TOUT COMPRENDRE - Le "Partygate", ce scandale à tiroirs qui menace d'emporter Boris Johnson

Boris Johnson le 12 janvier.  - Tolga Akmen
Boris Johnson le 12 janvier. - Tolga Akmen

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La morale de cette histoire encore incertaine a quelque chose d'édifiant: on peut lancer la carrière d'un homme puis la briser une trentaine d'années plus tard. Ainsi, jeudi, The Telegraph, ancien employeur de Boris Johnson du temps où celui-ci écumait les allées bruxelloises en tant que correspondant européen, a peut-être rivé le dernier clou à son épopée politique.

Le journal a en effet révélé qu'à la mi-avril 2021, deux soirées s'étaient tenues au 10, Downing Street pour le départ de deux collaborateurs du chef du gouvernement. Des réjouissances, au sein même de la résidence officielle du patron de l'exécutif britannique, qui viennent allonger la liste déjà fournie des fêtes organisées au même endroit au mépris des règles de confinement et dont la presse s'est régulièrement fait l'écho au cours des six dernières semaines.

Au point que Boris Johnson se trouve dorénavant au bord du précipice, c'est-à-dire de la démission. L'opposition la réclame, sa majorité y pense ouvertement et son gouvernement ne se presse pas pour le soutenir. Pire, ses remplaçants potentiels y siègent déjà. Des tourmentes sur fond d'enquête interne. Ce vendredi, BFMTV.com dresse le panorama des périls cernant Boris Johnson.

• Quels sont les nouveaux éléments qui lui sont reprochés?

C'est la dernière révélation en date. Jeudi, The Telegraph a exhumé le souvenir de deux nouvelles fêtes organisées dans la résidence du Premier ministre britannique. Elles remontent au 16 avril dernier, et il s'agissait de célébrer les départs de James Slack, directeur de la communication du Premier ministre, et d'un photographe personnel de celui-ci. Des réjouissances plus que gênantes, car ces mêmes convives avaient contribué à édicter les règles alors en vigueur qui prohibaient les rassemblements en intérieur et limitaient à six les retrouvailles en plein air.

Pire encore peut-être, dans le contexte de cette vieille monarchie: l'événement a eu lieu la veille au soir des funérailles du Prince Philip, auxquels la reine a assisté seule sur son banc, par respect pour les consignes sanitaires. Le Telegraph ne s'y est pas trompé, titrant même sur ce contraste.

Dans l'immédiat, Boris Johnson a échappé à l'hallali publique: signalé cas contact le même jour, il a annulé la visite prévue dans un centre de vaccination. Mais cet isolement providentiel ne durera pas toujours et sa situation politique semble désormais bien précaire voire désespérée. Car en matière de fêtes tenues dans ce très mauvais endroit et dans ces très mauvais moments pour ses compatriotes, la barque du Premier ministre était déjà singulièrement chargée.

• Quelles sont les autres affaires de ce "Partygate"?

Lundi, c'est un mail écrit le 20 mai 2020 par le secrétaire particulier de Boris Johnson, Martin Reynolds, qui a refait surface via ITV News. Destiné à une centaine de personnes, le courriel allait jusqu'à suggérer aux invités - des employés du 10 Downing Street - d'amener chacun une bouteille avant de se retrouver pour un bon moment sur leur lieu de travail. La missive était la suivante:

"Salut à tous, Après cette période si dense, on s'est dit que ce serait sympa de profiter au maximum de cette charmante météo et de prendre un verre - avec distanciation physique - dans les jardins du 10 ce soir. Merci de venir à partir de 18h et d'amener chacun votre bouteille!"

A l'arrivée, un pique-nique alcoolisé avec une quarantaine de commensaux dont le Premier ministre et son épouse Carrie. Boris Johnson a paru sentir le danger aussitôt. Dès mercredi, il a ainsi présenté ses excuses, voulues les plus contrites possibles et "tirées du fond de (son) coeur", aux Communes et à travers cette chambre parlementaire, aux Britanniques eux-mêmes. Il a profité de la tribune pour livrer ses explications.

"Quand je me suis rendu dans les jardins peu après 18h, ce 20 mai 2020, afin de remercier mes équipes avant de retourner dans mon bureau 25 minutes plus tard pour y reprendre mon travail, je croyais implicitement qu'il s'agissait d'un événement professionnel".

Des excuses d'autant plus laborieuses qu'elles ne couvrent pas encore tous les festifs impairs reprochés au chef du gouvernement. L'"événement professionnel" du 20 mai ne doit d'ailleurs pas être confondu avec l'apéritif du 15 mai précédent, dans le même parc, relayé photo à l'appui par le Guardian le 19 décembre dernier.

