?

Les premières manifestations remontent à dimanche. Quelques heures après l'annonce par le gouvernement d'une augmentation sans précédent du gaz, des manifestants furieux descendent dans les rues de Zhanaozen, au coeur de la région ouest de Mangystau, riche en ressources pétrolières. Le mouvement s'étend ensuite à la grande ville régionale d'Aktau, sur les bords de la mer Caspienne.

Ce n'est pas la première fois que Zhanaozen est le théâtre de contestations, dans cet immense pays où les manifestations sont rares, du fait de la répression souvent sanglante du gouvernement. En 2011, au moins 14 ouvriers d'un site pétrolier grévistes avaient ainsi été tués quand la police avait réprimé une manifestation contre les conditions de travail et les salaires.

Pourtant, le vent de contestation va cette fois-ci se propager rapidement. Dès lundi, plusieurs rassemblements sont organisés à Almaty, principale ville et ancienne capitale du pays avant le transfert des pouvoirs à Nursultan, nouvelle capitale choisie par le pouvoir en place.

A Almaty, les affrontements avec les forces de l'ordre se sont multipliés ainsi que les saccages de plusieurs boutiques et de l'aéroport international de la ville.

Lundi et mardi, plusieurs bâtiments administratifs dont la mairie d'Almaty et le palais présidentiel ont été pris d'assaut et partiellement détruits par les manifestants.

Au-delà même du coût de la vie et des inégalités économiques criantes qui rythment le quotidien des Kazakh, ceux-ci s'indignent également contre le pouvoir en place, qui n'a pas changé depuis l'indépendance du pays de l'URSS, en 1991.

En place depuis 2019, l'actuel président Kassym-Jomart Tokayev avait été choisi par le leader historique Nursultan Nazarbayev, 81 ans, qui a dirigé le Kazakhstan durant trente ans, à partir de 1989. Ce dernier contrôle toujours le pays, en tant que président du conseil de sécurité et "Leader de la nation", un titre lui conférant des privilèges politiques uniques et une immunité contre toute poursuite.

• Quelle a été la réponse du gouvernement?

Face à la colère, sans surprise, les autorités ont employé la fermeté. Mercredi, le président a d'abord renvoyé son gouvernement via un arrêté publié sur le site présidentiel. Le vice-Premier ministre Alikhan Smailov est chargé d'assumer le rôle du Premier ministre par intérim jusqu'à la formation d'un nouveau cabinet.

"En tant que président, je suis contraint de protéger la sécurité et la paix de nos citoyens, de m'inquiéter de l'intégrité du Kazakhstan", a déclaré Kassym-Jomart Tokayev en russe à la télévision kazakhe, ajoutant qu'il avait l'intention "d'agir de la manière la plus ferme possible".

La réponse s'est aussi déployée dans la rue. Dans un premier temps, face à la foule qui tentait de prendre d'assaut de nouveaux bâtiments administratifs, les forces de l'ordre ont répondu par des jet de grenades lacrymogènes et assourdissantes. Mais dès mercredi, la police a lancé une "opération antiterroriste" dans certains quartiers d'Almaty, au cours de laquelle policiers et manifestants se sont affrontés à balles réelles.

Dans le même temps, le pays connaissait une "panne d'internet à l'échelle nationale", selon le groupe spécialisé dans la surveillance du web NetBlocks sur Twitter.

Auparavant circonscrit à la partie ouest du pays, l'état d'urgence a été décrété sur l'ensemble du territoire jusqu'au 19 janvier prochain. Un couvre-feu est en vigueur de 23 heures à 7 heures du matin.

A cause de la rupture des différents moyens de communication, il est extrêmement difficile d'obtenir un bilan précis des victimes liées aux affrontements. Les autorités indiquent avoir tué des "dizaines" de manifestants qui tentaient de s'emparer de bâtiments administratifs et commissariats. Selon le dernier bilan ce jeudi, 18 membres des forces de sécurité ont trouvé la mort et plus de 700 d'entre eux ont été blessés.

En outre, lors de ces affrontements, 2000 personnes ont été arrêtées. Dans un nouvel effort pour calmer les protestataires, le gouvernement kazakh a ordonné le plafonnement des prix des carburants pour six mois, sans grand succès.

Ce jeudi, si la tension semble être retombée, plusieurs affrontements étaient toujours en cours à Almaty, où des coups de feu et explosions ont été entendus durant la journée.

• Quel est le rôle de la Russie?

A l'appel du président Tokayev ce mercredi, qui avait dénoncé une menace terroriste, Moscou et ses alliés de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) ont envoyé ce jeudi l'envoi d'une "force collective de maintien de la paix" dans le pays.

Le président de l'OTSC, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian, a indiqué sur Facebook que l'alliance avait décidé d'envoyer "une force collective de maintien de la paix" pour "une durée de temps limitée afin de stabiliser et normaliser la situation dans ce pays", qui a été provoquée par "une ingérence extérieure". Cette organisation rassemble autour de la Russie plusieurs anciennes républiques soviétiques, dont le Belarus et l'Ouzbékistan.

Si les Kazakhs représentent près de 70% des quelque 18 millions d'habitants, à majorité musulmans, le pays compte ainsi historiquement une importante minorité russe, aujourd'hui évaluée à un cinquième de la population (contre plus de 40% dans les années 1970).

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• Quelles sont les réactions à l'international?

Ce jeudi, la France a appelé toutes les parties impliquées dans la crise au Kazakhstan, y compris la Russie et ses alliés de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), à faire montre de "modération" après l'annonce de "dizaines" de manifestants tués ces dernières heures.

"Les événements de la nuit sont extrêmemement préoccupants (...) Nous appelons toutes les parties, qu'elles soient au Kazakhstan ou dans le cadre de l'OTSC, à la modération et à l'ouverture d'un dialogue", a déclaré le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian.

Pau avant, Londres avait appelé à un "règlement pacifique", mettant en garde contre toute nouvelle "escalade". "Nous sommes évidemment préoccupés par les affrontements violents et nous suivons de près l'évolution de la situation. Nous demandons la fin de l'escalade et nous souhaitons un règlement pacifique", a déclaré un porte-parole du Premier ministre Boris Johnson.

Mercredi, le gouvernement américain avait appelé les autorités du Kazakhstan à la "retenue" et souhaite que les manifestations s'y déroulent "de manière pacifique", a dit la porte-parole de la Maison Blanche Jen Psaki.

Cette dernière avait aussi critiqué les "folles allégations de la Russie" sur une responsabilité supposée des Etats-Unis dans les émeutes qui secouent le Kazakhstan. "C'est absolument faux" et cela relève "de la stratégie de désinformation russe", a-t-elle asséné.

Article original publié sur BFMTV.com