Là encore, Boris Johnson avait réagi en évoquant un rendez-vous de "gens au travail parlant travail". Sur le cliché publié, on le voit cependant entouré d'une dizaine de ces stackhanovistes se détendre autour de bouteilles de vin et de plateaux de fromages. A l'époque, les Britanniques étaient quant à eux astreints aux règles les plus rigides de leur confinement.

On risque moins de s'emmêler les crayons avec les célébrations de Noël 2020 au 10 Downing Street, pointées par les médias début décembre. Une occasion fautive pour laquelle Boris Johnson a dû faire son mea culpa devant les députés, le 8 décembre et qui a entraîné la démission de sa conseillère Allegra Stratton, celle-ci ayant paru prendre les choses à la rigolade pour ne rien arranger.

En attendant d'éventuelles nouvelles révélations journalistiques dans ce domaine, cette succession de sauteries au sommet s'arrête ici. Elle engendre toutefois une enquête interne menée actuellement par la haute fonctionnaire Sue Gray. Les conclusions de ces investigations sont espérées pour la semaine prochaine.

• Qu'en pense l'opinion?

Les scandales à répétitions troublent l'image de "BoJo" auprès d'une opinion devant laquelle il paraît en bien mauvaise posture. Ses déboires médiatiques lui ont d'abord valu des railleries publiques, le poursuivant jusqu'à un championnat de fléchettes. Ils se traduisent à présent par des expressions plus tristes. Ainsi, comme l'a remarqué ici The Evening Standard, les internautes ont partagé cette semaine sur les réseaux sociaux les souvenirs de leur 20 mai 2020 personnel.

De patrouille policière en balade solitaire pour son anniversaire, ces réminiscences ne présentent pas franchement l'attrait du printemps vécu par le Premier ministre.

• Qu'en dit la classe politique?

La classe politique prend bien sûr sa part à la disgrâce de l'ancien maire de Londres. L'opposition, bien sûr, réclame sa démission - Keir Starmer, leader des Travaillistes, estimant dès mercredi à la Chambre des Communes que les excuses de l'intéressé ne "valaient rien". Mais cet appel est au fond bien naturel.

Ce qui l'est moins, c'est qu'il fait école dans les rangs de la majorité elle-même. Sur les ondes de la BBC, le député conservateur Roger Gale l'a même qualifié de "mort-vivant". L'élu du Kent ne compte pas tout à fait au nombre des amis de Boris Johnson cependant. En décembre, il s'était déjà fendu d'une lettre à l'attention de ses confrères et consoeurs tories afin de les convaincre d'évincer le gêneur. Il écrivait:

"Boris Johnson a enfreint les règles, il ne peut plus être Premier ministre. Bientôt, il faudra changer de Premier ministre mais pas tout de suite car nous sommes au milieu d’une pandémie. Après cet hiver, ce sera le bon moment."

L'hiver n'est pas fini mais Roger Gale ne prêche déjà plus dans le désert. Un autre député, William Wragg, cité notamment par l'Agence France Presse ce vendredi, a adopté le même angle.

"La position du Premier ministre est intenable et je pense qu'on ne doit pas laisser les conclusions d'une fonctionnaire déterminer son avenir. (...) Il revient au Parti conservateur, si ce n'est au Premier ministre lui-même, de prendre cette décision".

Une référence ouverte à l'organisation d'un vote de défiance chez les Tories donc. Mais pour que celui-ci puisse avoir lieu, encore faudra-t-il à ses frondeurs susciter l'assentiment de 54 parlementaires sur les 360 relevant de leur groupe.

• Qui pour le remplacer?

Chahuté par l'opposition, bousculé dans l'opinion, contesté par sa majorité, Boris Johnson aurait bien besoin que son gouvernement lui serve d'ultime rempart. Ce ne sera visiblement pas le cas. Tandis que les regards des observateurs se tournent vers le Chancelier de l'Echiquier - l'équivalent de notre ministre des Finances - pour prendre les rênes et se substituer à Boris Johnson le cas échéant, celui-ci s'est d'abord tu... Avant de se contenter d'un tweet pour le moins minimaliste, voire glacial:

"Le Premier ministre a eu raison de présenter ses excuses et d'appeler à la patience jusqu'aux conclusions de l'enquête de Sue Gray".

Liz Truss, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et elle aussi pressentie pour grimper le perron du 10, Downing Street quand il sera vacant, s'est montrée plus chaleureuse, affirmant mercredi son soutien "à 100%" envers son supérieur. Mais les révélations du Telegraph l'ont en revanche laissée muette.

Article original publié sur BFMTV.com